Savez-vous ce que signifient les sigles SPECULOOS, MONICA ou LUCIFER ? Nous non plus ! Ce sont pourtant quelques exemples des nombreux acronymes employés dans la littérature scientifique, dont l’usage ne cesse de croître jusqu’à rendre certains textes complètement illisibles.


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    Si, pour vous, la mayonnaise est une sauce froide à servir avec des légumes, vous avez tout faux. Dans la littérature scientifique, MAYONNAISE signifie Morphological Analysis Yielding separated Objects iN Near infrAred usIng Sources Estimation (que l'on peut traduire approximativement par « analyse morphologique donnant des objets séparés dans le proche infrarouge utilisant une estimation des sources »). Et ce n'est là qu'un exemple d’acronymes abscons qu'affectionnent les auteurs d'articles scientifiques.

    4,1 acronymes pour 100 mots

    Des chercheurs australiens ont passé en revue plus de 24 millions d'articles et 18 millions de titres et de résumés d'articles scientifiques parus entre 1950 et 2019 ; ils ont trouvé pas moins de 1,11 million d'acronymes différents. Pire, la proportion d'acronymes dans les résumés a tendance à gonfler dangereusement, passant de 0,4 sigle pour 100 mots en 1950 à 4,1 sigles pour 100 mots en 2019. 19 % des titres et 73 % des résumés d'articles contiennent au moins un acronyme, indiquent les auteurs.

    Les plus utilisés sont heureusement facilement compréhensibles : DNADNA (ADN, acide désoxyribonucléiqueacide désoxyribonucléique), CI (Confidence intervalle, intervalle de confiance) ou HIV (Human immunodeficiency virus). Mais certains sont carrément baroques.

    Le site de l'université de Harvard a ainsi recensé une liste d’acronymes incompréhensibles dans le domaine de l'astronomie avec, par exemple, BISON (Birmingham Solar Oscillations Network), DEBRIS (Disc Emission via a Bias-free Reconnaissance in the Infrared/Sub-millimetre), PINOCCHIO (PINpointing Orbit-Crossing Collapsed HIerarchial Objects) ou encore (notre préféré) TANGOinPARIS (Testing Astroparticle with the New Gev/tev Observations Positrons And electRons : Identifying the Sources).

    Le top 10 des acronymes les plus utilisés dans les résumés d’articles scientifiques de 1950 à 2019. © Adrian Barnett, Zoe Doubleday, eLife, 2020
    Le top 10 des acronymes les plus utilisés dans les résumés d’articles scientifiques de 1950 à 2019. © Adrian Barnett, Zoe Doubleday, eLife, 2020

    Une source de confusion

    « L'utilisation massive de ces acronymes est source de confusion, d'ambiguïté et de malentendus, déplore Zoe Doubleday, l'une des auteurs de l'étude parue dans eLife. Par exemple, l'acronyme UAUA a 18 significations différentes en médecine, et six des 20 acronymes les plus utilisés ont de multiples significations communes dans la littérature médicale et de santé. Lorsque je regarde les 20 acronymes les plus couramment utilisés, je suis choquée de constater que je ne connais que la moitié d'entre eux. On a un vrai problème avec ça ».

    Que signifie par exemple l'acronyme US dans un titre d'article ? United States (États-Unis) ? Ultrasound (ultrason) ? Urinary System (système urinaire) ? HR doit-il être traduit par Heart RateRate (rythme cardiaque) ou par Hazard Ratio (ratio de hasard) ? Jusqu'à aboutir à des phases truffées de sigles illisibles du genre « RUN had significantly (p<0.05) greater size-adjusted CSMI and BSI than C, SWIM, and CYC ; and higher size, age, and YST-adjusted CSMI and BSI than SWIM and CYC ». Comprenne qui pourra.

    La création de nouveaux acronymes est devenue tout à fait acceptable dans la pratique scientifique et pour certains laboratoires c’est même une forme de marque

    On pourrait croire que les acronymes servent à écrire des titres et des résumés plus courts. Même pas ! La longueur moyenne d'un titre est passée de 9 mots en 1950 à 14,6 mots en 2019, et les résumés sont passés de 128 mots en moyenne à 220 mots en 2019. Plusieurs chercheurs s'insurgent pourtant contre ce jargon qui dessert, selon eux, l'accessibilité et la compréhension de la science par le grand public.

    En 2019, le BMJ (ou British Medical Journal) recommandait ainsi de ne pas dépasser 3 acronymes par article, et plusieurs revues ont publié des guides de bonne écriture préconisant un usage modéré des acronymes. Peine perdue... « La création de nouveaux acronymes est devenue tout à fait acceptable dans la pratique scientifique et, pour certains laboratoires, c'est même une forme de marque », soupirent les auteurs de l'article d'eLife.