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Est-ce vraiment le crépuscule des pirates ? © ecstaticist / Flickr - Licence Creative Common (by-nc-sa 2.0)
Alors qu'il arrive à l'ordre du jour de l'Assemblé Nationale et bien que déjà adopté par le Sénat le 30 octobre 2008, le Projet de loi favorisant la diffusiondiffusion et la protection de la création sur Internet, devenu Création et Internet et communément appelé loi Hadopi, est porté par une intense polémique.
Ces opposants, en effet, ne manquent pas. On les trouve logiquement dans l'opposition parlementaire mais des critiques viennent aussi de la majorité présidentielle, comme de la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertésCommission nationale de l'informatique et des libertés) et de l'Arcep (Autorité de Régulation des Communications électroniques et des Postes). On dit également que la Commission européenne, qui a reçu notification de cette loi française, est en train d'affûter ses couteaux pour la dépecer. Quant au Web, il faut chercher activement pour trouver des discours enthousiastes. Les plus positifs sont rassemblés sur le site Jaimelesartistes, créé... par le Ministère de la culture, en charge du dossier Hadopi. Sur le Web, on se déchaîne. Le magazine SVM fait circuler une pétition et des trublions réunis sous l'appellation de Quadrature du Net agacent beaucoup le ministère.
Pourquoi tant de haine ? Ce projet de loi entend lutter contre le piratage de musique et de films sur le Web, un fléau dont la France serait championne. Pour faire respecter le droit d'auteur, une loi (dite DADVSI, pour Droit d'Auteur et Droits Voisins dans la Société de l'Information) avait déjà été votée en juin 2006. Elle instaure de lourdes sanctions (amendes jusqu'à 300.000 euros et peines de prison jusqu'à trois ans). Les mesures de sanctions graduées, qui permettaient de moduler cette réponse pénale ayant été supprimées par le Conseil constitutionnel, une commission, menée par Denis Olivennes (ancien patron de la Fnac), a planché sur une nouvelle mouture de la « riposte graduée », désormais intégrée dans le nouveau projet de loi présenté par Christine Albanel, Ministre de la culture.
Rappels à l'ordre pour les téléchargeurs illégaux
Il instaure le principe d'un contrôle des échanges pour détecter les téléchargements illégaux et repérer les adresses IP, les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) pouvant à partir d'elles retrouver le nom des abonnements correspondants. Les internautes recevront alors un courrier électronique de menace, puis, sans réponse de leur part, une lettre recommandée. En cas de silence, le troisième degré sera la coupure provisoire de l'accès à Internet. Pour gérer ces opérations de dissuasion et de punition, la loi met en place une structure administrative, la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet, alias Hadopi, d'où le surnom de la loi.
Une avalancheavalanche de critiques s'est alors abattue sur ce projet. Elles portent sur des points politiques (la riposte est-elle juste ? proportionnée ?), sociétaux (la loi méconnaîtrait les évolutions des modes de consommation, protégeant une industrie archaïque), techniques (le contournement serait facile) et constitutionnels (les pouvoirs conférés à l'Hadopi peuvent-ils être légaux ?).
Anticonstitutionnellement rédigée ?
Ce dernier point n'est pas le moindre. L'Hadopi, une structure administrative, se voit ainsi adjuger des droits qui relèvent de la police et de la justice. Une « Haute autorité de la sécurité routière », s'il en existait une, pourrait-elle se servir des radars automatiques de contrôle de vitessevitesse pour suspendre le permis de conduire des contrevenants ? De même, ce sont des sociétés privées, les ayants droit et les producteurs, qui constateront les infractions, et d'autres sociétés privées, les FAI, qui mettront en place les moyens techniques du contrôle. Pour suivre le même exemple, tout se passe comme si les sociétés d'autoroute géraient elles-mêmes les radars. Le ministère fait remarquer à ce sujet que les exemples des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne montrent que l'internaute, dans la plupart des cas, tient compte de l'injonction et que l'arme fatale de la déconnexion ne sera donc employée qu'exceptionnellement.
La proportionnalité entre le crime et la punition est également mise en cause. A Bruxelles, le Parlement Européen a jeté une peau de bananebanane sous les pieds du ministère français. En avril 2008, les eurodéputés ont en effet voté une résolution (proposée par deux élus, dont Michel Rocard) invitant « la Commission et les États membres à éviter de prendre des mesures qui entrent en contradiction avec les libertés civiques et les droits de l'Homme et avec les principes de proportionnalité, d'efficacité et de dissuasion, telles que l'interruption de l'accès à l'Internet ». La dernière remarque pourrait remettre en cause cette disposition de la loi Hadopi.
Comme si cela ne suffisait pas, les opposants croisent le ferfer sur le terrain technique. La recherche des IP débusquera l'abonné mais pas l'utilisateur. Si un voisin indélicat pirate une connexion Wi-Fi, le propriétaire de la ligne sera jugé responsable. L'UFC-Que Choisir (qui qualifie le projet de loi de « ligne Maginot ») a même fait établir un constat d'huissier pour démontrer la facilité de la manœuvre. Par ailleurs, la loi ne tiendrait pas compte d'évolutions récentes. Depuis plusieurs années, les téléchargements passent moins par les réseaux peer-to-peer (qui restent cependant le principal vecteur) et de plus en plus par le streaming et les connexions directes sur des sites d'hébergement de gros fichiers, installés à l'étranger. Les FAI n'ont pas les capacités techniques qui seraient nécessaires pour contrôler les moindres agissements des internautes, lesquels sont aussi leurs clients.
La crispation est actuellement à son comble. La phrase maladroite du cabinet de Christine Albanel, jugeant que les organisateurs de la Quadrature du Net ne sont que « cinq gus dans un garagegarage qui font des mails à la chaîne », et publiée (avant modification rapide) dans une dépêche de l'AFP, a connu un succès médiatique considérable.
Pour la loi Hadopi, les difficultés continuent. Notre confrère PCPC Inpact publie une information en forme de coup de théâtre. Le projet de loi ne sera pas examiné aujourd'hui car les parlementaires débattent encore les amendements concernant un autre projet de loi. Il est repoussé au moins à demain 17 heures et ne pourra pas être examiné en une seule session. Les tirs de barrage pourront donc être plus nourris... La gestationgestation de cette loi est décidément difficile.