La croûte terrestre représente la couche la plus externe de la Terre. Enveloppe rigide, elle est présente en tous points du globe et surmonte le manteau. Il existe deux principaux types de croûte, continentale et océanique, ayant des épaisseurs et des compositions très différentes.


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    La croûte continentale, majoritairement composée de granite, a été formée au début de l'histoire de la Terre et son volumevolume reste globalement stable depuis. En revanche, la croûte océanique est continuellement créée au niveau des dorsales océaniques et disparaît dans les zones de subductionzones de subduction. La vision « classique », dite de Penrose, de la structure de la croûte océanique, repose sur le modèle d'une colonne comprenant de bas en haut : gabbrosgabbros - complexe filonien - basaltesbasaltes. Cependant, la découverte ces dernières décennies de zones où le manteau affleure sur le fond océanique a remis en question les processus liés à sa formation.

    Architecture et composition de la croûte océanique : apport des ophiolites et des forages

    C'est en 1972, lors de la conférence de Penrose, qu'est établi le modèle qui prévaudra durant plusieurs décennies pour définir l'architecture de la croûte océanique. Ce modèle se base sur l'observation d'ophiolitesophiolites qui représentent des restes d'anciennes croûtes océaniques mises à l'affleurementaffleurement lors de la collision d'une croûte continentale avec une croûte océanique (obduction). Largement étudiées, les ophiolites sont considérées comme des analogues précieux pour comprendre la structure et la formation de la croûte océanique.

    Le modèle de Penrose décrit la croûte océanique comme un assemblage de roches magmatiquesroches magmatiques comportant, de la base au somment : des gabbros (cristallisation des magmasmagmas en profondeur) -- un complexe filonien créé par l'injection de laveslaves --, des basaltes en coussin (cristallisation des magmas au contact avec l'eau de mer). Le tout fait environ 7 km d'épaisseur. La base des gabbros marque la transition avec les péridotitespéridotites (roches du manteau) et représente l'interface que l'on nomme « MohoMoho ». Cette colonne lithologique a été validée lors de forages dans la croûte océaniques, particulièrement dans l'océan Atlantique, ainsi que par des observations directes lors de plongées effectuées à bord du sous-marin d’exploration Nautile, sur des zones de fractures mettant à nu une coupe lithologique de la croûte.

    Ce type de croûte dit « de Penrose » est donc devenu la référence typique d'une croûte océanique. Cependant, de nouvelles observations ont rapidement nuancé ce modèle. Certaines ophiolites, en particulier dans les Alpes, présentent en effet des caractéristiques très différentes. Ces affleurements sont essentiellement composés de roches mantelliques altérées par l'eau de mer. On parle de péridotites serpentinisées. La composante magmatique y est très faible, voire absente, comme si la croûte océanique avait disparu, dénudant le manteau terrestremanteau terrestre. De nouvelles et spectaculaires observations ont validé cette architecture alternative de la croûte océanique dans l'océan Atlantique et l'océan sud-ouest Indien. Par le biais d'images sonarsonar et de forages, les scientifiques ont dévoilé l'existence de grandes structures en forme de dômes sur le plancher océanique, majoritairement composées de roches mantelliques. Ces structures ont été nommées « core complexes océaniques » ou « mégamullion ». 

    Les deux types de croûtes océaniques. À gauche le type Penrose « classique », avec la succession basaltes en coussins (<em>pillow basaltes</em>), les <em>dikes</em> ou complexe filonien, les gabbros puis le manteau. À droite, le type de croûte observé au niveau des core complexes océaniques avec, majoritairement, des roches issues du manteau (péridotites et péridotites serpentinisées) et très peu de composante magmatique (basaltes et gabbros). © Plateforme Eduterre de l’ENS Lyon
    Les deux types de croûtes océaniques. À gauche le type Penrose « classique », avec la succession basaltes en coussins (pillow basaltes), les dikes ou complexe filonien, les gabbros puis le manteau. À droite, le type de croûte observé au niveau des core complexes océaniques avec, majoritairement, des roches issues du manteau (péridotites et péridotites serpentinisées) et très peu de composante magmatique (basaltes et gabbros). © Plateforme Eduterre de l’ENS Lyon

    Quand le manteau fait surface : contexte et formation des core complexes océaniques

    Au niveau des dorsales dites « rapides », les processus menant à la formation de la croûte océanique sont principalement magmatiques. Dans ce cas, on observe la présence de grandes chambres magmatiques sous l'axe de la dorsale. Les magmas issus de la fusionfusion du manteau remontent de ces chambres magmatiqueschambres magmatiques au niveau de l'axe. Une partie arrive au contact avec l'eau de mer et cristallise sous forme de coulées volcaniques (basaltes en coussins -- pillow basaltes). Une autre partie des magmas reste piégée en profondeur et cristallise sous forme de filonsfilons, ou plus profondément sous forme de gabbros. Cet ensemble basaltes -- complexes filoniens -- gabbros va former la croûte océanique « classique » de type Penrose.

    À l'inverse, les core complexes océaniques sont caractéristiques des environnements peu magmatiques. Ils sont observés principalement au niveau des dorsales lentes ou ultra-lentes, qui ont un budget magmatique faible, comme la dorsale sud-ouest indienne. Mais ils sont également présents au niveau de dorsales plus rapides, à des positions particulières que l'on appelle « inside corners » (coins internes). Il s'agit des intersections entre l'axe de la dorsale et les grandes zones de fractures qui la dissèquent. Ces points d'intersection marquent les terminaisons de segments de la dorsale et représentent des zones où l'apport magmatique est plus faible.

    Schéma montrant la formation des core complexes océaniques, au niveau d’une dorsale lente, par le biais d’une faille de détachement. © Marco Maffione, article paru dans la revue <em>Scientific Reports</em>, Licence CC-by-NC-ND 3.0
    Schéma montrant la formation des core complexes océaniques, au niveau d’une dorsale lente, par le biais d’une faille de détachement. © Marco Maffione, article paru dans la revue Scientific Reports, Licence CC-by-NC-ND 3.0

    Dans ces deux contextes, l'accrétionaccrétion océanique fait intervenir des processus plutôt tectoniques, autrement dit des faillesfailles. Au niveau des inside corners et sous les dorsales lentes, il n'y a pas ou peu de chambre magmatique. Le manteau sous-jacent est donc plus froid et la fusion plus difficile à obtenir. Sous l'effet des forces divergentes qui ont lieu au niveau de la dorsale, de grandes failles vont se former et se propager dans le manteau supérieur. En l'absence de magma, ou dans le cadre d'un régime magmatique intermittent, ce sont donc ces failles qui vont accommoder l'extension. En pivotant, elles vont permettre l'exhumation et la mise à l'affleurement sur le fond océanique de roches du manteau (péridotites), et ceci avec peu de fusion.

    Ces failles particulières sont dénommées « failles de détachement » ou « faille d'exhumation » et vont former les structures en dôme, typiques des core complexes océaniques. Là où ces processus sont mis en œuvre, la croûte océanique présente donc une composition différente du classique ensemble basaltes -- complexes filoniens -- gabbros. La croûte océanique est à la place composée d'un mélange de roches du manteau, hydratées par l'eau de mer (serpentinitesserpentinites) et de roches magmatiques issues de la fusion partiellefusion partielle du manteau (gabbros). Le pourcentage de chaque type de roche dans la croûte océanique dépendra du budget magmatique disponible à l'axe de la dorsale. Ce budget magmatique est susceptible de varier dans le temps mais également le long de l'axe.

    Loin d'être anecdotiques, ce type de croûte dite « peu magmatique » ainsi que la formation de core complexes pourraient en réalité représenter une part non négligeable de la croûte océanique terrestre.