Lors de cette pandémie, nous avons parfois vu des scientifiques énoncer tout et son contraire au fil du temps. La science se contredit-elle sans cesse ? Pour le savoir, il va falloir s'intéresser de plus près à ce qu'elle est, et à sa démarche. 


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    La science. Nous en parlons souvent, mais combien d'entre nous savent vraiment ce qu'elle est, quels sont ses objectifs et comprennent ce qu'elle nous raconte. Une idée populaire, dont on ne trouve pas de sources précises pour la justifier, suggère que la population ne comprendrait pas pourquoi la science se contredit. Enfin, voyons ! La science, c'est la science. Notre société est fondée sur ses apports. Comment se pourrait-il qu'elle dise tout et son contraire ? Dans la perspective où ce type de pensée serait réellement ancré dans l'esprit d'individus, il convient d'ajouter un soupçon de nuance à cette histoire.

    La Science avec un grand S : de quoi parlons-nous ? 

    Spécialistes du sujet, partez avant de vous arracher les cheveux. Nous allons simplifier à l'extrême pour définir la science en quelques lignes alors que certains épistémologues pourraient remplir des livres entiers sur cette simple question. Premièrement, il faut distinguer le corpus (l'ensemble des théories admises de la science actuelle) d'une part, et la pratique scientifique de l'autre, même si tout est intimement lié. Le corpus, c'est ce que vous avez généralement appris à l'école et, si vous y êtes allé, à l'université. Généralement, ce sont les théories classiques sur les paradigmes scientifiques dominants et les connaissances centrales associées à ces paradigmes. Par exemple, vous savez que rien ne se déplace plus vite que la lumière et vous vous rappelez que cette conclusion émane de la théorie de la relativité générale d'EinsteinEinstein (si vous avez fait un bac scientifique).

    Vous savez que rien ne se déplace plus vite que la lumière et vous vous rappelez que cette conclusion émane de la théorie de la relativité générale d'Einstein. © Elenamiv, Shutterstock
    Vous savez que rien ne se déplace plus vite que la lumière et vous vous rappelez que cette conclusion émane de la théorie de la relativité générale d'Einstein. © Elenamiv, Shutterstock

    A contrario, l'exercice scientifique se base généralement sur les théories déjà admises pour produire des hypothèses et des designs expérimentaux sur des questions qui se posent encore afin d'y répondre. C'est pour cela que ces corpus sont régulièrement mis à jour ! De nouvelles connaissances émanent de l'exercice scientifique et viennent enrichir les théories. Parallèlement, les nouvelles théories enrichissent l'exercice scientifique grâce aux nouvelles questions que les découvertes permettent de formuler. Nous ne dirons rien sur la réalité des objets conceptuels que postule la science, ou encore sur la finalité de la pratique scientifique. Sur ces questions, plusieurs courants de pensée s'affrontent et cela serait trop vaste pour la modeste ambition de cet article.

    Pratique ou théorie : qui se contredit ?

    Si on ose ce terme galvaudé, c'est dans l'essence même de l'exercice scientifique que d'amener des contradictions. Actuellement, lorsque les chercheurs font de la science, ils tentent continuellement de tester leurs hypothèses avec d'innombrables designs expérimentaux, et une étude ne suffit jamais pour conclure. Il faut une multiplicité d'expériences, de résultats et une puissance statistique suffisamment robuste pour ce faire. Dès lors, concernant la pratique, il n'est pas surprenant de la voir se contredire et proposer plusieurs explications pour un même phénomène avant de posséder des données provenant d'expériences.

    Il n'est pas surprenant de voir l'exercice scientifique se contredire. © Dragon Images, Fotolia
    Il n'est pas surprenant de voir l'exercice scientifique se contredire. © Dragon Images, Fotolia

    Mais ce qui surprend généralement plus nettement, c'est lorsque la pratique scientifique vient contredire les connaissances du corpus. Si nous ne sommes pas sensibilisés à la question, tout s'écroule. Si la pratique scientifique a la capacité de venir modifier des connaissances provenant de théories admises, qu'elle a elle-même instaurées comme telle, quelle image cela renvoie-t-il de sa fiabilité ? Elle change d'avis comme de chemise ! Et pourtant, c'est justement cela qui fait sa grande qualité pour produire ce que nous appelons communément des connaissances. Voyons brièvement pourquoi. 

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    Un adolescent diabétique dans un état grave après avoir suivi des conseils sur YouTube, spécifiquement la partie « Médecine moderne et pratiques douces : deux espoirs bien différents »

    Aucun énoncé n'est intouchable

    Selon une thèse assez répandue en philosophie des sciences (c'est la discipline qui étudie à la fois le rapport entre la science et la connaissance mais aussi les implications des théories scientifiques si elle était strictement vraie), aucun énoncé scientifique n'est intouchable (cette thèse se nomme le holisme de la confirmation ou holisme scientifique). Pas même les lois logiques et mathématiques ! L'image assez classique pour se représenter la connaissance théorisée par ce modèle est d'imaginer une toile d'araignéearaignée. Les énoncés logiques et mathématiques sont au centre et la valeur d'une connaissance réside dans les inférences qu'elle réalise avec d'autres énoncés. Autrement dit, dans cette perspective épistémologique, il n'y a pas de socle, pas de fondements à la connaissance scientifique. Par conséquent, ce qu'il faut maintenir, c'est l'intelligibilité du système de connaissance. C'est la seule règle. Mais les énoncés, eux, sont toujours à la merci d'une révision (c'est une vision extrêmement simpliste de cette théorie. Le lecteur curieux pourra trouver des pistes d'approfondissement en fin d'article). 

    Dans ce modèle, la connaissance peut être représentée par une toile d'araignée. © bella67, Pixabay
    Dans ce modèle, la connaissance peut être représentée par une toile d'araignée. © bella67, Pixabay

    La science n'opère pas dans le vide

    Que ce soit le corpus ou la pratique scientifique, ils sont tous deux la résultante d'un contexte historique et technologique particulier, de théories diverses et de designs expérimentaux spécifiques. Dès lors, étant donné qu'aucun énoncé n'est intouchable, il n'est pas surprenant de voir des données éventuelles faire émerger de temps à autre des contradictions, et que ces mêmes contradictions viennent contredire des énoncés admis par le passé. 

    Ceci est en quelque sorte la preuve de la supériorité de la science par rapport aux dogmes sur notre connaissance du réel. Attention, le fait que la science se contredise n'implique pas qu'elle se contredise sans cesse, surtout sur des résultats robustes et centraux de notre connaissance. En effet, plus on touche au cœur d'une théorie ou d'un système de connaissance, plus son intelligibilité s'effrite et finit par... s'effondrer. Parfois, cela est nécessaire. Mais cela n'arrive pas tous les jours. La dernière fois qu'une telle révolution est survenue, pour ne prendre que l'exemple des sciences physiques, c'était lors de la théorisation des lois de la relativité générale et restreinte et de la physique quantique, c'est-à-dire, il y a plus d'un siècle désormais ! 

    Deux types de contradictions 

    Forts de ce que nous venons de développer, nous pouvons distinguer deux types de contradictions. La première, c'est lorsque deux théories sont concurrentes dans l'explication d'un même phénomène. Les résultats produits jusqu'à présent ne suffisent pas à les départager. De fait, nous avons, le temps que la pratique scientifique se fasse, autant d'explications plausibles pour un phénomène donné si les résultats expérimentaux ne penchent en faveur d'aucune théorie (nous ne rentrerons pas ici dans la question de savoir si la pratique scientifique a le pouvoir de dire qu'une théorie est supérieure à une autre. Des lectures d'approfondissement de ces questions se trouvent, comme nous l'avons déjà évoqué, en fin d'article). 

    La seconde, c'est la contradiction entre nos théories et nos observations ou résultats expérimentaux. C'est dans ce cas précis que les connaissances auparavant admises peuvent être révisées à rebours et altérer l'intelligibilité de notre système. Actuellement, et dans la crise de la Covid-19, nous avons seulement eu affaire au premier type de contradiction. Dès lors, dans cette crise, rien ne servait de tout remettre obstinément en question étant donné que les théories dominantes n'ont jamais été inquiétées par des contradictions (qu'on appelle généralement des anomaliesanomalies).

    Voir aussi

    Harry Potter à l'école de l'épistémologie

    Pour conclure

    Résumons brièvement. La science peut se distinguer en deux entités : ses théories dominantes admises et sa pratique qui s'alimentent mutuellement. Lors de la pratique, on peut avoir des théories rivales qui expliquent un même phénomène. C'est le premier type de contradiction. Mais la pratique peut, plus rarement, finir par contredire des théories dominantes admises, lorsque de nouvelles données apparaissent ou que de meilleures théories sont formulées et prodiguent, par exemple, une meilleure explication (nous laissons au lecteur curieux le soin d'approfondir pour comprendre ici le sens du mot « meilleur ») car, rappelons-le, aucun énoncé n'est intouchable lorsqu'il est scientifique. Enfin, si la pratique scientifique peut contredire très souvent ce qui se trouve à l'extrémité de la toile d'araignée du système de connaissance, elle ne contredit pas tous les quatre matins ce qui se trouve le plus au centre de cette même toile.

    Pour aller plus loin :