En 2008, le monde scientifique découvrait avec stupéfaction une population de 125.000 gorilles dans le bassin du Congo. Un an plus tard, on réalise que cette population est menacée. La primatologue Emmanuelle Grundmann revient pour Futura-Sciences sur cette découverte et sur l'avenir des gorilles.

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    En 2008, 125.000 gorilles étaient découverts à la surprise générale dans le bassin du Congo. © Etrusia uk CC by-nc-sa

    En 2008, 125.000 gorilles étaient découverts à la surprise générale dans le bassin du Congo. © Etrusia uk CC by-nc-sa

    La surprise fut à peu près totale quand la Wildlife Conservation Society annonça en août 2008 la découverte d'une population de 125.000 gorilles dans le bassin du Congo, au nord du pays. Une telle densité et un tel effectif n'avaient jamais été imaginés et cela a valu à cette région le surnom de Mother lode, en français filon. Un an plus tard, l'attention est retombée et cette population est menacée. Emmanuelle Grundmann, que Futura-Sciences avait invitée pour la Fête de la science, réagit à cette découverte.

    Futura-Sciences : Emmanuelle GrundmannEmmanuelle Grundmann, comment une telle découverte a-t-elle été possible ? Les brumes étaient-elle si épaisses que personne n'avait vu ces animaux ?

    Emmanuelle Grundmann : On se situe dans les forêts denses du bassin du Congo, en République du Congo, dans une zone très peu explorée. Les forêts sont denses, souvent marécageuses donc encore peu exploitées. Là, point de brume comme dans les montagnes des Virungas mais un inextricable entrelacs végétal, une vraie forêt dense. Or, non seulement il est difficile de pénétrer ces forêts, mais de plus, les animaux y sont très facilement invisibles. Et les gorilles sont des créatures assez farouches d'autant plus qu'elles sont chassées.

    La découverte a été possible grâce aux nouveaux moyens technologiques, GPSGPS entre autres et ici, surtout, à une importante équipe d'une centaine de personnes qui ont quadrillé cette zone de forêt pendant des mois. Depuis l'expédition du mégatransect du biologiste Mike Fay, du WCS (expédition qui a fait l'objet notamment d'un grand reportage dans National Geographic US), les scientifiques soupçonnaient l'existence de ces populations de gorilles mais n'imaginaient pas qu'elles puissent être aussi nombreuses.

    FS : Pouvez-vous nous parler de ces gorilles, qui sont-ils et comment vivent-ils ?

    Emmanuelle Grundmann : Ce sont des gorilles de plaine de l'ouest. Ils ont le poil un peu plus ras que les gorilles de montagne, gris foncé (argenté pour les mâles dominants) et brun sur le crânecrâne. Ils vivent en harem, se nourrissent de fruits et feuilles. Ils vont régulièrement dans des clairières que l'on appelle salines, où ils puisent des minérauxminéraux et se nourrissent de végétaux qui ne poussent que là.

    Un Gorille des plaines de l'ouest (<em>Gorilla gorilla gorilla</em>). © Thomas Stromberg CC by-nc-sa

    Un Gorille des plaines de l'ouest (Gorilla gorilla gorilla). © Thomas Stromberg CC by-nc-sa

    FS : Vis-à-vis de l’avenir des gorilles, comment interprétez-vous une telle découverte ?

    Emmanuelle Grundmann : C'est une très belle découverte vu la situation des grands singes et notamment celle des gorilles. Les populations ont beaucoup souffert de l'exploitation forestière et de son corollaire le trafic de viande de brousse, mais également des épidémiesépidémies de fièvre Ebola dans la région, qui ont décimé jusqu'à 80% voire 90% de certaines populations de gorilles. Néanmoins ces gorilles sont dans une zone à risque. D'abord parce qu'ils sont dans une région où le virus Ebola risque de faire une nouvelle apparition et son impact est terrible sur les populations de grands singes.

    D'autre part, ces forêts sont restées intouchées jusqu'ici mais l'appétit de nombreux pays pour des matièresmatières premières risque de changer la donne dans un futur très proche. La région commence à être morcelée en concessions cédées à des compagnies de prospection minière et à des exploitations forestières. Il faut donc agir vite.

    Le point positif c'est que cette découverte a suscité un grand intérêt du gouvernement congolais pour instaurer un parc national. Néanmoins, il faudra être vigilant, l'établissement d'un parc national, s'il n'est pas accompagné de mesures de protection sur le terrain (patrouilles anti-braconnage par exemple), ne sera d'aucune utilité aux populations de gorilles. Trop d'exemples dans le bassin du Congo montrent l'inefficacité des parcs nationaux à protéger leur faune et flore face à l'exploitation minière et au trafic de faune.

    FS : Maintenant que l'attention médiatique est passée, pensez-vous que ces gorilles auront le même destin que les autres primates, ou bien leur image de Mother lode les aidera-t-elle ?

    Emmanuelle Grundmann : Comme je viens de vous le dire, tout dépend des moyens consacrés. Les scientifiques et les associations se battent pour faire classer la région en parc national et assurer la protection des gorilles. C'est une bataille de longue haleine qui débute tout juste.

    Il ne tient aussi qu'à l'opinion internationale de faire également pressionpression sur le Congo pour qu'il protège effectivement et efficacement cette région (c'est aussi important pour la lutte contre le réchauffement climatique vu l'importance de ces forêts denses !) et les populations de gorilles qui y vivent.

    FS : A votre avis, est-il possible qu'il y ait d'autres populations de singes d'une telle envergure mais encore inconnues ?

    Emmanuelle Grundmann : Oui, c'est encore fort possible, dans des zones de forêt tropicaleforêt tropicale dense en Afrique centrale ou en Amazonie. De plus, les moyens technologiques actuels permettent de mieux recenser les populations animales et on obtient parfois de belles surprises comme dans le Montana où les chercheurs se sont aperçus que la population de grizzlis était deux fois plus importante que ce que les chercheurs pensaient. Il existe encore des zones en Amazonie très peu explorée par les blancs et dans cet immense bassin forestier on trouve chaque année de nouvelles espècesespèces de petits singes (tamarinstamarins et ouistitis) par exemple.

    Donc il n'est pas du tout improbable de découvrir des populations importantes de singes. Mais comme partout, la forêt est attaquée, rongée de toute part. Il faut à tout prix préserver ces immenses forêts qui non seulement abritent une faune et une flore incroyables mais sont aussi le garant de la bonne santé climatique de notre planète.

    On peut aussi parler des abysses, très peu explorés et où on découvre sans cesse de nouvelles espèces... Dans les forêts tropicales, les chercheurs n'ont découvert qu'unr infime partie des espèces y vivant, tout est encore à découvrir !