Ce n’est pas surprenant : les nettoyeurs de la centrale nucléaire de Tchernobyl après l’explosion présentent davantage de leucémies que la population générale. En revanche, ils développent également des leucémies lymphoïdes chroniques que l’on ne pensait pas associées à la radioactivité. Avec cette étude, les scientifiques espèrent maintenant mieux établir les risques sanitaires d’une exposition à des faibles doses radioactives, comme lors d’une séance de rayons X.

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    Vingt-six avril 1986, centrale nucléairecentrale nucléaire de Tchernobyl, Ukraine. Un test d'urgence tourne mal. Le réacteur numéro 4 s'emballe, son cœur entre en fusionfusion. S'ensuivent deux violentes explosions destructrices. Les lieux deviennent aussitôt hautement radioactifs. La catastrophe sera même classée ultérieurement au niveau 7 sur l'échelle internationale des événements nucléaireséchelle internationale des événements nucléaires, soit le degré maximal. Pourtant, des travailleurs sont venus au plus vite sur place et ont fait de leur mieux pour nettoyer la zone.

    En tout, ils ont été plus de 500.000 liquidateurs à essayer de résorber l'accident, exposés à des degrés divers de radioactivité. Certains ont absorbé en quelques heures seulement les doses normalement tolérées à l'échelle d'une vie entière. Quelles conséquences sur la santé ?

    Ce débat fait l'objet de polémiques. Des scientifiques de l'University of California de San Francisco (UCSF) ont mené l'étude la plus vaste et la plus importante sur les nettoyeurs de la fameuse centrale nucléaire. Leurs résultats, publiés dans la revue Environmental Health Perspectives, laissent entrevoir quelques surprises et quelques précisions nouvelles.

    Plus de 500.000 personnes sont venues nettoyer les lieux de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Dans des combinaisons de fortune, ils affrontaient la radioactivité quelques secondes seulement et se relayaient en permanence. Un mémorial a été construit en leur honneur dans la ville ukrainienne. © Marco Fieber, Fotopédia, cc by nc nd 2.0

    Plus de 500.000 personnes sont venues nettoyer les lieux de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Dans des combinaisons de fortune, ils affrontaient la radioactivité quelques secondes seulement et se relayaient en permanence. Un mémorial a été construit en leur honneur dans la ville ukrainienne. © Marco Fieber, Fotopédia, cc by nc nd 2.0

    Des liquidateurs touchés par tous types de leucémies

    Ce travail regroupe le suivi durant une vingtaine d'années de 110.645 des nettoyeurs de Tchernobyl. De manière attendue, les risques de développement d'une leucémie, un cancer de la moelle osseuse, sont plus importants que pour le reste de la population générale, une probabilité estimée supplémentaire à 16 %. Jusque-là, rien d'étonnant car on sait depuis longtemps que la radioactivitéradioactivité affecte directement l'ADN de la moelle osseuse, une action potentiellement cancérigène.

    Cependant, il existe différents types de leucémies. L'une d'entre elles, dite lymphoïde chronique (LLCLLC), n'avait pas été reliée à la radioactivité. En effet, les Japonais ayant survécu aux bombes atomiques lancées sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945 n'avaient pas présenté cette forme de cancer, ce qui poussait les scientifiques à ne pas établir de corrélation entre rayonnement ionisant et LLC.

    Or, pour les liquidateurs ukrainiens, on ne constate aucune distinction : cette forme de leucémie est retrouvée avec les mêmes incidencesincidences que les autres. Ainsi la radioactivité induit également les LLC. Les auteurs expliquent ce résultat par la différence ethnique. Au Japon, les leucémies lymphoïdeslymphoïdes chroniques ne représentent que 3 % des leucémies, quand elles comptent pour un tiers aux États-Unis et 40 % en Ukraine, sous-entendant que les populations d'Extrême-Orient sont beaucoup moins sensibles à ce type de cancer qu'en Occident. Du fait de leur rareté, les études précédentes n'auraient pu le remarquer.

    La leucémie lymphoïde chronique, qui se caractérise le plus souvent par une prolifération anormale des lymphocytes B, est la plus fréquente des leucémies en Occident. Elle touche généralement les personnes après 50 ans. © DR

    La leucémie lymphoïde chronique, qui se caractérise le plus souvent par une prolifération anormale des lymphocytes B, est la plus fréquente des leucémies en Occident. Elle touche généralement les personnes après 50 ans. © DR

    Rayons X : quels dangers pour les patients ?

    Si cette découverte remet en cause un principe que l'on pensait plus ou moins établi, elle aura d'autres implications. Depuis longtemps règne un débat au sein de la communauté scientifique pour déterminer les risques sanitaires d'une exposition à des doses faibles ou modérées de radioactivité. Que peut-on craindre pour les ouvriers du nucléaire, les mineurs ou autres travailleurs confrontés à des rayonnements ionisants, mais aussi pour les patients soumis à des rayons Xrayons X pour des examens médicaux ?

    Là encore, pour servir de référence, les chercheurs se sont basés sur les résultats obtenus chez les populations nipponnes ayant survécu aux deux bombes atomiques. Ensuite, ces données ont été extrapolées pour les doses moins fortes en considérant une relation de proportionnalité, selon le principe de précautionprincipe de précaution.

    Seulement, le modèle reste imprécis. En effet, à Hiroshima et Nagasaki, les habitants ont été exposés à des rayonnements gamma ou des neutronsneutrons, différents des rayons X utilisés en tomodensitométrietomodensitométrie. Il devient hasardeux de comparer deux choses différentes. À Tchernobyl, en revanche, la radioactivité se situe plus ou moins entre les deux situations. Grâce à cela, les auteurs de cette recherche espèrent que le modèle théorique pourra être affiné.