Depuis plusieurs semaines, les chercheurs sont mobilisés pour défendre ce qui est leur gagne-pain mais aussi et surtout le moteur de la croissance nationale.
La recherche va mal, or la recherche est tout à fait cruciale pour la croissance économique de long terme de notre pays. D'abord parce qu'elle permet l'innovation. Ensuite parce qu'elle forme le capital humain si cher à la théorie économique.

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    crédit photo : Agnès Anne /LEM P7

    crédit photo : Agnès Anne /LEM P7

    La mobilisation va prendre aujourd'hui un tournant que nous ne connaissons pas encore à l'heure où nous écrivons cet article. C'est aujourd'hui qu'expire l'ultimatum fixé au gouvernement par le collectif de chercheurs signataires de la tristement célèbre pétition.

    Comment va évoluer la situation ? Tout dépend en fait de la réponse du gouvernement.
    Peut-être acceptera-t-il in fine de reconsidérer le sort de la recherche publique française. Cette réponse, dont il semble utopique de fixer une probabilité de réalisation élevée, devrait alors satisfaire les chercheurs.
    Dans le cas contraire, si des rustines sont proposées à des chercheurs excédés, alors... il se pourrait que les 63.000 chercheurs signataires mettent à exécution leurs menaces : démissionner de leurs fonctions administratives. Des fonctions essentielles à la gestion quotidienne de ces organismes et qui sont très chronophages, dans la mesure où ces tâches administratives occupent le tiers du temps des chercheurs concernés.
    D'autant plus que ces chercheurs sont soutenus par les citoyens français : plus de 150.000 personnes ont signé la pétition citoyenne.
    Au total, ce sont plus de 215.000 signataires
    .

    Quels sont les enjeux ?

    Des mauvaises langues profitent de l'agitation pour s'insurger contre le poids de la recherche publique, improductive et entravant les lois du marché. Ce marché qui ne peut fonctionner que sans intervention de l'Etat, en laissant jouer les initiatives individuelles, fondement du libéralisme. En recherchant à maximiser leur profit, les entrepreneurs individuels assurent ainsi l'optimum social : la recherche de leur intérêt bien compris conduit au bonheur collectif.
    C'est oublier que la concurrence n'est pas parfaite. On peut par exemple citer le fait que l'entrepreneur individuel n'existe pas en matière de recherche. Il est nécessaire de rassembler des sommes importantes en assumant un risque élevé : celui de ne pas trouver.
    Et puis c'est oublier les travaux récents de la théorie économique. C'est oublier qu'effectivement la connaissance, la savoir, est un bien public. Et que l'Etat doit s'occuper de la production des biens publics. Précisément car il n'est pas rentable pour un entrepreneur privé d'investir dans ce genre d'activité. Mais c'est pourtant rentable à l'échelle collective. En effet, l'investissement financé par un individu, que ce soit un entrepreneur privé ou l'Etat, a des effets externes positifs puisque les fruits de la recherche bénéficient à tous. Alors on crée des brevets. Qui viennent encore davantage entraver le jeu du marché.
    L'Etat doit donc intervenir pour financer par l'impôt, c'est à dire par tous, la recherche qui profite à tous.

    <br />crédit photo : Agnès Anne /LEM P7


    crédit photo : Agnès Anne /LEM P7

    C'est aussi oublier que contrairement à la recherche privée qui cherche pour trouver, la recherche publique cherche sans objectif économique de rentabilité. Quid du SIDASIDA, quid du développement durabledéveloppement durable, quid aussi de la connaissance collective, à savoir l'Histoire, la géopolitique, ou encore l'économie.

    C'est enfin oublier que la recherche, ce sont aussi les établissements universitaires. Avec l'enseignement universitaire. C'est à dire la formation du capital humain. La formation d'individus qui pourront concourir à la croissance économique du pays.

    Un pays qui ne voit pas à long terme est un pays moribond. Ce n'est pas sur le lit d'hôpital qu'il faut se rendre compte des excès alimentaires ou alcooliques qui provoquent des troubles cardiaques. Il est alors trop tard. On peut se relever, mais on a perdu du temps et les efforts sont douloureux.

    La recherche publique est nécessaire car elle permet de faire des découvertes que la recherche privée ne ferait pas. Elle est également nécessaire car elle permet d'offrir un enseignement dont la qualité reste aujourd'hui inégalée quel qu'en soit le domaine : elle permet de former des générations d'étudiants, cultivés et « cultivables ».

    En revanche, la recherche privée reste tout à fait nécessaire. Car si elle est menée dans le but d'expérimenter des projets à fort potentiel de rentabilité, elle permet donc de répondre à des besoins technologiques. Les opportunités de profits résident en effet dans l'ouverture de nouveaux débouchés pour les entreprises. Il est alors nécessaire de mettre en place un processus de recherche et développement qui contribue donc aussi à la croissance économique et à l'accroissement supposé de la satisfaction des consommateurs.
    La recherche privée est également très souvent mise en oeuvre dans le but de réduire les coûts de production.

    Extraits d'un communiqué du collectif « Sauvons la recherche »

    Le 9 mars aura lieu à l'Hôtel de Ville de Paris (le grand amphi de la Sorbonne nous a été refusé par le rectorat) une assemblée générale réunissant des directeurs de labo et des chefs d'équipe. Cette assemblée aura à prendre des décisions majeures pour l'avenir de la recherche en France.

    ... Depuis le 7 janvier, des centaines de directeurs de laboratoire et de chefs d'équipe se sont engagés, en signant l'appel "Sauvons la recherche", à démissionner de leurs fonctions administratives si les réponses gouvernementales à 3 questions n'étaient pas satisfaisantes. Ces questions, formulées en des termes assez généraux dans la lettre initiale, ont été précisés, chiffrés et rendus publics dès la première entrevue avec Claudie HaigneréClaudie Haigneré, le 16 janvier. Ils ont constamment été rappelés depuis. Alors que la date du 9 mars est toute proche, le Collectif considère que les propositions faites par C. Haigneré sont très insuffisantes : rappelons que l'annonce de déblocage de 293 M€ ne constitue que le reversement de crédits 2002 toujours impayés, qu'après restitution de 120 postes statutaires, le bilan net est toujours une baisse très nette de l'emploi statutaire dans la recherche, aucune création de poste dans les universités. Sur le fond, le message adressé aux jeunes chercheurs hors-statut (et aux jeunes qui hésitent à entrer dans la voie de la recherche) est resté identique : avenir bouché, vivement déconseillé.

    Ces résultats très insuffisants mais indéniables, ont été arrachés grâce à une extraordinaire mobilisation de la communauté scientifique qui a recueilli par ailleurs un énorme témoignage de sympathiesympathie de la population. Cette vaguevague de mobilisation a su transcender les clivagesclivages entre les disciplines, les diversités des métiers de la recherche et a surmonté les tentatives du ministère de faire éclater cette unanimité dont les derniers avatarsavatars sont les pressions exercées sur nos collègues de l'INSERM.

    A un moment où cette mobilisation sans précédent de la communauté scientifique a non seulement fait naître au sein de celle-ci de nombreux espoirs sur les possibilités de réforme de notre système de recherche publique, mais a aussi redonné une espérance aux jeunes doctorants sur les possibilités d'une politique ambitieuse concernant l'emploi scientifique, il est de notre devoir d'assumer nos responsabilités et d'aller au bout du processus amorcé lorsque chacun d'entre nous a signé cette pétition.