À la fin des années 1960, la mesure du flux de neutrinos produit par les réactions faisant briller le Soleil était en désaccord avec la théorie de la structure stellaire et des neutrinos. On pouvait en déduire que le Soleil pouvait être sur le point de s'éteindre mais une autre explication a finalement été avancée.


au sommaire


    Dans ses deux célèbres romans de Science-fiction Les Fontaines du paradis (1979) et ChantsChants de la Terre lointaine (1986), Arthur Clarke met en scène à chaque fois un destin funèbre pour la Terre à cause du Soleil en imaginant dans le premier cas qu'il va se refroidir dans quelques siècles et dans le second qu'il va exploser en supernova. Comme dans tous les romans de Clarke, le scénario se base sur des idées scientifiques réalistes.

    En effet, à cette époque, on ne savait toujours pas quelle était la solution à l'énigme des neutrinos solaires découverte dans les années 1960 par les physiciensphysiciens Ray Davis et John N. Bahcall, le premier d'un point de vue observationnel et le second d'un point de vue théorique. Pour comprendre de quoi il en retourne, quelques rappels sur la saga des neutrinosneutrinos sont nécessaires.

    Les neutrinos sont des particules neutres qui interviennent dans les réactions nucléaires basées sur l'interaction nucléaire faible, celle responsable de la désintégration bêtabêta dans les noyaux. Proposés par Fermi et Pauli dans les années 1930 pour sauver la loi de la conservation de l'énergie qui semblait violée dans certains processus, ils sont plus abondants que les photons dans l'UniversUnivers. Bien que l'on soit constamment traversé par ces neutrinos, leurs très faibles massesmasses et surtout leur faible constante de couplage avec les autres particules font que l'on ne s'en aperçoit pas car ils interagissent très peu avec la matièrematière, au moins à basses énergies. À de très grandes énergies, c'est une autre histoire. Dans le cadre du modèle standardmodèle standard de la physiquephysique des particules, il en existe trois types. Celui des neutrinos dit électroniques est celui qui intervient dans les réactions nucléaires de base décrites par la théorie de Fermi de l'interaction faibleinteraction faible.


    Antoine Kouchner et Stéphane Lavignac retracent l’histoire passionnante du neutrino et nous font découvrir les grandes expériences consacrées à ce messager de l’infiniment grand et de l’infiniment petit dans un livre publié aux éditions Dunod et qu’accompagne cette vidéo de présentation. Antoine Kouchner est professeur à l’université Paris Diderot et directeur du laboratoire AstroParticule et Cosmologie. Il est également responsable scientifique de la collaboration internationale Antares qui exploite le premier télescope sous-marin à neutrinos, dont le successeur, KM3NeT, est en construction en Méditerranée. Stéphane Lavignac est physicien au CNRS et effectue ses recherches à l’Institut de physique théorique de Saclay. Ses travaux portent sur la théorie des particules élémentaires et sur les conséquences des masses des neutrinos en physique des particules et en cosmologie.© DunodVideos

    Le Soleil en produit en grande quantité lors de réactions thermonucléaires variées conduisant à la synthèse de l'héliumhélium. Les premiers calculs effectués par John Bahcall pour prédire le flux rayonné, en relation avec la structure du Soleil et ces réactions nucléaires, avaient conduit à une anomalieanomalie. Seulement un tiers de ce qui était prédit avait été mesuré sur Terre par Ray Davis et ses collègues (1968). Pendant un temps, personne n'a compris ce qui se passait car après vérification, tous les calculs semblaient exacts et l'expérience de Ray Davis menée dans l'ancienne mine d'or d'Homestake, située à Lead dans le Dakota du Sud aux USA, sans défaut également.

    Des neutrinos qui oscillent ou un modèle solaire qui est faux ?

    La solution de cette énigme est finalement venue de l'introduction par Bruno Pontecorvo et Vladimir Gribov en Russie (1969) d'un processus d’oscillation des états des différents types de neutrinos se convertissant les uns dans les autres périodiquement et qui a été observé à l'aide de différentes expériences, en particulier Super-Kamiokande (Japon) et l'Observatoire de neutrinos de Sudbury, en Ontario (Canada). Comme les détecteurs utilisés n'étaient sensibles qu'à l'une des trois formes de neutrinos, clairement, une partie du flux initial qui s'était convertie temporairement en une autre espèceespèce lors du voyage du Soleil vers la Terre devait échapper aux observations.

    Les réactions thermonucléaires du Soleil. Celles à l’origine des neutrinos solaires sont en jaune. © John Bahcall.
    Les réactions thermonucléaires du Soleil. Celles à l’origine des neutrinos solaires sont en jaune. © John Bahcall.

    Cette explication était rassurante car, contrairement aux photons produits au cœur de notre astreastre et qui mettent un million d'années en moyenne pour émerger de sa surface à cause de multiples collisions avec la matière du plasma solaire, les neutrinos s'en échappent presque instantanément.

    Si l'on ne faisait pas confiance aux théories sur la structure du Soleil, on pouvait donc craindre que celui-ci ne soit en train de s'arrêter de briller, ou pour le moins que ses réactions thermonucléaires soient devenues subitement moins importantes, libérant moins d'énergie. Nous ne pourrions nous en apercevoir par une baisse de la luminositéluminosité du Soleil qu'au moins un million d'années après ce changement des taux de réactions, pour une raison mal comprise en rapport avec la structure solaire mal modélisée.

    En fonction de la profondeur, représentée ici par la distance R en partant du centre du Soleil, le modèle solaire prédit des conditions de température et de densité spécifiques, en conséquence de quoi certaines réactions nucléaires produisant des neutrinos sont favorisées. © John Bahcall.
    En fonction de la profondeur, représentée ici par la distance R en partant du centre du Soleil, le modèle solaire prédit des conditions de température et de densité spécifiques, en conséquence de quoi certaines réactions nucléaires produisant des neutrinos sont favorisées. © John Bahcall.

    C'était sur cette hypothèse d'un ralentissement des réactions thermonucléaires que Clarke avait bâti ses romans car il avait fallu attendre les années 1990 et surtout 2000 pour que le spectrespectre de cette catastrophe soit exorcisé. Mais dès les années 1990, les progrès en héliosismologie avaient permis de sonder l'intérieur du Soleil, comme les géophysiciens l'avaient fait sur Terre avec les ondes sismiquesondes sismiques, montrant un excellent accord avec la théorie standard de la structure interne du Soleil.

    Enfin les progrès dans la détermination du spectre en énergie des neutrinos détectés sur Terre s'accordaient bien avec cette structure et la température élevée prédite par le modèle standard, indiquant que la solution de l'énigme devait bien se trouver dans la direction d'une nouvelle physique des neutrinos.

    En ordonné le flux de neutrinos solaires et en abscisse leurs énergies. On voit que ce flux est complexe car produit par différentes réactions. En outre, on a un mélange de spectre continu et de raies d’émission comme celle vers 1 Mev du <sup>7</sup>Be. © John Bahcall
    En ordonné le flux de neutrinos solaires et en abscisse leurs énergies. On voit que ce flux est complexe car produit par différentes réactions. En outre, on a un mélange de spectre continu et de raies d’émission comme celle vers 1 Mev du 7Be. © John Bahcall

    Le Soleil n'est donc pas sur le point de s'éteindre ou de s'effondrer en donnant une supernova. Par contre, le phénomène d'oscillation des neutrinos qu'il a permis de découvrir est intensément scruté par les physiciens car c'est une porteporte sur une nouvelle physique. Il a également fourni plusieurs prix Nobel de physique.