La lutte contre le réchauffement climatique est souvent considérée uniquement d’un point de vue technico-économique. Trop souvent, peut-être. De telles options de décarbonation sont certes disponibles. Pourtant, atteindre le zéro carbone d’ici 2050 constitue un défi sociétal qui pourrait bien être beaucoup plus important que ce que beaucoup supposent. C’est la récente conclusion d’un rapport d’expert. Anita Engels, chercheur au sein du cluster Climate, Climatic change and society (Cliccs) de l’université de Hambourg (Allemagne), nous livrent quelques précisions.


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    La Stratégie nationale bas-carbonecarbone (SNBC). Elle a été adoptée dès 2015. Et a déjà été révisée depuis. Son ambition : conduire la France sur la route de la neutralité carboneneutralité carbone à l'horizon 2050. Le principal objectif retenu par notre pays dans le cadre de l'accord de Paris. Mais un rapport d'experts, le Hamburg climate futures outlook, conclut aujourd'hui qu'une « décarbonation profonde de nos économies d'ici 2050 » n'est tout simplement « pas plausible ».

    L'objectif du Hamburg climate futures outlook -- premier du nom, mais destiné à devenir annuel --, c'est précisément cela. Évaluer la plausibilité de divers futurs climatiques. Mais peut-être qu'avant de rentrer dans les détails de l'étude, un rappel de vocabulaire pourrait être utile. Selon la définition du Larousse, le terme « plausible » renvoie à quelque chose qui semble pouvoir être tenu pour vrai. Le terme « possible », quant à lui, s'emploie pour désigner un fait qui peut se produire. Il existe ainsi, en matièrematière de climat, de nombreux futurs possibles, mais tous ne sont pas plausibles. « Les futurs possibles sont ceux dont nous savons comment ils peuvent se produire. Nous qualifions de plausibles, ceux qui, parmi eux, peuvent être attendus de manière réaliste », nous précise Anita Engels, chercheur au sein du cluster Climate, Climatic change and society (Cliccs) de l'université de Hambourg (Allemagne).

    Voilà qui est désormais un peu plus clair. Et pour proposer une analyse complète, les chercheurs ont cette fois décidé de questionner tout autant les moteurs et les freins technico-économiques que les moteurs et les freins sociaux. « Nous avons travaillé avec un groupe interdisciplinaire, disposant d'une solidesolide expérience dans les sciences "dures" du climat, mais aussi dans les sciences sociales », nous indique Anita Engels. « Nous cherchons à fournir une analyse réaliste de la direction vers laquelle se dirige le monde. Car ni une perspective trop optimiste ni une perspective trop pessimiste ne peuvent désormais aider la société à atteindre les objectifs climatiques définis dans l'Accord de Paris. Nous pensons que seule une évaluation factuelle peut être réellement utile. »

    Ce compteur de vitesse imaginé par les chercheurs de l’université de Hambourg (Allemagne) montre le large éventail d’émissions possibles en 2050, telles que décrites dans les scénarios d’émissions existants. Les émissions pourraient atteindre zéro net d’ici 2050 (<em>deep decarbonization</em>) ou pourraient augmenter jusqu’à doubler par rapport aux émissions actuelles (<em>very high emissions</em>). Les émissions approximatives en 2020 sont indiquées par l’aiguille du compteur. © <em>Hamburg climate futures outlook</em>
    Ce compteur de vitesse imaginé par les chercheurs de l’université de Hambourg (Allemagne) montre le large éventail d’émissions possibles en 2050, telles que décrites dans les scénarios d’émissions existants. Les émissions pourraient atteindre zéro net d’ici 2050 (deep decarbonization) ou pourraient augmenter jusqu’à doubler par rapport aux émissions actuelles (very high emissions). Les émissions approximatives en 2020 sont indiquées par l’aiguille du compteur. © Hamburg climate futures outlook

    Futur climatique : quelle plausibilité technico-économique ?

    Ainsi, le Hamburg climate futures outlook explore la plausibilité technico-économique de divers futurs climatiques. D'abord pour conclure -- c'est la bonne nouvelle -- que les scénarios d'émissionsémissions très élevées ne tiennent désormais plus. En cause, l'étendue des dommages économiques qui seraient dus au changement climatique, la baisse du coût des énergies propres et les limites des réserves de charbon récupérables. Une hausse des températures supérieure à 4,9 °C d'ici 2100 n'est actuellement pas plausible.

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    « En principe, il existe déjà des technologies qui nous permettraient d'atteindre le zéro carbone d'ici 2050, ajoute pour nous Anita Engels. Même si nous soulevons certains problèmes inhérents ». Celui du déploiement massif des technologies de capture et de stockage du CO2, les technologies CDR, par exemple. Il implique en effet de mobiliser d'importantes ressources en terre et en eau. « C'est la raison pour laquelle ces technologies sont très contestées. » Car elles entrent en concurrence avec d'autres objectifs de développement durable, notamment avec la protection de la biodiversité. « Leur déploiement à grande échelle n'est pas non plus plausible. »

    Cette infographie montre les principaux moteurs sociaux de la décarbonation de l’économie identifiés par les chercheurs et présentés dans le <em>Hamburg climate futures outlook</em>. © <em>Hamburg climate futures outlook</em>
    Cette infographie montre les principaux moteurs sociaux de la décarbonation de l’économie identifiés par les chercheurs et présentés dans le Hamburg climate futures outlook. © Hamburg climate futures outlook

    La société appelée à se mettre en marche

    Mais la question des futurs plausibles ne se limite pas à une question technique. « Nos travaux montrent que les moteurs sociaux qui pourraient soutenir cette voie technologique ne sont pas encore alignés dans cette direction », souligne Anita Engels dont l'équipe en a identifié dix. Pire, aucun de ces moteurs ne semble avoir suffisamment d'élanélan pour atteindre le zéro carbone en 2050.

    Pas de solution miracle

    Mais ne soyons pas complètement négatifs. Six de ces moteurs pourraient favoriser une décarbonation progressive. « Le moteur "politique climatique", par exemple, a été récemment renforcé par le retour des États-Unis dans l'accord de Paris, nous explique Anita Engels. Mais il n'y a pas de solution miracle. Bien sûr, si tout d'un coup il n'y avait plus d'argentargent disponible pour financer l'extraction de combustiblescombustibles fossilesfossiles, alors plus aucun combustible fossile ne serait utilisé et le problème serait résolu. Cependant, cela ne se produira pas sans une pressionpression sévère sur une période prolongée et à l'échelle mondiale. Une pression provenant de la réglementation nationale et internationale ou de procès climatiques couronnés de succès. Nos travaux montrent dans quelles conditions complexes le désinvestissement des combustibles fossiles pourrait changer la donne. Et notre évaluation montre que ces conditions ne sont actuellement pas réunies. »

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    Ainsi, tout comme les scénarios d'émissions les plus pessimistes ne sont désormais plus plausibles, les plus optimistes ne le sont plus non plus. Le réchauffement climatiqueréchauffement climatique atteindra au moins les 1,7 °C d'ici 2100.