Le graphène moléculaire, comme l’appellent des physiciens du solide de l’université de Stanford dans un article de Nature, n’est pas vraiment du graphène et présente une propriété étonnante : il permet de manipuler des courants d’électrons comme s’ils avaient, au choix, une masse nulle ou pas, ou encore comme s'ils étaient plongés dans des champs magnétiques extraordinairement intenses.

au sommaire


    La structure 2D en nid d'abeille d'un feuillet de graphène. © Jannik Meyer

    La structure 2D en nid d'abeille d'un feuillet de graphène. © Jannik Meyer

    Par définition, l'électronique repose sur la manipulation des électrons, en particulier dans les solides comme les semi-conducteurs. Les physiciensphysiciens du monde entier qui cherchent à repousser les limites de cette électronique explorent donc le comportement des électrons dans de nouveaux matériaux ainsi que les moyens de les manipuler. On attend beaucoup du jeune domaine de la spintronique ainsi que du matériau miracle qu'est le graphènegraphène, qui a valu le prix Nobel de physique 2010 à ses découvreurs. 

    Une propriété assez étonnante du graphène est que les électrons peuvent se propager dans sa structure en deux dimensions comme s'ils étaient sans masse. Techniquement, tout se passe comme s'ils étaient décrits par l'équationéquation de Dirac de l'électrodynamique quantiqueélectrodynamique quantique relativiste à très hautes énergiesénergies. On pourrait donc croire que les électrons peuvent se déplacer dans le graphène à la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière, mais ils vont bien plus lentement. Les caractéristiques sont effectivement équivalentes, dans le graphène, à celles de la QED relativiste, avec des équations mathématiquement identiques à celles d'électrons et de positronspositrons de Dirac sans masse et une vitesse limite effective plus faible que c.


    Vidéo montrant l'assemblage des molécules de monoxyde de carbone (CO) avec un microscope à effet tunnel. © emulenews-YouTube

    Un groupe de chercheurs de l'université de Stanford vient de publier dans Nature les résultats de travaux menés sur des structures de synthèse ressemblant beaucoup au graphène mais qui n'en sont pas. L'équipe a déposé sur une couche de cuivrecuivre des moléculesmolécules de monoxyde de carbonemonoxyde de carbone (CO) à l'aide d'un microscope à effet tunnelmicroscope à effet tunnel, une technique connue en nanotechnologie où l'on sait manipuler les atomesatomes un par un.

    Graphène moléculaire : des faux champs magnétiques de 60 T

    Il est possible de former de cette façon une sorte de pavage de la couche d'atomes de cuivre fort semblable au réseau régulier en nid d'abeille des atomes de carbone du graphène. Les molécules de CO repoussent les électrons libres à la surface du cuivre et les contraignent à se comporter de multiples façons que les chercheurs peuvent choisir.

    En modifiant les caractéristiques du réseau de molécules, par exemple en introduisant des défauts ou des impuretés, il est possible de réaliser des équivalents du graphène dans lesquels les longueurs et les forces des liaisons carbone-carbone seraient modulables à volonté. Il en découle un matériau, que les chercheurs ont baptisé graphène moléculaire, dans lequel les électrons se déplacent par endroit comme s'ils étaient sans masse ou avec une masse donnée.

    Mieux, les électrons adoptent un comportement similaire à celui qu'ils auraient dans des champs magnétiqueschamps magnétiques ou électriques intenses... alors que ces champs sont en réalité absents ! Ainsi, dans certaines expériences, tout se passe comme si les électrons étaient plongés dans un champ de 60 T (teslasteslas), c'est-à-dire supérieur de 30 % aux champs continus les plus intenses obtenus en laboratoire et plus de un million de fois plus intense que le champ magnétique terrestrechamp magnétique terrestre.

    Cette découverte n'est pas seulement une nouvelle manière de simuler certains phénomènes physiquesphysiques, c'est aussi une nouvelle voie d'exploration pour la technologie de demain.