au sommaire
Comme chaque année, les paris allaient bon train quant à l'attribution du prix Nobel de physique. Certains s'attendaient à voir récompenser les pionniers des métamatériaux et de l'invisibilité, d'autres ceux de l'intrication quantique comme Alain Aspect et Anton Zeilinger. Il était peu probable que le prix soit attribué à Peter HiggsPeter Higgs et François Englert cette année, car on ignore toujours si le boson découvert au Cern, et qui ressemble beaucoup au boson de Higgs, possède bien un spin nul, une condition obligatoire pour être la particule mythique du champ de Higgs.
Portrait de Serge Haroche, physicien et explorateur du monde quantique, qui a reçu la médaille d'or du CNRS 2009 et le prix Nobel de physique en 2012. Ce chercheur, spécialiste de physique atomique et d'optique quantique évoque ici son parcours professionnel. Il est l'un des fondateurs de l'électrodynamique quantique en cavité, domaine qui permet, par des expériences conceptuellement simples, d'éclairer les fondements de la théorie quantique. © CNRS
Un maître de l'électrodynamique quantique en cavité
Ce sont finalement des maîtres des expériences sur la décohérence quantique qui sont les lauréats du prix Nobel de physique 2012. Il s'agit du Français Serge Haroche et de l'Américain David Wineland. En contrôlant respectivement des photonsphotons individuels et des ionsions individuels piégés dans des dispositifs, ils ont déjà permis de mieux comprendre le célèbre paradoxe du chat de Schrödingerchat de Schrödinger en effectuant des expériences précises. Ils ont aussi ouvert des voies pour réaliser, un jour peut-être, de mythiques superordinateurssuperordinateurs quantiques.
En décembre 1963, Serge Haroche, 19 ans, vient de rejoindre l’École normale supérieure. Il était troisième au concours d’entrée… et premier à celui de Polytechnique mais le jeune homme voulait faire de la recherche. « Les années 1980 font rêver, explique-t-il au journaliste de l’ORTF. À cette époque, la science et la technique seront plus proches. » © INA
Né en Afrique du Nord comme un autre prix Nobel de physique quantiquephysique quantique français, Claude Cohen-Tannoudji, c'est sous sa direction que Serge Haroche a passé une thèse à la fin des années 1960 (une biographie de Serge Haroche est disponible sur le site du CNRS).
Les travaux de Serge Haroche portent sur l'électrodynamique quantiqueélectrodynamique quantique en cavité, un domaine de l'optique quantique dont il est tout à la fois l'un des créateurs et l'un des grands maîtres. Il est devenu mondialement célèbre en 1996 à la suite de la publication d'un article portant sur les expériences effectuées avec ses collègues sur le mécanisme de la décohérence.
Ce mécanisme avait été proposé il y a des années par le physicienphysicien Wojciech Zurek pour résoudre le célèbre paradoxe du chat de Schrödinger. Il s'agit d'un problème fondamental de l'interprétation de la mécanique quantiquemécanique quantique auquel Zurek a beaucoup réfléchi avec le grand physicien John Wheeler.
Né en 1944 à Casablanca, Serge Haroche a fait ses études à l’École normale supérieure (ENS). Il a été chercheur au CNRS mais depuis 2001, il est professeur au Collège de France dans la chaire de physique quantique. © Collège de France
De manière générale, les travaux de Serge Haroche sur les interactions photons-atomesatomes dans le cadre de l'électrodynamique quantique en cavité lui ont permis de réaliser plusieurs expériences de pensées, proposées par les fondateurs de la mécanique quantique comme Bohr, EinsteinEinstein et Schrödinger. C'est le cas par exemple avec les atomes de Rydbergatomes de Rydberg et la fameuse boîte d’Einstein.
Comme Claude Cohen-Tannoudji, Serge Haroche s'est illustré par des cours au Collège de France. En plus des questions portant sur la décohérence et la transition entre mécaniques quantique et classique, spectaculairement illustrées par le paradoxe du chat de Schrödinger, ses cours (d'une grande clarté comme on peut s'en rendre compte en suivant son exposé sur la physique quantique sur Canal U)) abordent les questions liées à l'information quantique.
Wojciech Hubert Zurek (né en 1951) est un physicien d'origine polonaise membre du Los Alamos National Laboratory. Il est surtout connu par ses travaux sur la théorie de décohérence quantique. © University of Waterloo
La décohérence, un obstacle pour l'ordinateur quantique du futur
Il s'agit d'un domaine récent et très prometteur de la physique quantique résultant des réflexions de Richard Feynman et David Deutsch sur les ordinateurs quantiques. Ces derniers, actuellement limités à des prototypes facilement battus par des calculatrices, ne manipulent plus des bits d'informations mais des qubitsqubits. Si l'on parvenait à construire des exemplaires de grande taille, malgré le problème de la décohérence, ces ordinateursordinateurs seraient bien plus puissants pour certains calculs que les ordinateurs classiques dont nous disposons.
En effet, des objets de grande taille, bien qu'ultimement soumis aux lois de la physique quantique gouvernant leurs atomes, se comportent comme des objets qui ne sont plus quantiques à cause du phénomène de la décohérence. Or, pour réaliser un ordinateur quantiqueordinateur quantique surpassant un ordinateur classique, il faut disposer d'un grand nombre de qubits. Si l'on veut avoir une vaguevague idée du phénomène de décohérence et de son rôle limitant pour la constructionconstruction d'un ordinateur quantique, on peut prendre comme analogieanalogie celle d'un château de cartes. Les qubits sont alors les analogues des éléments de ce château. Plus le château prend de la hauteur, plus il est instable et un petit courant d'airair ou une petite vibrationvibration de la table suffit pour que tout le château s'écroule. En général, plus le château est grand, plus il a de risques de s'effondrer rapidement, à moins qu'on ne le place dans une chambre sous vide ou sur une table l'isolant des vibrations du sol par exemple.
Une des voies à explorer pour obtenir un long temps de décohérence avec plusieurs qubits repose sur l'utilisation de pièges à ions et c'est précisément dans ce domaine que se trouvent les travaux du second prix Nobel de physique 2012, David Wineland.