Peut-on calculer si l'on n'a pas de mots pour désigner les nombres ? Pour répondre à cette question et comprendre les relations qui existent entre connaissance mathématique et faculté de langage, des chercheurs du CNRS et de l'Inserm, Pierre Pica, Cathy Lemer, Véronique Izard et Stanislas Dehaene, se sont intéressés au cas des Mundurucus. Ces indiens d'Amazonie ont un lexique de noms de nombres qui ne va que jusqu'à 4 ou 5. Les tests réalisés pendant plusieurs mois auprès de cette population, montrent que les Mundurucus ont des difficultés à exécuter des opérations arithmétiques "élémentaires" avec des quantités exactes, mais qu'ils possèdent une capacité d'approximation des nombres comparable à la nôtre. Ces recherches, publiées dans la revue Science du 15 octobre 2004 suggèrent que la compétence de l'espèce humaine pour l'arithmétique approximative est indépendante du langage ; le calcul exact ferait partie des inventions technologiques qui varient largement d'une population à une autre.

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    Cacique (chef du village) montrant le calcul exact Mundurucu à l'aide de ses doigts et orteils (Bom Jardim/Kaburuá, 2001).© CNRS Photothèque - Pierre PICA

    Cacique (chef du village) montrant le calcul exact Mundurucu à l'aide de ses doigts et orteils (Bom Jardim/Kaburuá, 2001).© CNRS Photothèque - Pierre PICA

    Pour élucider les relations existant entre langage et arithmétique, il faut pouvoir étudier les compétences de calcul dans des situations où le langage des nombres est absent ou réduit. Les Indiens Mundurucus représentent à cet égard une population indigèneindigène intéressante : comme la plupart des peuples indigènes Tupi, leur langue ne comprend des mots que pour les nombres allant de 1 à 5. Elle est parlée par environ 7000 personnes vivant dans un territoire autonome de l'état du Para, au Brésil.

    Pierre Pica effectue des recherches linguistiques sur le territoire Mundurucu depuis 1998. Il a ainsi pu réaliser toute une série de tests arithmétiques auprès de 55 Indiens Mundurucus, visant à évaluer leurs capacités de calcul exact et approximatif, ces mêmes tests étant réalisés chez 10 Français, pour servir de contrôle.

    Le premier objectif était de déterminer l'étendue exacte du lexique Mundurucu en termes de noms de nombres - deux, trois, quatre, cinq ou plus - et d'analyser avec précision, à l'aide d'outils mathématiques, les capacités arithmétiques de cette population.

    Des expérimentateurs Mundurucus, formés par le chercheur, ont fait passé les séries de tests en territoire Mundurucu, en utilisant l'écran d'un ordinateur portable rechargé par des panneaux solaires.

    Plusieurs groupes distincts de participants ont été constitués afin de bien refléter la diversité culturelle, linguistique et géographique des Mundurucus : un groupe d'adultes (hommes et femmes) et un groupe d'enfants ne parlant que le Mundurucu et n'ayant pas reçu d'instruction à l'école, ont été comparés à d'autres groupes d'adultes et d'enfants qui parlaient également un peu le Portugais ou qui avaient reçu un peu d'instruction.

    Quelques exemples de tests

    • Dans un premier test de dénomination, les Indiens devaient nommer des ensembles de 1 à 15 points. Cela permettait d'étudier comment ils utilisent les noms de nombres dont ils disposent.
    • Dans un second test de comparaison, les Indiens devaient désigner entre deux nuagesnuages comprenant un grand nombre de points, lequel était le plus grand.
    • Dans un troisième test d'arithmétique approximative, ils regardaient de brefs séquences vidéo illustrant des opérations simples : par exemple, une vingtaine de graines tombent dans une boîte, puis s'y ajoutent une trentaine d'autres graines, et le participant doit juger si le total fait plus ou moins qu'un autre ensemble (par exemple d'une quarantaine de graines).