Une étude montre que la production de carbonatites et kimberlites, deux types de roches magmatiques très spécifiques, pourrait permettre de retracer l’histoire thermo-tectonique de la Terre.


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    L'une des grandes spécificités de la Terre est de posséder une tectonique des plaques, avec notamment deux grands domaines crustaux : la croûte continentale et la croûte océanique. L'évolution, plus ou moins découplée, de ces deux environnements a certainement joué un rôle majeur dans l'établissement et le développement de la vie sur notre Planète, en offrant une formidable diversité d'habitats. Mais cette histoire tectonique ne peut être dissociée de l'histoire thermique du globe. Dynamique de surface et dynamique interne sont en effet intimement liées et ont évolué ensemble au fil des milliards d'années.

    Tectonique et thermicité, deux histoires couplées

    Évolution de la température du manteau, modification de la composition de la croûte terrestre, déplacement des massesmasses continentales, fragmentation et assemblage de supercontinents..., l'ensemble de ces modifications séculaires résulte des interactions qui existent entre l'état thermique de la planète et l'évolution tectonique de son enveloppe superficielle, l'un influençant l'autre et vice versa. Les archives géologiques nous montrent d'ailleurs que ces événements se répètent régulièrement dans l'histoire de la Terre, avec une certaine périodicité. La dynamique terrestre possède donc son propre rythme. Il n'est cependant pas évident de retrouver les témoins capables de posséder un enregistrement complet de cette histoire.

    Certaines roches magmatiques semblent pourtant être de bonnes candidates. Les carbonatitescarbonatites et les kimberliteskimberlites sont en effet des roches tout à fait spécifiques, dont les conditions de genèse pourraient permettre de retracer le fil de l'évolution terrestre. Les carbonatites sont des roches magmatiques principalement composées de carbonates de calciumcarbonates de calcium. Très rares (il n'existe qu'une centaine d'affleurementsaffleurements dans le monde et un seul volcanvolcan actif en émet actuellement, le Lengaï en Tanzanie), ces roches sont issues de la cristallisation d'un magmamagma carboné, lui-même produit lors de la fusionfusion de roches mantelliques profondes (90 à 150 kilomètres de profondeur).

    Carbonatite. © Eurico Zimbres, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0
    Carbonatite. © Eurico Zimbres, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0

    Les kimberlites sont quant à elles des roches volcaniquesroches volcaniques ultramafiques (riches en magnésiummagnésium et en ferfer), particulièrement riches en éléments volatils (H2O et CO2). Elles se forment à partir d'un magma produit à très grande profondeur, c'est-à-dire à plus de 150 kilomètres.

    Kimberlite. © Woudloper, Wikimedia Commons, CC BY-SA 1.0
    Kimberlite. © Woudloper, Wikimedia Commons, CC BY-SA 1.0

    Ces deux types de roches proviennent donc d'une région que l'on appelle le manteau lithosphériquelithosphérique subcontinental. Une région située à l'interface entre le manteau convectif et la croûte continentalecroûte continentale. Il s'agit donc d'une zone bien particulière, sensible à la fois aux changements thermiques provenant des niveaux plus profonds et à l'évolution tectonique de la surface planétaire. De fait, la distribution spatiotemporelle de ces roches devrait refléter la tendance et la rythmicité de l'évolution thermo-tectonique de la Terre.

    Des pics de carbonatite et kimberlite en fonction du cycle des supercontinents

    Dans une nouvelle étude, publiée dans la revue Geology, une équipe de chercheurs montre que la production de carbonatite et de kimberlite suit la même tendance au cours du temps, avec une augmentation significative il y a 1 milliard d'années. De plus, on observe une étonnante synchronisation avec le cycle des supercontinents depuis 2,1 milliards d’années. Il semble ainsi que les pics de production de carbonatite et de kimberlite soient particulièrement liés aux phases de réorganisation des supercontinents, lorsque les subductions sont plus nombreuses et importantes. De plus, les subductions apportent de grandes quantités d'éléments volatils dans le manteau, une condition favorable à la production de magma carbonatitique et kimberlitique. Les pics de production de ces deux types de roches pourraient donc témoigner des grandes réorganisations tectoniques qu'a connues la Terre. L'augmentation graduelle de leur production depuis 1 milliard d'années serait quant à elle significative du refroidissement progressif du manteau terrestremanteau terrestre, grâce notamment aux zones de subductionzones de subduction. En effet, le magma carbonatitique se forme entre 1 000 et 1 100 °C, le magma kimberlitique entre 1 100 et 1 400 °C. Le manteau chaud de l'ArchéenArchéen (1 500-1 600 °C) aurait donc été moins favorable à la production de ces roches magmatiques.

    Les pics de production de carbonatite et de kimberlite correspondent aux phases de réorganisation des supercontinents, en lien avec l'augmentation des zones de subduction qui apportent de grandes quantités d'éléments volatils dans le manteau. Le refroidissement du manteau depuis 1 milliard d'années favorise également la production de ce type de roches. © Liu et al. 2022, <em>Geology</em>, CC-BY
    Les pics de production de carbonatite et de kimberlite correspondent aux phases de réorganisation des supercontinents, en lien avec l'augmentation des zones de subduction qui apportent de grandes quantités d'éléments volatils dans le manteau. Le refroidissement du manteau depuis 1 milliard d'années favorise également la production de ce type de roches. © Liu et al. 2022, Geology, CC-BY

    Ces résultats montrent le couplage existant entre le développement des zones de subduction (un processus moteur de la tectonique des plaques) et l'évolution thermique du manteau au cours du temps. L'ensemble de cette évolution étant enregistré par les variations de production des carbonatites et des kimberlites.