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Vingt ans après l'accident de Tchernobyl, dans quelle mesure est-il possible d'évaluer précisément ses retombées radioactives en France ?
(Crédits : International Atomic Energy Agency)Le professeur André Aurengo, spécialiste des pathologies thyroïdiennes, est le chef du service central de médecine nucléaire du groupe hospitalier La Pitié-Salpêtrière, à Paris. Le 18 avril dernier, il a remis aux Ministres de la Santé et des Solidarités et de l'Ecologie et du Développement durableDéveloppement durable son rapport sur les retombées de l'accident de Tchernobyl en France. Ce rapport « est une analyse des différentes cartes et modèles proposés pour l'évaluation de ces retombées et des estimations des doses reçues par les populations. »
Sollicité par Futura-Sciences, il a transmis à la rédaction une mise au point sur le sujet, sous la forme de cinq réponses à cinq questions choisies par ses soins, représentatives des inquiétudes des français à ce sujet. Par ce biais, nous vous proposons de mieux cerner les conséquences environnementales et sanitaires de l'accident de Tchernobyl en France.
Question 1 : Dispose-t-on aujourd'hui d'une estimation fiable des retombées de l'accident sur le sol français ?
On ne dispose actuellement d'aucune carte réellement fiable de ces retombées dans le sol, qu'il s'agisse des iodesiodes radioactifs (qui ont disparu en quelques semaines), du césiumcésium 134 (pratiquement disparu en dix à douze ans) ou du césium 137 (toujours présent).
Les cartes publiées par le SCPRI (1986) ou la Commission européenne (1998) sont fondées sur un très petit nombre de mesures et comportent des erreurs manifestes ; les modèles proposés par l'IPSN puis l'IRSN en 2003 et 2005 reposent sur des hypothèses que les mesures réelles ont prouvé être fausses ou extrêmement approximatives, leur enlevant toute validité quantitative.
Question 2 : Est-ce que cela veut dire qu'on ne connaît pas l'irradiationirradiation qu'ont reçue les français et en particulier la thyroïde des enfants ?
Même des cartes fiables des retombées dans le sol ne permettraient pas de calculer ces doses pour une raison simple : les fortes contaminations du sol correspondent à des pluies abondantes, mais à partir d'environ 15 mm de pluie sur l'herbe et les légumes à feuilles (épinardsépinards, salades), celle-ci s'écoule vers le sol et ces légumes (ou le lait) ne sont pas davantage contaminés. Donc, une forte contamination du sol n'est donc pas synonyme de forte contamination des aliments (à part certains comme les champignonschampignons, dont la contamination se fait par les racines). Des tentatives de calculs de dose à la thyroïde à partir des modèles de contamination des sols ont été présentés à Ajaccio en 2002, mais ils n'ont pas de validité.
En revanche, on a une estimation assez fiable des doses d'irradiation des français secondaires à Tchernobyl, grâce aux très nombreuses mesures effectuées en 1986 par le SCPRI sur les produits alimentaires, et au programme Astral développé ultérieurement par l'IPSN (1997). Ces estimations montrent que l'on peut découper la France en quatre zones où les doses moyennes reçues diminuent d'est en ouest. Le modèle Astral, rigoureux et validé par de nombreuses mesures, a été attaqué car ses résultats furent (à tort) présentés comme des retombées sur le sol, alors qu'ils sont d'une nature différente : Astral sert à calculer des doses, pas des retombées au sol ; une comparaison de des résultats d'Astral avec les dépôts mesurés dans le sol n'a pas de sens.
Carte des retombées de l'accident de Tchernobyl en France
Dépôts moyens d'iode 131 par département à la suite de l'accident de Tchernobyl
(estimations relatives au mois de mai 1986)
(Crédits : IPSN)Question 3 : Peut-on ainsi calculer la dose à la thyroïde pour tous les enfants ?
Astral donne des valeurs moyennes dont certains cas particuliers peuvent s'écarter. Les résultats d'Astral sont fiables pour la très grande majorité de la population dont la consommation alimentaire a des origines variées, avec un effet de mélange. Pour certains enfants vivant en autarcie, il est possible que les doses aient été supérieures. Ces cas particuliers sont à analyser au cas par cas et une carte des dépôts n'est certainement pas la meilleure manière d'aborder ce problème car elle dépend essentiellement de la pluie, contrairement à la contamination des aliments : ce n'est pas en regardant où il a plu le plus qu'on peut déduire où les contaminations alimentaires ont été les plus fortes.
Question 4 : Que peut-on déduire de ces calculs quant aux cancers de la thyroïde ?
Les estimations des doses à la thyroïde ont été utilisées par l'IPSN et l'InVS pour calculer le nombre de cancers de la thyroïdecancers de la thyroïde en excès auquel on pouvait s'attendre du fait des retombées de Tchernobyl en France.
Rappelons tout d'abord que :
- L'irradiation de la thyroïde résulte des iodes radioactifs (131 et 132) qui sont concentrés dans la glandeglande. L'irradiation thyroïdienne par le césium radioactif est équivalente à celle du corps entier ;
- L'iode radioactif peut donner des cancers thyroïdiens chez l'enfant, mais pas chez l'adulte, comme le montrent des études épidémiologiques portant sur 45.000 personnes traitées ou explorées avec de l'iode 131, ainsi que le suivi des irradiés d'Hiroshima et Nagasaki. Les enfants de l'ex-URSS qui ont eu des cancers thyroïdiens après Tchernobyl avaient à 80% moins de 5 ans et à 98% moins de 10 ans ;
- Ces cancers thyroïdiens de l'enfant n'apparaissent que pour des doses assez importantes. Après une irradiation brutale de la thyroïde (radiothérapieradiothérapie, Hiroshima-Nagasaki) on ne voit pas d'augmentation du risque de cancer au dessous de 100 mSv.
- Parce qu'elle a débuté en 1975 ;
- Du fait qu'on la rencontre dans tous les pays développés où on pratique des échographies, qu'ils aient été contaminés ou non par l'accident ;
- Car ne concerne que les adultes alors qu'un « effet Tchernobyl » ne concernerait que des enfants très jeunes ou in utero en 86 ;
- Enfin parce que l'augmentation département par département ne suit pas celle de la contamination (par exemple, quand on compare les périodes 82-86 et 92-96, le nombre de cancers a été multiplié par 4 dans le Calvados et par 2 dans le Bas-Rh
Les estimations de l'IPSN et l'InVS ont considéré, par précaution, que le risque de cancer thyroïdien des enfants français était proportionnel à la dose reçue par la thyroïde, si faible soit-elle. Ils en déduisent qu'entre 1991 et 2015, le nombre de cancers en excès pourrait être compris entre 0 et un maximum de 7 à 55. Cette incertitude n'est évidemment pas satisfaisante mais elle montre la difficulté de mettre cet éventuel excès en évidence car pendant la même période, il y aura dans la même population 900 ± 60 cancers thyroïdiens spontanés.
Ces calculs sont valables pour la grande majorité de la population, les cas d'enfants vivant en autarcie sont à analyser au cas par cas.
Nombre estimé de cas de cancers de la thyroïde survenus en France selon l'année
(Crédits : InVS)
Question 5 : Pourtant les cancers de la thyroïde sont en augmentation depuis 1986 ?
En réalité, cette augmentation à commencé vers 1975 (dix ans avant l'accident) et elle n'a pas eu de modification de rythme depuis 1986. La plupart des spécialistes (médecine nucléaire où sont traités les cancers thyroïdiens, endocrinologues) pensent que cette augmentation est liée à l'essor de l'échographieéchographie et à l'évolution des pratiques chirurgicales. Avant Tchernobyl, on savait déjà que chez 6 à 28% des adultes, il y a de très petits cancers de la thyroïde qui ne se développent pas et passent pour la plupart inaperçus. Si on les cherche par échographie (qui permet de dépister un nodule de quelques millimètres) on les trouve et les statistiques se trouvent artificiellement gonflées par ces petits cancers sans gravitégravité (d'ailleurs, alors que nos méthodes thérapeutiques ont peu changé, la mortalité par cancer thyroïdien diminue faiblement mais régulièrement).
Les spécialistes ne pensent pas que l'augmentation des cancers thyroïdiens en France soit liée à Tchernobyl :