La découverte du boson de Brout-Englert-Higgs nous apprend-elle quelque chose sur la physique au-delà du modèle standard ? Faut-il abandonner les théories supersymétriques ? À ces questions comme à d'autres, le prix Nobel de physique François Englert a donné ses réponses lors d'une interview au Cern. Voici ces réponses dans une vidéo en anglais accompagnée d'une traduction réalisée par Futura-Sciences.

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    Avec son ami et collègue le regretté Robert Brout, François Englert a découvert l'une des pièces maîtresses de la physique du XXe siècle, le mécanisme de Brout-Englert-Higgs et le boson scalaire qui va avec. Jusqu'en 2012, cette découverte était restée théorique, bien qu'ayant conduit indirectement à la mise en évidence expérimentale des bosons Z et W du modèle électrofaible au début des années 1980. En 2013, le Cern confirmait que le nouveau boson découvert l'année précédente était bien celui dont l'existence découlait des travaux de Robert Brout, François Englert et Peter HiggsPeter Higgs, ainsi que de ceux de quelques autres physiciensphysiciens. Cette même année, François Englert et Peter Higgs se voyaient attribuer le prix Nobel de physique.

    Comme nous l'expliquait dans une interview Jean Orloff, l'un de ses anciens doctorants, les contributions à la physique de François Englert dépassent le cadre du modèle standard puisqu'elles concernent aussi bien les théories supersymétriques, comme les théories de supergravité avec des modèles de Kaluza-Klein, et les supercordes que la cosmologiecosmologie et la théorie des trous noirs. À nouveau de passage au Cern après l'attribution de son prix Nobel, François Englert a répondu à quelques questions de Paola Catapano, la médiatrice scientifique bien connue du Cern. Plusieurs vidéos en anglais en ont été tirées, dont celle ci-dessous avec une traduction donnée plus loin.


    Lors de son premier retour au Cern après avoir reçu le prix Nobel de physique 2013 en compagnie de Peter Higgs, François Englert a répondu aux questions de la médiatrice scientifique du Cern, Paola Catapano. © Cern

    Paola Catapano : Quel effet cela fait de revenir au Cern après Stockholm ?

    François Englert : Un peu fatigué... mais je me sens bien après Stockholm, bien sûr. D'un certain point de vue, c'est très agréable de voir que les choses se sont développées de la façon qu'elles le devaient, je veux dire pour la particule, pas pour moi. Je pense que c'est vraiment une grande découverte et je suis très heureux, évidemment, d'avoir le prix Nobel.

    Recevoir le prix Nobel vous a-t-il changé ?

    François Englert : Peut-être est-il en train de le faire. Pour le moment, d'une certaine façon, certainement. Il y a tellement de personnes différentes qui sont intéressées par cette découverte que dans un certain sens, je me sens un peu pris au dépourvu, et en même temps je pense que ce n'est pas si mal, parce que cela contribue vraiment à la diffusiondiffusion d'un intérêt pour des choses qui ne préoccupent pas tellement les gens habituellement, en l'occurrence la recherche fondamentale.

    Maintenant que le modèle standard est devenu complet, la découverte du boson scalaire nous apprend-elle quelque chose de nouveau ?

    François Englert : Oui, je pense que c'est le cas. Il faut bien comprendre que l'on pouvait espérer que la découverte de cette particule appelée le boson scalaire, le boson de Higgs, le boson BHE ou quel que soit le nom (sa dénomination correcte d'un point de vue physique étant boson scalaire) soit aussi accompagnée de celles d'autres types de particules. Certaines personnes ont été déçues que ce n'ait pas été le cas.

    Je trouve pour ma part que c'est extrêmement intéressant et que c'est probablement l'aspect le plus important de la découverte du Cern, que rien d'autre ne soit apparu à ce niveau. Parce que cela veut dire que toutes sortes de théories qui ont été proposées pour remplacer la plus simple théorie que l'on pouvait envisager [pour expliquer les massesmasses du modèle standard, NDLRNDLR] sont fondamentalement fausses.

    Dit autrement, ce champ se comporte essentiellement aux énergiesénergies accessibles comme celui de toutes les autres particules considérées comme élémentaires, que ce soit les électronsélectrons ou les quarksquarks. Si ce n'est que la valeur d'une propriété quantique de ce boson scalaire, que l'on appelle le spinspin et qui décrit si vous voulez la rotation d'une particule autour d'elle-même, est nulle. C'est une particule qui ne définit aucune orientation, aucun axe de rotation ou autre chose.

    Cela signifie que cette particule est élémentaire à ces niveaux d'énergie. C'est très important, parce que non seulement sa découverte rend complète le modèle standard, qui constitue notre compréhension présente de toutes les particules que nous connaissons, mais cela indique aussi que, quelle que soit la physique qui existe au-delà et que nous n'avons pas encore découverte, elle est probablement beaucoup plus simple que celle qu'aurait impliqué la mise en évidence de beaucoup d'autres particules. Cela aurait signifié que cette particule est en fait composée d'autres particules qui, heureusement, je pense, n'existent pas.

    La supersymétrie a-t-elle été réfutée ?

    François Englert : Non. Les indications en sa faveur ne sont tout simplement pas encore là pour le moment. Je pense que, dans un sens, c'est la question fondamentale : y a-t-il ou non des indications de la supersymétrie aux niveaux d'énergie atteints par le LHCLHC ? Je pense que des études ultérieures de la désintégration du boson scalaire et le prochain « run » du LHC donneront quelques informations qui clarifieront probablement cette question.

    Que pensez-vous des projets d’accélérateurs plus grands que le LHC ?

    François Englert : Mon opinion à ce sujet est qu'avant de faire un accélérateur de 100 km de circonférence, il serait très intéressant de voir ce qui va arriver avec le LHC. Parce qu'alors on verrait peut-être, malgré le fait que nous n'avons encore rien découvert aux précédentes énergies, des nouvelles particules. C'est une des possibilités.

    Il y a une autre possibilité, qui est aussi très intéressante : c'est qu'il n'y en ait aucune. Je n'ai pas envie d'essayer de deviner maintenant, et je pense que seules les expériences pourront nous renseigner à ce stade. Parce que ce sera vraiment la première indication de ce qu'il adviendra plus tard. Sans cela, il est très difficile de prédire ce qui pourrait être découvert avec un LHC de 100 km.