Alors que l’Ukraine vient de légaliser l’usage de cryptomonnaies après avoir reçu des dizaines de millions de dollars de dons en provenance du monde entier pour soutenir sa résistance face à l’invasion russe, Claire Balva, directrice blockchain et cryptos chez KPMG France, analyse pour Futura le rôle inédit des monnaies virtuelles dans cette guerre et les répercussions à long terme.


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    La nation ukrainienne s'est dressée comme un seul homme face à l'invasion russe et offre au monde une leçon de courage exceptionnelle. Malgré ces circonstances dramatiques, l'État ukrainien a su trouver des ressources en lançant un appel aux dons sous forme de cryptomonnaies pour soutenir son effort de guerre. Une initiative inédite qui a permis au gouvernement de récolter plusieurs dizaines de millions de dollars provenant du monde entier, aussi bien de particuliers que d'entreprises et d'organisations. Dans la foulée, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a signé un projet de loi sur les actifs virtuels afin de légaliser l’usage des cryptomonnaies en Ukraine. Un pays qui se bat pour sa liberté et sa démocratie, tout en étant capable d'innover pour son avenir.

    Afin de mesurer l'importance du rôle des cryptomonnaies dans ce conflit et les perspectives qui s'ouvrent, Futura s'est entretenu avec une experte, Claire Balva, directrice blockchain et cryptos chez KPMG France.

    Image du site Futura Sciences
    Claire Balva, directrice blockchain et cryptos chez KPMG France. © Nathalie Oundjian

    Futura : Quels effets du conflit observez-vous sur le cours des monnaies virtuelles ?

    Claire Balva. Au moment de l'invasion, nous avons constaté un choc sur les marchés en général lié à l'incertitude qui ne concerne pas que les cryptomonnaies. Puis les cours sont assez rapidement remontés et se sont stabilisés. Pour le bitcoin et d'autres cryptomonnaies, nous avons observé une forte hausse des volumesvolumes en roubles et en hryvnias (monnaie ukrainienne, ndlr), ce qui est assez logique dans des situations d'incertitude ou d'instabilité politique et économique où les cryptos sont une valeur refuge. Pour autant, il ne s'agit pas de dire que le cours du bitcoin est lié à la guerre en Ukraine car ces mouvementsmouvements restent anecdotiques par rapport à la massemasse globale. Sur la duréedurée, aucun spécialiste ne peut très sérieusement savoir quel est l'impact du conflit sur le cours des cryptos.

    Les cryptomonnaies jouent-elles un rôle inédit dans cette guerre, notamment s’agissant des dons pour aider l’État ukrainien et sa population ? 

    Claire Balva. Les appels aux dons en cryptomonnaies ne sont pas une nouveauté. En revanche, ce qui est une première, c'est l'appel aux dons d'un État, en l'occurrence l'Ukraine. Les montants récoltés sont impressionnants et se chiffrent à plusieurs dizaines de millions de dollars (plus de 56 millions de dollars selon le gouvernement ukrainien, ndlr). Des particuliers, des entreprises, de grands noms de la crypto ont envoyé des dons. On mesure l'importance la dimension mondiale des monnaies numériques avec des dons qui affluent d'une multitude de pays. Le gouvernement ukrainien a utilisé une partie de ces fonds pour s'équiper et s'armer, avec en face des fournisseurs qui ont joué le jeu en acceptant les paiements en cryptos. C'est la preuve que ces outils peuvent être utilisés comme valeurs refuges et comme monnaies pour commercer à la fois au sein d'un pays et avec l'étranger. D'ailleurs, on observe de plus en plus que les cryptos sont utilisées comme des monnaies alors que les banques centrales s'évertuent encore à nier ce fait. 

    Les cryptos ont encore cette fausse image de financement d’activités illicites

    L’État russe peut-il contourner les sanctions grâce aux cryptomonnaies ?

    Claire Balva. J'entends beaucoup parler de cette éventualité. Mais en pratique c'est très compliqué. La plupart des flux cryptos passent par des intermédiaires qui doivent se conformer aux législations et sont soumis aux mêmes interdictions que celles imposées aux banques dans le cadre des sanctions internationales prises à l'encontre de la Russie (Coinbase, l'une des principales plateformes d'échange de cryptos, a bloqué 25.000 comptes appartenant à des usagers russes, ndlr). Il y a aussi une question de volume. Aujourd'hui, le commerce extérieur global de la Russie est du même ordre de grandeurordre de grandeur que la capitalisation totale de Bitcoin (entre 500 et 800 milliards de dollars). Il n'est pas donc pas réaliste d'imaginer que le pays puisse trouver dans les cryptos une planche de salut pour contourner les sanctions. J'ajoute que les cryptos ont encore cette fausse image de financement d'activités illicites. Il est important de démentir cela car il est prouvé que les montants des transactions illicites en cryptos sont plus faibles qu'avec les monnaies fiat, notamment l'argentargent liquideliquide

    Durement touchée par les sanctions économiques, en particulier les restrictions sur les moyens de paiement, la population russe peut-elle se tourner vers les cryptos comme planche de salut ? 

    Claire Balva. On observe statistiquement en Russie comme en Ukraine un intérêt pour les cryptos, notamment le bitcoin. C'est assez logique lorsque l'on anticipe une dévaluation de la monnaie nationale, on se rabat sur des solutions non monétaires type or ou cryptos, par exemple. Sur le rouble, nous avons constaté une augmentation très nette des volumes échangés en bitcoin depuis le début du conflit. Mais, encore une fois, cela reste assez anecdotique comparé à la masse des cryptos. 

    Certains experts évoquent un nouvel ordre monétaire avec un affaiblissement du dollar et un avènement des cryptos. Quelles conséquences à long terme entrevoyez-vous à l’issue de ce conflit ?

    Claire Balva. Dans notre rapport « Perspectives 2022 » paru en début d'année, nous anticipons que, à l'instar du Salvador l'année dernière, d'autres pays utiliseront le bitcoin comme monnaie ayant cours légal. Le conflit en Ukraine peut devenir un symbole dans l'utilisation des cryptos comme monnaies par des États. Mais je considère que cette évolution précédait ces événements. Ma conviction est que ces outils sont technologiquement extrêmement intéressants et viennent bouleverser complètement le secteur financier en proposant des alternatives financières à des populations qui parfois ne sont pas bancarisées ou ont des solutions monétaires qui ne le permettent pas.