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Nourrir les requins, un jeu dangereux pour les autres usagers de la mer si les squales associent être humain et nourriture... © Sue Hickton, Flickr, CC by-nc-sa 2.0
- À lire, notre dossier sur la protection des cétacés
Tous les jours, en Patagonie, au Canada ou au Mexique, des bateaux amènent des cargaisons de touristes sur les lieux où vivent et se reproduisent les grands mammifères marins. Dans les Bahamas ou à la Réunion, d'autres voyageurs se réunissent pour un instant de frisson autour d'un plongeur qui va nourrir des requins. Parmi les activités permettant la rencontre avec les animaux marins le whale-watching, littéralement « observation des baleines », et le shark-feeding, ou « nourrissage des requins », sont les pratiques les plus en vogue.
L'expérience est vendue comme unique et surtout respectueuse de l'environnement : par leurs revenus, ces activités sont censées œuvrer pour la protection et l'étude du milieu observé. Il est vrai que le spectacle de ces grands animaux sauvages sensibilise naturellement le public à leur cause. Mais cette activité estampillée « écologique » est-elle pour autant si respectueuse que cela de l'environnement ? Comment les animaux vivent-ils cet afflux de visiteurs sur leur territoire ? N'y a-t-il pas des dérives mercantiles parmi les organisateurs de ces activités ?
De la rencontre occasionnelle à une industrie touristique
Des observations fortuites et des interactions isolées ont toujours eu lieu entre gens de mer et grande faune. Mais avec le développement du tourisme et la démocratisation des sports subaquatiques, l'occasionnel est devenu organisé. L'intérêt du grand public pour les cétacés est né aux États-Unis dans les années 1960, en particulier après la série Flipper. Pour le nourrissage des poissons, les plongeurs ont toujours joué avec la faune marine. Le shark-feeding, qui a servi à capturer des images fortes pour des documentaires, a rapidement trouvé sa place parmi les sports extrêmes.
Voyant que les excursions sur ces thèmes devenaient une activité rentable dont la demande ne cessait de croître, de plus en plus d'opérateurs se sont installés. Le cas de l'Amérique latine, arrivée tardivement sur le marché du whale-watching, montre bien l'explosion de cette activité : entre 1998 et 2008, ce sont 6,4 millions de personnes qui ont pu observer des cétacés. Le taux de croissance annuel moyen de ce tourisme, sur la période et pour le continent, est de 11,3 %, avec un record local impressionnant de 74,5 % au Costa Rica.
La passion du grand public pour les cétacés a permis de développer partout dans le monde une nouvelle prestation touristique. Des milliers de bateaux embarquent chaque année des millions de touristes pour une rencontre « unique » avec des mammifères marins sauvages. © Mike Baird, Flickr, CC by 2.0
Avec l'inexpérience, la méconnaissance des animaux et la tentation d'aller plus loin dans le spectacle pour devancer la concurrence, des aberrationsaberrations ont été commises. À noter que les problèmes sont différents entre les cétacés et les requins. Le nourrissage des squales sans règles concentre et fixe les populations dans des zones comme le lagon où ils ne se rendent pas naturellement. Et ces grands poissons finissent par se regrouper dès qu'un plongeur saute à l'eau, espérant leur pitance. Une gêne pour d'autres activités comme la pêche sous-marine où la présence de requins peut être menaçante.
Pour les cétacés, ce sont au contraire les animaux qui sont menacés. Des bateaux trop nombreux simultanément qui encerclent et s'approchent trop près, au risque de percuter des baleines à peine réveillées de leur phase de repos, génèrent un stressstress très important, surtout pour les jeunes cétacés. Ce dérangement, s'il est répété, peut conduire les groupes à changer de lieu de résidence et diminue leur taux de féconditétaux de fécondité. Des modifications de comportement ont été observées et l'exemple tragique de la plage de Monkey Mia, dans Shark Bay, en Australie, a servi de leçon : des dauphins sauvages nourris régulièrement pour des attractions touristiques sont morts, faute d'avoir su chasser seuls. Le nourrissage, après cet exemple tragique, a presque partout été interdit, sinon très encadré.
Calmer les businessmen, développer l'éducation
Concernant les cétacés, les associations ont longtemps dû faire la police sur les zones d'observation. Jean-Pierre Sidois rappelle « qu'il y a toujours eu deux types de whale watchers ». Il oppose « associations naturalistes » et « entreprises commerciales touristiques », dont la différence est très caractérisée : « il y a les watchers comme nous qui pratiquent l'activité de manière positive, avec une sensibilisation et avec des éducateurs sur les bateaux, et puis il y a bien sûr les autres qui font ça uniquement commercialement, avec le harcèlement des dauphins ». Et il poursuit : « Il y a eu des dérives, mais un peu partout aussi, il y a eu une réaction ». En effet, partout dans le monde, des guides régionaux d'observation et plus rarement des réglementations, sont peu à peu adoptés.
Malgré les modifications de comportement observées dans le passé, des dauphins sauvages sont encore nourris devant les touristes sur la plage de Monkey Mia. Mais l'attraction est à présent très encadrée et seuls les rangers du parc naturel sont habilités à le faire, durant un court laps de temps de la journée. © Brian Riley, Flickr, CC by-nc-nd 2.0
Au Pérou un whale-watching d'un nouveau type, conçu à partir d'un schéma de développement proposé par la Human Society International, est en test. À Moorea, le nourrissage des requins fait partie des questions abordées par le Plan de gestion de l'espace maritime (PGEM)). Les initiatives locales se multiplient car au final les intérêts des animaux et de leurs observateurs sont liés : sans baleines, plus de touristes ! Seule manque encore une harmonisation des règlementations ou des bonnes pratiques au niveau mondial. En France, la création du sanctuaire Pelagos en Méditerranée avance dans cette voie.
Une première mondiale en Méditerranée
Le sanctuaire est un espace maritime de 87.500 km2 faisant l'objet d'un accord entre l'Italie, Monaco et la France pour la protection des mammifères marins qui le fréquentent. Jean-Pierre Sidois, qui sera avec SOS Grand Bleu un des gestionnaires de la zone, explique : « Une charte de bonne conduite se met en place où tous les acteurs signataires, associations et sociétés, s'engagent à respecter le code. Ils devront en plus, et c'est là la nouveauté, suivre une formation avec à la clé un label d'état délivré par le ministère de l'Écologie, qui leur sera remis à la fin du stage. » Beaucoup d'espoir dans ce projet : « Dans un an tout ça sera mis en place et on aura quelque chose de sérieux pour contrôler tous les opérateurs. C'est une première mondiale, instaurée par la France pour le sanctuaire, qui on l'espère servira d'exemple et sera reprise sur les autres zones d'observation. »
Dauphins, baleines, requins... les questions posées par l'observation des animaux marins en conditions naturelles sont, plus largement, celles rencontrées lorsqu'il s'agit d'organiser le développement de l’écotourisme. Après des années de développement anarchique, des cadres réglementaires apparaissent qui permettent d'envisager un avenir où les acteurs du domaine auront intégré les leçons des erreurs passées. Développer un secteur économique vivant sans stresser ou perturber les animaux observés semble possible. Mais Jean-Pierre Sidois conclut tout de même avec un conseil : « Pour être certain de ne pas être une nuisancenuisance, c'est très simple, il faut aller avec les associations ». Avis aux voyageurs !