Des fermions refroidis à moins d’un milliardième de degré au-dessus du zéro absolu. Le record est battu. Mais pas seulement pour la gloire. Si les chercheurs sont descendus à des températures aussi extrêmes, c’est pour avoir un aperçu de l’influence de la mécanique quantique sur les propriétés des matériaux.


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    Celles que les physiciensphysiciens classent dans la catégorie des fermions, ce sont des particules somme toute assez classiques. Vous en connaissez au moins quelques-unes. L'électron ou le neutrino sont des fermions. Les atomes d'ytterbium (Yb) à l'état solideétat solide peuvent aussi être traités comme des fermions. Et, s'aidant de faisceaux laserslasers, des chercheurs de l’université de Kyoto (Japon) viennent de réussir à en refroidir à une température incroyablement basse. De l'ordre du milliardième de degré seulement au-dessus du zéro absoluzéro absolu. C'est environ 3 milliards de fois plus froid que dans l'espace interstellaire. Un record !

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    Mais ce n'est pas simplement pour battre un record que les physiciens ont voulu descendre aussi bas en température. C'est qu'à ce stade, de nouveaux phénomènes apparaissent. Des propriétés quantiques, notamment. Et atteindre de telles températures extrêmes leur permet d'observer des systèmes en action que même les plus puissants des supercalculateurs actuels ne sont pas capables de simuler.

    Il y a par exemple le système que les chercheurs appellent le modèle de Hubbard. Du nom du physicien qui l'a imaginé au début des années 1960. Il décrit le comportement des fermions sur un réseau - des atomes qui forment un solide, par exemple - qui n'interagissent que lorsqu'ils se trouvent sur un même site - un même atome. Les chercheurs d'aujourd'hui l'utilisent pour étudier le comportement magnétique et supraconducteursupraconducteur des matériaux. Ce qui se passe lorsque des électrons se comportent de manière collective. Un peu comme des fans de foot qui lancent une « ola » dans un stade.

    Cette vue d’artiste montre les corrélations magnétiques complexes que les physiciens de l’université de Kyoto (Japon) ont observé dans leurs atomes d’ytterbium refroidit des milliards de fois plus que l’espace interstellaire. Les couleurs représentent les six états de spin possibles pour chaque atome. © Ella Maru Studio, K. Hazzard, Université Rice
    Cette vue d’artiste montre les corrélations magnétiques complexes que les physiciens de l’université de Kyoto (Japon) ont observé dans leurs atomes d’ytterbium refroidit des milliards de fois plus que l’espace interstellaire. Les couleurs représentent les six états de spin possibles pour chaque atome. © Ella Maru Studio, K. Hazzard, Université Rice

    Percer les secrets des matériaux

    Les chercheurs de l'université de Kyoto se sont intéressés à un modèle de Hubbard un peu particulier, le modèle nommé SU(N). Drôle de nom. Tant que l'on ne sait pas que « SU » est une manière mathématique de décrire la très haute symétrie du système et que « N » désigne les états de spin possibles pour les particules qui le composent. Dans la présente expérience, des atomes d'ytterbium, donc. Ceux-ci peuvent présenter six états de spinspin différents. Et pour la première fois, les physiciens ont ainsi révélé des corrélations magnétiques dans un modèle de Hubbard SU(6). Comprenez que l'alignement magnétique quantique d'un atome affecte celui des autres.

    Ce qu'ils espèrent, c'est finalement comprendre pourquoi des matériaux solides deviennent des métauxmétaux, des isolants, des aimantsaimants ou des supraconducteurs. Puisque la symétrie du système pourrait jouer un rôle, des expériences du type de celle développée à Kyoto pourraient apporter des réponses. Et pourquoi pas, orienter les chercheurs vers une façon de développer des matériaux avec les propriétés souhaitées.

    Les physiciens précisent que les corrélations observées sont de courte portée. Mais en refroidissant encore plus la matièrematière, ils s'attendent à voir apparaître des phases plus subtiles et plus exotiquesexotiques. Des phases qui ne seraient pas ordonnées selon un schéma évident. Pas non plus tout à fait aléatoires. Des phases qui n'apparaissent que lorsque l'on peut observer le système dans son ensemble. Sur quelque 300.000 atomes d'un réseau en 3D. Comme l'ont fait les chercheurs de l'université de Kyoto. Il ne leur reste plus qu'à développer maintenant les outils capables de mesurer de tels comportements. Le défi est relevé.