Les physiciens nucléaires comptent depuis longtemps sur la diffusion d’électrons pour mesurer la taille du proton. Jusqu’ici avec des résultats entachés d’erreurs. Mais des chercheurs sont parvenus à améliorer la précision de la méthode. Ils confirment que le proton est plus petit que prévu.


au sommaire


    En 2010, une nouvelle méthode de détermination du rayon du proton reposant sur l'usage d'un hydrogène muonique et réputée d'une grande précision avait révélé une valeur de 0,84 femtomètre. Une valeur de presque 4 % inférieure à celle de 0,88 femtomètre qui était jusqu'alors obtenue par les méthodes classiques de diffusion d’électrons ou de spectroscopie atomique. Depuis, les chercheurs rivalisent d'imagination pour mettre en œuvre des expériences de plus en plus précises visant à établir, une fois pour toutes, la taille de la particule.

    En septembre dernier, une équipe de l'université de York (Canada) est ainsi parvenue à mesurer, avec une précision inégalée et par interférométrie de Ramsey - une technique qui apparaît aussi dans les horloges atomiques -, la différence d'énergie entre deux états excités de l'électronélectron d'un atomeatome d'hydrogène ordinaire. Une mesure qui permet de remonter au rayon du proton alors établi à 0,833 ± 0,010 femtomètre.

    Des physiciens du Jefferson Lab (États-Unis) ont amélioré la technique de la diffusion d’électrons pour produire une mesure du rayon du proton plus précise que jamais. © Jefferson Lab
    Des physiciens du Jefferson Lab (États-Unis) ont amélioré la technique de la diffusion d’électrons pour produire une mesure du rayon du proton plus précise que jamais. © Jefferson Lab

    Des mesures de plus en plus précises et fiables

    Aujourd'hui, une autre équipe constituée de chercheurs du Jefferson Lab (États-Unis) affirme avoir mis en œuvre des améliorations clés dans la technique de diffusiondiffusion élastique des électrons sur les protons. Les physiciensphysiciens ont ainsi eu accès à des fourchettes plus larges de transferts d'énergie, leur permettant d'assurer la cohérence de leurs données. Grâce à un calorimètre électromagnétique, ils ont aussi pu éviter le recours générateurgénérateur d'erreurs à un spectromètrespectromètre magnétique. Ils se sont enfin appuyés sur des mesures relatives plutôt qu'absolues et sont parvenus à limiter le bruit de fond.

    Selon les physiciens du Jefferson Lab, le résultat obtenu est particulièrement fiable. Il donne un rayon du proton de 0,831 ± 0,014 femtomètre. De quoi confirmer que le proton est bien plus petit qu'initialement prévu.


    Le proton est bien plus petit que prévu

    Depuis 10 ans maintenant, la différence entre la taille du proton telle que mesurée à partir d'un hydrogène muonique et la valeur théorique donnée par l'hydrogène classique déconcerte les physiciens. Une nouvelle mesure semble aujourd'hui confirmer que le rayon du proton est plus petit que ce que les chercheurs pensaient.

    Article de Nathalie MayerNathalie Mayer paru le 15/09/2019

    En 2010, une équipe de chercheurs venaient ébranler les principes sur lesquels repose la physiquephysique. Comment ? En mesurant un rayon du proton de seulement 4 % inférieur à ce que les scientifiques tenaient alors pour acquis. Depuis, entre confirmations et infirmations, la communauté était dans le doute. Et aujourd'hui, des travaux réalisés à l'université York (Canada) avancent le nouveau chiffre de 0,833 femtomètre - à 0,010 femtomètre près -, soit 0,833.10-15 mètres et 5 % moins que la valeur admise avant 2010.

    « C'est la mesure la plus compliquée que nous avons tentée dans notre laboratoire », raconte Eric Hessels, physicien. Du fait de l'extrême précision requise, huit années de travail ont été nécessaires à son équipe pour arriver à un résultat.

    Eric Hessels et son équipe de l’université York (Canada) ont mis au point une technique qui leur a permis de retrouver le rayon du proton tel que mesuré à l’aide d’hydrogène muonique, mais à partir d’hydrogène classique. © Université York
    Eric Hessels et son équipe de l’université York (Canada) ont mis au point une technique qui leur a permis de retrouver le rayon du proton tel que mesuré à l’aide d’hydrogène muonique, mais à partir d’hydrogène classique. © Université York

    La fin d’un mystère ?

    Le physicien rappelle que l'étude de 2010 a été la première à avoir recours à l'hydrogène muonique - dans lequel l'électron est remplacé par un muonmuon - pour déterminer la taille du proton. Avant, les chercheurs comptaient sur de l'hydrogène ordinaire. Et en 2017 et 2018, deux nouvelles mesures basées sur de l'hydrogène classique avaient mené à des résultats discordants. L'objectif de l'équipe de l'université York était de réconcilier ces deux points de vue.

    Les chercheurs ont pu conclure grâce à une mesure de haute précision à l'aide d'une technique dite des champs oscillatoires séparés par décalage de fréquencefréquence (Fosof) qu'ils ont spécialement développée. À la base, un faisceau d'atomes d'hydrogène rapide créé en faisant passer des protons à travers une cible d'hydrogène moléculaire gazeux. Et la méthode leur a finalement permis d'effectuer une mesure du rayon du proton comparable à la mesure basée sur le muon de l'étude de 2010.


    La taille du proton défie la physique du modèle standard

    Depuis les années 1960, les physiciens savent que le proton et le neutronneutron sont des distributions étendues de charge dont le rayon est mesurable à l'aide de faisceaux d'électrons. Deux expériences différentes, avec des atomes muoniques, ont donné des désaccords si sérieux avec les expériences en accélérateurs que certains se demandent s'il ne faudrait pas remettre en cause la physique moderne, ou pour le moins certains calculs. L'une de ces expériences a été réalisée avec le proton en 2010, l'autre avec le noyau de deutérium cette année.

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco paru le 25/08/2016

    Vue d'une partie du système de lasers nécessaire pour réaliser l'expérience de la détermination du rayon du deutéron, le noyau du deutérium. À cet endroit, la lumière invisible du laser infrarouge est convertie en un laser de lumière verte. © Institut Paul Scherrer, A. Antognini et F. Reiser
    Vue d'une partie du système de lasers nécessaire pour réaliser l'expérience de la détermination du rayon du deutéron, le noyau du deutérium. À cet endroit, la lumière invisible du laser infrarouge est convertie en un laser de lumière verte. © Institut Paul Scherrer, A. Antognini et F. Reiser

    En 1961, il était devenu clair que neutrons et protons ne sont pas des particules ponctuelles. Après les avoir bombardés, des faisceaux d'électrons sont en effet diffractés d'une manière impliquant que ces nucléonsnucléons sont constitués par une distribution étendue de charge électrique. Cette même année,

    Robert Hofstadter reçut le prix Nobel de Physique pour ses contributions à la démonstration de l'existence de ces structures.

    À la fin des années 1960 et au début des années 1970, d'autres expériences du même type précisèrent la nature des distributions de charges dans les nucléons en montrant qu'il y existait bel et bien des particules apparaissant comme ponctuelles et portant des charges fractionnaires : les quarksquarks de Gell-Mann, Ne’eman et Zweig. Un autre prix Nobel fut attribué aux chercheurs ayant joué un rôle majeur dans ces découvertes, Jerome I. Friedman, Henry W. Kendall et Richard E. Taylor.

    L'électrodynamique quantiqueélectrodynamique quantique relativiste, la théorie employée pour décrire les expériences de diffusion de faisceaux d'électrons sur les protons, est considérée comme la théorie la plus précise dont nous disposions. Elle permet de calculer certaines grandeurs physiques avec une précision en accord avec l'expérience dépassant le millionième. Cependant, dans le cas du diamètre du rayon du proton, la précision n'est que de 1 à 2 % et celle utilisée par les physiciens est de 0,877 femtomètre à +/- 0,007 (1 femtomètre = 10-15 mètre).

    Murray Gell-Mann en visite au Cern en janvier 2013. Le prix Nobel de physique se tient devant le détecteur Atlas. C'est l'un des principaux architectes du modèle standard des particules élémentaires notamment parce qu'il a prédit la structure en quark des hadrons. Ses travaux portent aussi sur la cosmologie quantique, et il est à l'origine de l'institut de Santa Fe (<em>Santa Fe Institute</em>, ou SFI), un institut de recherche spécialisé dans l'étude des systèmes complexes. © Maximilien Brice, Cern
    Murray Gell-Mann en visite au Cern en janvier 2013. Le prix Nobel de physique se tient devant le détecteur Atlas. C'est l'un des principaux architectes du modèle standard des particules élémentaires notamment parce qu'il a prédit la structure en quark des hadrons. Ses travaux portent aussi sur la cosmologie quantique, et il est à l'origine de l'institut de Santa Fe (Santa Fe Institute, ou SFI), un institut de recherche spécialisé dans l'étude des systèmes complexes. © Maximilien Brice, Cern

    Les atomes muoniques

    Certaines grandes découvertes ont résulté d'un gain dans la précision des mesures et mieux connaître le rayon du proton peut permettre de réduire les imprécisions dans l'évaluation d'autres grandeurs physiques. Dès les années 1970, des physiciens avaient proposé une expérience pour effectuer une telle mesure, mais la technologie de l'époque ne permettait pas d'atteindre la précision requise.

    L'idée était la suivante. On sait qu'il existe des cousins de l'électron qui sont plus lourds et se désintègrent rapidement. C'est le cas du muon, dont la massemasse est d'environ 207 fois celle de l'électron et qui ne vit que deux millionièmes de seconde en moyenne. Il est possible de remplacer l'électron d'un atome d'hydrogène par un muon. On parle alors d'hydrogène muonique. Contrairement aux atomes de Rydberg qui possèdent un électron sur une orbiteorbite bien plus grande que dans un atome d'hydrogène normal, un atome muonique est plus petit. À cause de sa masse, le muon a en effet une orbite quantique environ 207 fois plus proche du proton.

    À cette distance, le fait que le proton ne soit pas une charge ponctuelle se fait sentir bien plus fortement et des niveaux d'énergies nouveaux apparaissent, donnant naissance à ce que l'on appelle une structure fine pour le spectrespectre d'un atome. En soi, ce phénomène n'est pas vraiment nouveau. Dans l'atome d'hydrogène normal, se manifestent aussi des structures dites fines et hyperfines. Ainsi, en l'absence de la prise en compte des fluctuations quantiques du vide, une raie spectraleraie spectrale de l'hydrogène calculée à partir de l'équationéquation de Dirac s'était révélée être divisée en deux niveaux d'énergie très proches l'un de l'autre, comme l'avait mesuré en 1947 le physicien Willis Lamb (il décrochera lui aussi le prix Nobel pour cette découverte).

    Laser développé par les chercheurs du Laboratoire Kastler Brossel (LKB). Il permet de déterminer la fréquence de la lumière qui va exciter l'hydrogène muonique. © <em>CREMA collaboration</em>
    Laser développé par les chercheurs du Laboratoire Kastler Brossel (LKB). Il permet de déterminer la fréquence de la lumière qui va exciter l'hydrogène muonique. © CREMA collaboration

    0,8418 femtomètre, c'est bien peu...

    Ce déplacement de Lamb 2S-2P entre les niveaux d'énergie se retrouve dans un atome muonique et on peut contraindre un muon à effectuer une transition entre ces deux niveaux sous l'effet d'un faisceau laserlaser bien ajusté opérant dans l'infrarougeinfrarouge. Un tel laser a précisément été conçu, notamment avec l'aide des chercheurs du Laboratoire Kastler Brossel (LKB).

    En mesurant des photonsphotons indirectement associés à cette transition, il est possible d'en déduire l'influence de la distribution de charge du proton sur les caractéristiques du déplacement de Lamb et surtout d'en déduire le rayon du proton avec une précision de 0,1 %.

    La tâche est difficile car il ne faut pas seulement produire un nombre suffisant d'atomes d'hydrogène muonique. Les impulsions laser doivent être générées durant une duréedurée très faible, plus courte que le temps de vie des muons dans les atomes.

    Pour obtenir les précieux atomes muoniques, les chercheurs du LKB ont profité de l'accélérateur de l'institut Paul Scherrer (PSI), en Suisse, offrant un faisceau de muons particulièrement intense. En bombardant ainsi des atomes d'hydrogène dans une moléculemolécule, on peut obtenir des atomes muoniques.


    Une vidéo montrant le déroulement de l'expérience de mesure du rayon du proton avec des atomes muoniques. © Institut Paul Scherrer (PSI)

    Il a fallu des années pour conduire à bien l'expérience. La peine a été récompensée... par une grosse surprise. Alors que les expériences avec des électrons donnent un rayon de 0,877 femtomètre (à +/- 0,007), l'expérience au PSI conduit à une valeur de 0,8418 femtomètre (à +/- 0,0007) ! Ces deux valeurs, si différentes, ne sont pas, dans l'état, conciliables, même en tenant compte des incertitudes de mesures.

    Ce résultat, publié dans Nature en mars 2010, est particulièrement dérangeant, à tel point que certains n'hésitent pas à poser la question : sommes-nous si sûrs de l'électrodynamique quantique ? Il se pourrait aussi qu'une erreur subtile se soit introduite dans les calculs, ou même qu'intervienne de la nouvelle physique, comme de la supersymétriesupersymétrie. Pour tenter d'y voir plus clair, les chercheurs se proposaient alorsde reproduire l'expérience avec de l'héliumhélium muonique.

    C'est finalement avec des atomes muoniques formés par des noyaux de deutérium que l'expérience a été réalisée, comme l'explique un article paru en 2016 dans le journal Science. Entre-temps, personne n'a trouvé de défaut dans les expériences précédemment réalisées.

    Comme on peut le voir dans un nouveau communiqué de l'institut Paul Scherrer, l'énigme persiste. Les mesures du rayon du deutéron, le noyau du deutérium, lui donnent, là encore, une valeur plus petite que celle obtenue avec les faisceaux d'électrons. Une nouvelle physique peut être invoquée mais personne ne sait laquelle.