À l'ère d'Apollo et celle d'Artemis, les courses à la Lune ne sont évidemment pas dictées par les mêmes enjeux idéologiques et de suprématie du début des années 1960 quand les Soviétiques triomphaient dans la conquête spatiale en réalisant de nombreuses « premières ». Les explications d'Isabelle Sourbès-Verger, géographe spécialiste des politiques spatiales et directrice de recherche au CNRS (Centre Alexandre Koyré).


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    C'est dans un contexte géopolitique de guerre froide que le 25 mai 1961 le président Kennedy lance la course à la Lune devant le Congrès des États-Unis. Comme nous l'explique Isabelle Sourbès-Verger, géographe spécialiste des politiques spatiales et directrice de recherche au CNRS (Centre Alexandre Koyré), les enjeux du « programme Apollo étaient de rétablir définitivement la supériorité des États-Unis comme puissance spatiale capable de faire des choses que personne ne savait faire ».

    Après les débuts triomphants du programme spatial soviétique, avec le lancement de Spoutnik, le premier satellite artificiel à tourner autour de la Terre (octobre 1957), la première photo de la face cachée de la Lune (octobre 1959) et le cosmonaute Youri Gagarine, premier Homme à tourner autour de la Terre en avril 1961, les « États-Unis sont sous le choc de la domination des "premières" soviétiques au début de ce qui va être très vite appelé la conquête spatiale ».

    Par rapport à l'image qu'ils souhaitent donner au monde et à eux-mêmes, les États-Unis sont « obligés de réagir et pas seulement dans le domaine spatial ». De façon à démontrer leur supériorité technologique sur l'Union soviétique, « plusieurs projets d'ampleur sont proposés à Kennedy, dont celui de la marche sur la Lune, qui sera retenu comme étant le plus symbolique ».

    Kennedy, qui n'est pas lui-même un passionné de l'exploration spatiale, prend donc la « décision d'envoyer des Hommes sur la Lune avant la fin de la décennie soixante » et d'y aller très vite afin d'éviter « que les Soviétiques y parviennent avant eux ». Cette décision est précise en tablant sur les supériorités américaines par rapport à l'URSS, à savoir « les ressources financières et la capacité à mettre en place un management pour coordonner un projet aussi grand ». Kennedy met ainsi l'URSS en difficulté, du « fait du caractère secret et très cloisonné des activités spatiales soviétiques développées au sein du complexe militaro-industriel, ce qui limite les possibilités de synergiesynergie et de créativité ».

    En parallèle, Kennedy demande et obtient des financements pour le développement de satellites de télécommunications, nécessaires pour diffuser dans le monde les images des missions ApolloApollo.

    Buzz Aldrin saluant le drapeau américain planté sur le sol lunaire. © Nasa
    Buzz Aldrin saluant le drapeau américain planté sur le sol lunaire. © Nasa

    Des succès soviétiques 

    Les Soviétiques ne vont évidemment pas rester les bras croisés et ont aussi l'objectif d'envoyer des Humains sur la Lune. Mais, « plusieurs évènements vont jouer contre eux ». La première chose, c'est « qu'ils n'ont pas le budget et ils ne choisissent pas d'en faire un programme prioritaire », à la différence des États-Unis dont le pays entier va contribuer à cet effort spatial inédit. Comme le souligne Xavier Pasco dans un article publié dans HermèsHermès, La Revue (Éditions du CNRS), l'activité spatiale américaine est née « d'une mobilisation exceptionnelle. Humaine d'abord (avec 180.000 personnes employées pour le seul programme Apollo), financière ensuite (avec près de 0,8 % du produit national brut américain consacré à l'espace au maximum de l'effort en 1965) ». Le décès en 1966 de Sergueï Pavlovitch Korolev, le père du programme spatial soviétique et « seule personnalité à pouvoir dépasser les rivalités internes du programme spatial » ne va évidemment pas arranger les affaires des Soviétiques où « aucune coordination entre les entités n'existe », précise Isabelle Sourbès-Verger.

    Cela dit, s'ils ne réussissent pas à envoyer de cosmonautes sur la Lune et rateront l'envoi d'une mission habitée autour de la Lune avant les États-Unis, les Soviétiques auront tout de même des succès. Ils feront ainsi rouler sur la Lune Lunokhod, un véhicule lunaire téléguidé depuis la Terre et réussiront à rapporter sur Terre des échantillons de la Lune (Luna-16, 12/09/70). Notons qu'à partir du milieu des années 1970, les cosmonautes soviétiques seront seuls à tourner autour de la Terre à bord des stations Saliout puis de la station MIRMIR alors que les activités américaines habitées seront en stand-by jusqu'à l'épopée de la navette spatiale dont le premier vol a lieu en 1981. C'est d'ailleurs cette expérience très réussie qui sera largement exploitée dans le contexte de la station spatiale internationale.

    De Kennedy à Trump, le même credo de la supériorité

    Aujourd'hui, les États-Unis relancent une course à la Lune dans un contexte très différent de l'époque du programme Apollo. Une « pseudo course » tient à souligner Isabelle Sourbès-Verger, plutôt surprise. Dans la mesure où les Chinois ont bien « des visées lunaires mais encore limitées » et se sont dotés d'un programme d’exploration robotique solide et pragmatique, loin des ressources financières américaines, il est plutôt surprenant de voir des hommes politiques américains « comparer les capacités chinoises à celle des Américains », ce qui en soi « pose problème ». En effet, la Chine est encore dans une « phase de rattrapage et de maîtrise technologique », et elle ne peut que « se féliciter de voir qu'elle est créditée de faire jeu égal avec les États-Unis ». Quant à savoir si les Chinois enverront des taïkonautes sur la Lune, « cela n'a pas été approuvé et dépendra des priorités du pouvoir politique chinois » qui doit y trouver un intérêt très significatif compte tenu du financement nécessaire. Une « option que les projets américains pourraient renforcer en suscitant un gain de fierté nationale et d'image de puissance internationale ».

    Par rapport à Apollo, le vrai problème aujourd'hui, c'est « qu'il n'y a pas de projet politique cohérent et de long terme concernant la Lune, que ce soit pour les États-Unis mais aussi les autres puissances spatiales que sont l'Europe, le Japon et la Russie ».

    Avec leur programme Artemis, les Américains sont repartis à destination de la Lune avec l'idée que « cela puisse servir pour Mars et réfléchissent à comment y rester durablement ». Quant à l'Europe, le Japon et la Russie, « tous souhaitent coopérer au sein de programmes internationaux », à la différence de la Chine et de l'Inde qui souhaitent « acquérir les compétences qui leur manquent pour voyager, vivre et travailler sur la Lune et avoir un rang significatif dans d'éventuelles coopérations ultérieures ».