Une large partie de l'opposition "militante" aux OGM s'est focalisée sur l'impact des cultures transgéniques sur les autres productions agricoles ainsi que sur l'environnement botanique naturel. De quels outils dispose-t-on pour empêcher la contamination génétique "en champ"? Zoom sur le projet européen Sigmea, une recherche phare sur cette épineuse question.

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    Etude de la dispersion du pollen du colza dans un champ circulaire de 105 m de diamètre à partir d'une parcelle centrale de colza transgénique résistant à la phosphinotricine de 9 m de diamètre.

    Etude de la dispersion du pollen du colza dans un champ circulaire de 105 m de diamètre à partir d'une parcelle centrale de colza transgénique résistant à la phosphinotricine de 9 m de diamètre.

    Différentes stratégies peuvent être imaginées pour minimiser le flux des gènesgènes. Il est possible, par exemple, d'envisager des pièges ou des barrières à pollenpollen en bordure de culture, ou encore de définir des distances d'isolement efficaces. Une autre piste est de ne faire cohabiter que des variétés dont la période de floraison n'est pas la même, afin que le pollen OGMOGM ne puisse féconder les pistilspistils non OGM. On peut, à cette fin, adopter des stratégies de calendriers d'ensemencements culturaux. Mais comment agir au mieux selon le type d'endroit ?

    Pour étudier la coexistence en champ, les chercheurs du projet Sigmea mettent avant tout à profit l'impressionnante quantité de données expérimentales déjà produites par la recherche européenne en matière de flux de gènes. "C'est pour cela que nous regroupons 44 participants issus de 12 pays européens, soit la quasi totalité des groupes qui ont étudié ces problématiques sur notre continent, commente Jeremy Sweet, du National Institute of Agricultural Botany (NIAB) britannique, coordinateur administratif de Sigmea.Ceci nous permettra de mettre sur pied une sorte de super base de donnéesbase de données européenne". Ce projet est soutenu par l'Union à hauteur de 2,5 millions d'euros.

    Les études déjà menées ont porté sur d'innombrables sujets : distances franchies par le pollen, effets sur les plantes apparentées, stratégies pour réduire le flux, etc. Les chercheurs vont également passer au crible divers travaux menés notamment en Australie, au Canada et aux États-Unis. Ces trois pays ont néanmoins des agrosystèmes très différents des nôtres et les résultats sont donc souvent difficilement extrapolables.

    Modéliser les flux de gènes

    Ces données, complétées par de nouvelles études de terrain, doivent aboutir à des outils de modélisation des flux de gènes qui dépendent de nombreux facteurs, dont le principal est la nature même des cultures. L'accent portera principalement sur le colza et le maïsmaïs, et dans une moindre mesure sur la betterave et la pomme de terrepomme de terre.

    Le type d'exploitation représente un autre élément important. "Il existe un monde de différence entre les gigantesques cultures d'Allemagne de l'Est ou de la Beauce française et les toutes petites exploitations, inférieures à un hectare en moyenne, de Pologne orientale, rappelle Jeremy Sweet. En outre, dans ce type de régions, les parcelles qui peuvent dépendre de fermes de grande taille sont souvent dispersées et imbriquées sur d'autres propriétés."

    C'est pourquoi la modélisation de cette diversité agricole permettra d'estimer de quelle manière on peut gérer ces coexistences. Plus les parcelles sont petites et forment des puzzles, plus les échanges de gènes sont importants - au point qu'il semble parfois inenvisageable de faire cohabiter des cultures OGM et non OGM. L'objectif des chercheurs est de développer un outil permettant de définir, selon la culture et le paysage agricole, jusqu'à quel seuil de production OGM l'existence de filières séparées reste "physiquement" possible.

    Question d'échelle

    Les problèmes d'échelle constituent un autre défi à relever pour Sigmea. La plupart des résultats actuellement disponibles portent sur de petites parcelles, et il n'est pas facile de savoir dans quelle mesure ils sont extrapolables à des unités plus grandes. Vu la défiance envers la culture d'OGM, seules quelques études, réalisées dans un petit nombre de pays - notamment en Espagne - ont porté sur des unités de 10 à 50 hectares. "Nous avons donc modélisé ces flux, précise Jeremy Sweet. Le cercle vicieux, c'est qu'en l'absence de validation en champ nous ne savons pas si nos modèles sont justes...". Ces validations pourraient néanmoins être réalisées à l'aide de marqueurs moléculaires permettant de faire les études de flux avec des plantes non OGM.

    Les équipes de Sigmea abordent également d'autres domaines, tels la détection de terrain et la législation. Dans le premier cas, il s'agit de mettre au point des outils directement utilisables par l'exploitant - autrement dit simples, rapides, fiables et bon marché, ce qui n'est pas le moindre des défis. Quant aux questions juridiques, elles s'annoncent également sensibles. Le droit, même s'il est influencé par les directives européennes, n'est pas identique dans les différents États membres. Or, certaines frontières sont particulièrement fluides (France/Belgique, Allemagne/Autriche) au point que des exploitants y possèdent souvent des terres des deux côtés de la "barrière".