En 1975, deux astrophysiciens relativistes prédisaient analytiquement un effet important dans la physique des disques d'accrétion autour des trous noirs. Mais depuis environ 40 ans, les simulations numériques réalistes de ces disques, tenant compte pleinement du comportement d'un plasma relativiste dans le disque, ne reproduisaient pas cette prédiction. C'est désormais chose faite.


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    Les équations de la relativité générale sont très difficiles à résoudre analytiquement, sauf dans des cas simples ou avec des approximations qui ne valent que par leurs hypothèses. Ces équations sont non-linéaires, comme celles de Navier-Stokes qui gouvernent la mécanique des fluides. Dans les deux cas, les physiciensphysiciens ont contourné les problèmes en utilisant des ordinateursordinateurs comme le présentait, après la seconde guerre mondiale, le génial Enrico Fermi. De fait, dès le tout début des années 1960, des simulations numériquessimulations numériques étaient effectuées pour comprendre ce qui se passait lorsqu'une étoile s'effondrait, et montraient qu'elle devait bien donner un trou noir si elle était suffisamment massive.

    Parmi les premiers succès des pionniers de la relativité numérique, il y a eu ceux de Jean-Pierre Luminet qui a été le premier, en 1979, à calculer l'image d'un disque d'accrétion autour d'un trou noir de Schwarzschild. Image dont la pertinence est devenue évidente avec le succès de la collaboration de l'Event Horizon Telescope qui a fourni la première vraie image d'un trou noir supermassif entouré d'un disque d'accrétion chaud.

    Les astrophysiciensastrophysiciens relativistes ont aussi tenté de rendre compte analytiquement de la physiquephysique des disques d'accrétion autour des trous noirs pour en déduire, en particulier, des signatures observationnelles permettant de détecter ces astresastres compacts. Sans cela, ils sont beaucoup plus difficiles à mettre en évidence quand ils sont isolés (on peut tout de même tenter de voir des effets de lentille gravitationnellelentille gravitationnelle).

    James Maxwell Bardeen (né le 9 mai 1939) est un physicien états-unien, bien connu pour ses travaux en relativité générale, en particulier pour son rôle avec Stephen Hawking dans la formulation des lois de la mécanique des trous noirs. Bardeen a obtenu son doctorat à Caltech sous la direction de Richard Feynman et il est le fils du double lauréat du prix Nobel John Bardeen, le découvreur du transistor. © AIP
    James Maxwell Bardeen (né le 9 mai 1939) est un physicien états-unien, bien connu pour ses travaux en relativité générale, en particulier pour son rôle avec Stephen Hawking dans la formulation des lois de la mécanique des trous noirs. Bardeen a obtenu son doctorat à Caltech sous la direction de Richard Feynman et il est le fils du double lauréat du prix Nobel John Bardeen, le découvreur du transistor. © AIP

    Un effet relativiste qui affecte l'évolution des galaxies

    On peut citer, à cet égard, les travaux du prix Nobel de physique Kip Thorne et ceux de ses collègues russes Igor Novikov et Rashid Sunyaev. Il y a eu aussi les travaux de James Bardeen (à ne pas confondre avec son père John Bardeen bien connu notamment pour ses travaux sur la supraconductivitésupraconductivité) avec son collègue Jacobus Petterson. Les deux chercheurs avaient mis en évidence théoriquement, en 1975, un effet qui porteporte leur nom et qui est associé à un trou noir en rotation via le fameux effet Lense-Thirringeffet Lense-Thirring.

    Pour comprendre, il faut commencer par bien réaliser que lorsqu'un trou noir se met à accréter de la matièrematière - par exemple parce qu'il fait partie d'un système binairesystème binaire avec une étoile qui est devenue une géante rougegéante rouge, ou parce qu'un trou noir supermassif coupe un filament géant de gazgaz froid tombant sur une galaxiegalaxie -, il n'y a aucune raison pour que le moment cinétiquemoment cinétique total, associé à la matière accrétée, soit tel qu'il produise un disque d'accrétion perpendiculaire à l'axe de rotation du trou noir.

    Mais selon Bardeen et Petterson, l'effet de la rotation du trou noir va tout de même forcer une partie du disque à se déformer de sorte que cette partie devient effectivement perpendiculaire à cet axe de rotation. Ce faisant, on peut montrer que cela influence la formation de jet de matière, et l'absorptionabsorption de celle tombant vraiment à travers l'horizon d'un trou noir.

    Or, on sait que ces processus affectent l'évolution des galaxies de façon significative lorsque l'on est en présence de trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs qui fonctionnent comme des quasarsquasars. Il est donc important de bien modéliser les conséquences de l'effet Bardeen-Petterson pour comprendre cette évolution.


    Une simulation purement hydrodynamique et non-relativiste d'un disque d'accrétion d'un trou noir avec effet Bardeen-Petterson. © Rebecca Nealon

    Une simulation relativiste réaliste des disques d'accrétion des trous noirs

    Des simulations numériques, mais utilisant un traitement non-relativiste et avec un gaz constitué de particules neutres, avaient bien été réalisées. Elles montraient l'occurrence de l'effet Bardeen-Petterson mais ce ne pouvait pas être le dernier mot de l'affaire. Le gaz proche d'un trou noir dans son disque doit être porté à hautes températures et être animé de mouvementsmouvements très rapides avec des vitessesvitesses proches de celle de la lumièrelumière. En clair, il fallait effectuer des simulations de magnétohydrodynamique (MHD) relativiste en espace-tempsespace-temps courbe avec un plasma.

    Or, depuis environ 40 ans, les simulations plus réalistes tenant compte de ce plasma relativiste ne montraient pas l'apparition de l'effet Bardeen-Petterson, ce qui laissait les astrophysiciens vraiment perplexes.

    Tout vient de changer, comme l'explique une publication dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society ; l'article est en accès libre sur arXiv. Une équipe internationale de chercheurs des universités de Northwestern, Amsterdam et Oxford y expliquent que grâce aux progrès de la puissance de calcul des superordinateurssuperordinateurs et des algorithmes qui y sont implémentés, ils ont enfin pu voir émerger des calculs de MHD relativiste l'effet Bardeen-Petterson.


    La simulation d'un disque d’accrétion autour d’un trou noir en rotation rapide (a = 0,9375) avec MHD relativiste. C'est le disque le plus mince à ce jour, avec une inclinaison de 45 degrés. La partie interne s'aligne sur l'équateur du trou noir. © Matthew Liska