Après plusieurs siècles d’efforts, des archéologues français et italiens viennent de découvrir la position précise du port antique d’Ostie. Contre toute attente, ce site situé sur le Tibre, aux portes de Rome, pouvait accueillir de grands navires maritimes.  

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    Vue aérienne d'Ostie et la position de son bassin portuaire antique colmaté (au premier plan). Vers la gauche du cliché, le Tibre coule en bordure du palais impérial. En rouge, les sites de carottage. © S. Keay

    Vue aérienne d'Ostie et la position de son bassin portuaire antique colmaté (au premier plan). Vers la gauche du cliché, le Tibre coule en bordure du palais impérial. En rouge, les sites de carottage. © S. Keay

    D'après les textes anciens, la ville antique d'Ostie a été fondée par Ancus Marcius, le 4e roi de Rome. L'objectif était triple : donner à la capitale romaine un débouché sur la mer, assurer son ravitaillement en bléblé et en sel, et enfin empêcher une flotte ennemie de remonter le Tibre. Les fouilles archéologiques ont montré que le noyau urbain initial (castrum) remonte au plus tôt au tournant des IVe et IIIe siècles avant J.-C. Si les grands édifices antiques et les principales voies ont été progressivement mis au jour, l'emplacement du port fluvial d'embouchure d'Ostie restait jusque-là inconnu. Pour certains, il était considéré comme un port perdu à jamais.

    En effet, depuis la Renaissance, de nombreuses tentatives de localisation du port ont été entreprises, sans succès. Il faut attendre les XIXe et XXe siècles pour que des archéologues italiens définissent un secteur au nord-ouest de la ville, proche du palais impérial. Au début du XXIe siècle, les archéologues confirment la probable localisation du bassin dans ce secteur grâce à l'utilisation d'instruments géomagnétiques. Mais il n'y avait toujours pas consensus sur la localisation exacte du port et le débat restait vif.

    Une équipe franco-italienne dirigée par Jean-Philippe Goiran, chercheur au laboratoire Archéorient (CNRS, université Lumière Lyon 2), a tenté de vérifier définitivement l'hypothèse d'un port au nord grâce à un nouveau carottier géologique. Bénéficiant des derniers progrès technologiques, il permet de dépasser le problème de la nappe d'eau phréatiquephréatique qui empêchait la réalisation de fouilles archéologiques traditionnelles au-delà de 2 m de profondeur.

    Mosaïque antique retrouvée dans les thermes d'Ostie, précisément dans le <em>frigidarium</em>, la zone où l'on pouvait prendre des bains froids. Le port d’Ostie, jusqu’alors considéré comme un port fluvial, possédait en réalité un bassin susceptible d’accueillir de grands navires maritimes. © Gabriele Gorla, <em>Wikimedia commons</em>, cc by sa 2.5

    Mosaïque antique retrouvée dans les thermes d'Ostie, précisément dans le frigidarium, la zone où l'on pouvait prendre des bains froids. Le port d’Ostie, jusqu’alors considéré comme un port fluvial, possédait en réalité un bassin susceptible d’accueillir de grands navires maritimes. © Gabriele Gorla, Wikimedia commons, cc by sa 2.5

    Des résultats sédimentaires à Ostie en 3 actes

    Les carottes sédimentaires obtenues ont permis de mettre au jour une stratigraphie complète sur une profondeur de 12 m et une évolution en 3 étapes : 

    1. la stratestrate la plus profonde, qui est antérieure à la fondation d'Ostie, indique que la mer était présente dans ce secteur au début du Ier millénaire avant J.-C. ;
    2. une strate médiane, riche en sédiments argilo-limoneux de couleur grise, caractérise un facièsfaciès portuaire. Les calculs donnent une profondeur de 6 m au bassin au début de son fonctionnement, daté entre le IVe et le IIe siècle avant J.-C. Considéré jusqu'alors comme un port essentiellement fluvial, ne pouvant accueillir que des bateaux à faible tirant d'eau, le port d'Ostie bénéficiait en réalité d'un bassin profond susceptible d'accueillir de grands navires maritimes. C'est ce qu'a montré la mesure de la profondeur ;
    3. la strate la plus récente témoigne de l'abandon du bassin à l'époque romaine impériale par des accumulations massives d'alluvions. Grâce aux datations au radiocarbone, il est possible d'en déduire qu'une succession d'épisodes de crues majeures du Tibre est venue colmater définitivement le bassin portuaire d'Ostie entre le IIe siècle avant J.-C. et le premier quart de siècle après J.-C. (et ce malgré d'éventuelles phases de curagecurage). À cette période, la profondeur du bassin est inférieure à 1 m, ce qui rend toute navigation impossible. Ces résultats sont en accord avec le discours du géographe Strabon (58 avant J.-C. - 21 ou 25 après J.-C.) qui indique un comblement du port d'Ostie par des sédimentssédiments du Tibre à son époque. Ce lieu a été abandonné au profit d'un nouveau complexe portuaire construit à 3 km au nord de l'embouchure du Tibre, du nom de Portus. 

    Le précurseur de Portus, le plus grand port romain de Méditerranée

    Cette découverte du bassin portuaire d'embouchure d'Ostie, au nord de la ville et à l'ouest du palais impérial, va permettre de mieux comprendre les liens entre Ostie, son port et la création ex nihilo de Portus, commencé en 42 après J.-C. et achevé sous Néron en 64 après J.-C. Ce gigantesque port de 200 ha deviendra alors le port de Rome et le plus grand jamais construit par les Romains en Méditerranée.

    Entre l'abandon du port d'Ostie et le lancement des opérations de constructionconstruction de Portus, les chercheurs estiment ainsi que près de 25 ans se sont écoulés. Comment Rome, capitale du monde antique, et première ville à atteindre un million d'habitant, était-elle alimentée en blé durant cette période ? La question se pose à présent aux chercheurs. Ces travaux ont été publiés dans les chroniques des Mélanges de l'école française de Rome du mois de décembre 2012.