Ce drôle d'oiseau tout de noir vêtu est devenu une star après la découverte de sa capacité à se servir d'outils pour chasser les larves. Mieux encore : il les fabrique ! Aujourd’hui, partons en Nouvelle-Calédonie à la rencontre du corbeau calédonien et de son intelligence hors du commun. Retranscription d'un épisode du podcast family-friendly Bêtes de Science, il s'adresse aux petits comme aux grands. Que vous souhaitiez lire l’histoire ou l’écouter, découvrez l’épisode ci-dessous.


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    Découvrez le podcast à l'origine de cette retranscription dans Bêtes de Science.

    Familiers des sorcières, oiseaux lugubres aux cris rauques, associés à la mort, les corbeaux n'ont pas vraiment bonne réputation. La faute, sans doute à leur goût pour les carcasses aux côtés desquelles on a souvent l'occasion de les observer. Leur attirance pour les animaux en décomposition est pourtant très utile, car elle évite la propagation des maladies. Et puis, il ne faut pas croire, malgré leurs airsairs de croque-mort, les corbeaux sont particulièrement intelligents ! Et pour te le prouver, je ne vais pas te parler des corneilles, des pies et des geais qui peuplent nos jardins, mais d'un de leur cousin : le corbeau calédonien, Corvus moneduloides. Tout noir, avec des yeuxyeux marron, et muni d'un bec court et costaud, il fait environ la taille d'un pigeon. Même s'il n'est pas aussi répandu que ce dernier, le corbeau calédonien est assez commun. Il vit, comme son nom l'indique, en Nouvelle-Calédonie, un archipel d'îles de l'océan Indien, situé au nord-est de l'Australie. C'est d'ailleurs un animal endémiqueendémique, c'est-à-dire qu'on ne le trouve nulle part ailleurs sur la planète ! Il réside dans la forêt tropicale humide, sur les îles de Grande Terre et Maré. Comme ses cousins corvidés, le corbeau calédonien mange un peu de tout : insectes, fruits, graines, œufs, carcasses. On dit qu'il est opportuniste ! Son cri, très reconnaissable, lui vaut le surnom de « qua-qua » auprès des habitants qui le connaissent. L'une de ses vocalisations ressemble en effet à un « wek-wek », fort et puissant, qu'il utilise pour prévenir ses congénères, d'un danger par exemple.

    Mais alors, si le corbeau n'a pas une cervelle d'oiseauoiseau, qu'est-ce qui le rend si intelligent ? Tête de linotte, cervelle de moineau, bête comme une oieoie..., les expressions ne manquent pas pour se moquer de quelqu'un en le comparant aux volatiles. Pourtant, grave erreur ! Ils ont de l’intelligence à revendre. En haut du podium, on retrouve les perroquets, mais aussi les corbeaux ! Et si tu te dis « oui, mais bon, ils n'ont qu'une intelligenceintelligence d'oiseau », sache que quand il s'agit de résoudre certains problèmes, nos amis les corvidés se sont parfois révélés plus malins que les grands singes, nous y compris. De quoi y réfléchir à deux fois avant de traiter quelqu'un de crânecrâne de piaf.

    Tu entends ces cris qui résonnent sous la canopéecanopée des arbresarbres ? Approchons-nous, doucement, pas à pas. Voici nos corbeaux ! Regarde, ils sont quatre. Là-bas, ce sont les parents, les deux plus grands. Ils vivent longtemps, jusqu'à 15 ans à l'état sauvage, et les adultes forment des couples fidèles pour toute la vie. Et pas seulement pour faire des bébés : ces grands romantiques restent ensemble toute l'année. Les deux autres corbeaux sont des jeunes, même si l'un des deux fait quasiment la taille de ses parents. Le plus jeune est encore tout ébouriffé, avec ses plumes de bébé. Tu peux les voir bouger leurs ailes, courir après leurs parents et ouvrir leur bec bien grand pour leur réclamer de la nourriture. Oui, même quand ils sont grands ! Car les jeunes corbeaux calédoniens peuvent rester avec leurs parents jusqu'à deux ans après leur naissance. D'habitude, chez les oiseaux, les petits partent au bout d'un mois ! Mais les corbeaux, eux, continuent d'être nourris et choyés par papa et maman même s'ils sont capables de chasser par eux-mêmes, et qu'ils ont des petits frères et sœurs qui arrivent dans la famille. On pourrait les traiter de fainéants, mais ce temps supplémentaire avec les adultes leur permet d’apprendre toutes sortes de choses très utiles. C'est d'ailleurs en imitant et en copiant leurs aînés qu'ils ont appris leur secret le plus important : la fabrication d'outils ! Car, oui, les corbeaux calédoniens sont des artisans hors pair.

    Le comportement du corbeau calédonien

    Ça peut n'avoir l'air de rien, comme ça pour toi qui utilises un ordinateurordinateur ou qui manges avec des couverts tous les jours, mais cette capacité est relativement rare chez les autres animaux. Pour tout t'avouer, on pensait même jusqu'au début des années 1960, que seuls les êtres humains pouvaient utiliser des outils ! Ah c'est sûr que depuis on a changé d'avis, après avoir découvert que les chimpanzés, les orangs-outans mais aussi d'autres animaux comme les loutres de merloutres de mer, les poulpes et certains poissons, le font aussi ! Il faudra encore attendre le milieu des années 1990 pour que des scientifiques européens observent pour la première fois le corbeau calédonien en train d'utiliser des outils dans son milieu naturel, rejoignant ainsi le club des superbricoleurs. Il les a même doublement impressionnés, car il ne se contente pas d'utiliser des outils déjà existants : il les fabrique, sur mesure. Un vrai travail d'orfèvre !

    On trouve habituellement deux sortes d'outils. Le premier est découpé dans la feuille d'une plante bien particulière : le pandanus. Le corbeau découpe dans ces feuilles des languettes allongées, en forme d'escalierescalier, avec trois marches. Le bout le plus large de la languette est parfait pour être manipulé et bien tenu, alors que la pointe fine est idéale pour chercher avec précision sous l'écorce ou dans le tronc d'un arbre. Et le bord de ces feuilles est recouvert de petits picots - un peu comme un scratch VelcroVelcro - très pratiques pour agripper une larve juteuse. Celles-ci, titillées par cet objet piquant, se défendent en mordant dedans avec leurs mandibulesmandibules. Elles ont à peine le temps de faire une bouchée de cet intrus que le corbeau, comme un pêcheur sentant le poissonpoisson mordre à son hameçon, hisse la larvelarve bien accrochée hors de son trou et n'a plus qu'à la déguster. Et ce n'est pas tout ! Les corbeaux calédoniens ont d'autres tours dans leur boîte à outils. À partir de branches d'arbres qu'ils débarrassent de leurs feuilles et de leurs brindilles, ils fabriquent des crochets, issus de la partie centrale de la tige. Ils s'en servent de la même façon que les languettes de feuille, pour fouiller dans les arbres et pêcher les larves ! Ingénieux non ? Mais être bricoleur, ça ne s'improvise pas.

    C'est vrai que les bébés corbeaux aiment spontanément jouer avec des brindilles dès leur plus jeune âge et s'en servir pour attraper des insectes. On parle alors de comportement inné. Mais ils auront besoin d'un long entraînement pour maîtriser pleinement toutes ces techniques ! Comme pour tout, il faut essayer, se tromper, recommencer, et observer les adultes. C'est l'apprentissage social, quand on apprend des autres. Il faudra presque deux ans aux jeunes oiseaux pour fabriquer des outils en escalier, aussi efficaces que ceux des adultes. Et qui sait, peut-être que nous aussi, qui pensons déjà tout savoir, avons encore en réalité beaucoup de choses à apprendre. Après tout, la découverte de l'utilisation et de la fabrication d'outils chez les corbeaux calédoniens est relativement récente. Et chaque année, les scientifiques font de nouvelles découvertes incroyables sur leurs capacités ! On sait par exemple qu'ils peuvent modifier un objet pour adapter sa forme à leurs besoins. Betty, une célèbre femelle corbeau qui vivait dans un laboratoire à Oxford, en Angleterre, a par exemple été capable de tordre un morceau de métalmétal tout droit, pour en faire un crochet et pêcher sa récompense. C'est assez fou quand on y pense, car personne ne lui avait jamais montré comment s'y prendre, et c'était la première fois qu'elle voyait un morceau de métal comme celui-ci. Et toi, j'imagine que tu tiens à tes affaires. Ton stylo par exemple, avec lequel tu as l'habitude d'écrire tous les jours ? Eh bien, les corbeaux aussi ! On a découvert qu'ils gardent en réserve leurs outils préférés, en les déposant dans un trou ou en les bloquant sous leurs pattes. Ils peuvent même anticiper une situation et maintenir l'outil le plus adapté à portée de patte pour résoudre un problème bien particulier, dans le futur. Pas de doute, ces oiseaux nous réservent encore de nombreuses surprises.

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