Jouets, vêtements, télévisions, couettes, chaussures de sport, ordinateurs, panneaux solaires, trottinettes ou même mini Tour Eiffel… Les produits chinois ont envahi le monde. Un autre pourrait bientôt s’ajouter à cette longue liste : l’électricité. La Chine envisage, en effet, d'exporter de l’électricité à bas coût, issue de ses fermes éoliennes et solaires, via des câbles à ultra haute tension. De quoi tailler des croupières à EDF et consorts ?


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    En 2019, la Chine devrait achever une ligne à ultra haute tensionhaute tension de 1,1 million de volts (1.100 kV), reliant les grands barrages hydrauliques de la province du Xinjiang, au nord-ouest, à l'Anhui, sur la côte Est. Cette « autoroute de l'énergie », Changji-Guquan, permettra d'acheminer 12.000 MW d'électricité, l'équivalent de deux fois la consommation électrique suisse, sur 3.200 kilomètres. Soit, 50 % d'électricité de plus qu'avec les lignes ultra haute tension actuelles à 800 kV.

    La revanche du courant continu sur le courant alternatif

    Pour transporter l'électricité sur des milliers de kilomètres, la Chine s'appuie sur la technologie dite CCUHT (courant continucourant continu ultra haute tension ou UHVDC en anglais), dont la tension dépasse les 800.000 V (800 kV). Cette dernière connaît un véritable renouveau depuis les années 2000, avec l'allongement des distances et des puissances transportées. D'habitude, le courant alternatifcourant alternatif (AC) est privilégié pour transporter l'électricité, car cela permet d'utiliser des hautes tensions, donc de réduire les intensités et de limiter les pertes par effet Joule. Mais au-delà d'une certaine distance, le courant alternatif implique un ajustement permanent de la puissance, qui doit être compensé à intervalles réguliers pour maintenir la tension. Ces fluctuations de puissance entraînent des variations de fréquence, qui peuvent, à leur tour, perturber le reste du réseau. Le courant alternatif ne permet pas non plus d'interconnecter deux lignes de fréquences différentes, qui doivent alors passer par un transformateur en courant continu. La fiabilité des lignes en courant continu est également bien meilleure dans le temps et surtout, leur coût est près de deux fois inférieur à celui d'une ligne AC (en moyenne, 2 euros par kilomètre en terrestre et 3 à 5 fois plus, pour un câble sous-marinsous-marin).

    Sur les très longues distance, le courant continu offre de meilleures performances que le courant alternatif pour transporter l’électricité. © Matthew Henry, Unsplash
    Sur les très longues distance, le courant continu offre de meilleures performances que le courant alternatif pour transporter l’électricité. © Matthew Henry, Unsplash

    À peine 7 % de pertes sur 2.000 kilomètres

    Pour toutes ces raisons, la CCUHT a rapidement pris le pas pour les mégaprojets chinois. La technologie reste pour l'instant dominée par les fabricants européens comme l'allemand SiemensSiemens ou le suédois ABB, ce dernier étant, d'ailleurs, fournisseur de la liaison Changji-Guquan. « Les transformateurstransformateurs mis à disposition par ABB compteront parmi les plus puissants au monde », se félicite ainsi l'entreprise. Chacun pèsera près de 800 tonnes pour une longueur de 10 mètres. « La Chine a le meilleur rapport pertes-distance, atteste Steven Chu, ancien secrétaire américain à l'énergie. Leurs lignes sont capables de transporter l'électricité sur 2.000 km de distance avec à peine 7 % de pertes. Aux États-Unis, nous n'arrivons même pas à ce résultat sur 200 kilomètres ».

    La Chine produit trop d’électricité et au mauvais endroit

    Pour les Chinois, le développement de lignes à ultra haute tension devait d'abord répondre à un problème national : sa production énergétique est essentiellement située au nord et au centre du pays, où se trouvent les mines de charboncharbon et où le ventvent et le soleil sont les plus forts, alors que 80 % de la population habite sur le littoral à l'est et au sud. Résultat : le pays affiche le pire taux d’effacement au monde (énergie qui aurait potentiellement pu être produite mais qui est non utilisée), avec 12 % pour l'éolien et 6 % pour le solaire. En 2016, 56,2 TWh d'énergie ont ainsi été gaspillés, selon un rapport de Bloomberg News Energy Finance. La Chine a tellement construit de fermes solaires et éolienneséoliennes qu'elle se retrouve avec une surproduction de 35 %, relate Bloomberg. Certaines installations, toutes neuves, ne sont même pas reliées au réseau, faute de besoin. Pour pallier ce gâchis, la Chine a donc entrepris la constructionconstruction d'un réseau national à ultra haute tension : depuis 2006, 19 lignes à ultra hautes tension ont été construites dans le pays couvrant 30.000 kilomètres, dont six reposent sur la CCHUT.

    La carte du réseau de lignes à ultra haute tension. Source : Lantau Group et presse.

    Un « super réseau électrique mondial »

    Forte de son savoir-faire national, la Chine vise désormais des horizons plus lointains et ambitionne de construire un « super réseau électriqueréseau électrique mondial » pour écouler ses surplus. La compagnie nationale chinoise, State Grid, compte ainsi exporter l'électricité verteélectricité verte, issue des ses ressources renouvelables vers l'Europe, « lui permettant ainsi de réduire son empreinte carbone et sa dépendance au nucléaire », avance la compagnie. Grâce à ce plan, les émissions de CO2 européennes diminueraient ainsi de 67 milliards de tonnes,affirme Liu Zhenya, son P.-D.G.

    Une électricité trois fois moins chère que celle produite en Europe

    Il s'agit, en réalité, d'un nouveau pion sur sa « Route de la Soie », ce programme lancé en 2013 qui ambitionne de construire un vaste réseau de voies de communications terrestres et maritimes à travers la Russie, l'Asie et l'Europe, et qui est parsemé d'infrastructures de tous ordres (ports, bases militaires...). L'électricité excédentaire chinoise serait écoulée à un prix dérisoire pour venir concurrencer les centrales européennes. Liu Zhenya, le dirigeant de State Grid, expliquait ainsi lors d'une conférence à Londres qu'un barrage produisant 1 kWh à 3 centimes d'euros pourrait acheminer de l'électricité en Europe grâce à des lignes CCUHT chinoises pour un coût de revient de 6 à 7 centimes. Par comparaison, le coût moyen du kWh en Europe pour les particuliers est de 20 centimes, d'après Eurostat. Avec une telle concurrence, EDF n'aurait plus qu'à mettre la clé sous la porteporte.

    Brésil, Afrique… Les électriques lignes chinoises tissent leur toile sur la planète

    Preuve que le projet est pris très au sérieux, le JRC, le Centre commun de recherche de la Commission Européenne, a publié en 2017 un rapport complet sur le sujet, étudiant la possibilité de trois itinéraires possibles pour une telle « route de la soie électrique » en fonction de leur coût, leur faisabilité et des enjeux géopolitiques. Les Européens ne sont pas les seuls visés par State Grid qui déploierait les tentacules de ses lignes haute tension partout dans le monde. Le pays a ainsi investi plus de 21 milliards de dollars au Brésil pour y devenir le numéro un de la production et du transport électrique. La première ligne CCUHT non chinoise, actuellement en construction, reliera le barrage de Belo Monte et les villes de la côte sud. Elle devrait permettre de réduire de moitié les pertes liées de transport. La plus forte concentration d'investissements concerne l'Afrique, avec pas moins de 39 projets d'infrastructures énergétiques annoncés, selon le cabinet de conseil RWR Advisory. State Grid devrait ainsi prendre le contrôle d'un projet de 2,8 milliards de dollars pour la construction d'un immense réseau électrique interconnecté pour les pays de l'Afrique du Sud.

    Les trois itinéraires possibles de la route de la soie électrique : le premier, au nord, d’une longueur de 5.600 km, passerait par le Kazakhstan et l’Ukraine. Le deuxième, dit « central », s’étire sur 6.500 km et le troisième, <em>via</em> l’Inde, l’Iran et la Turquie, mesure 8.600 km, mais elle traverse des régions potentiellement riches en vent et en soleil, qui pourraient donc venir s’ajouter au réseau. © JRC
    Les trois itinéraires possibles de la route de la soie électrique : le premier, au nord, d’une longueur de 5.600 km, passerait par le Kazakhstan et l’Ukraine. Le deuxième, dit « central », s’étire sur 6.500 km et le troisième, via l’Inde, l’Iran et la Turquie, mesure 8.600 km, mais elle traverse des régions potentiellement riches en vent et en soleil, qui pourraient donc venir s’ajouter au réseau. © JRC

    Une nouvelle menace pour la souveraineté européenne ?

    Il n'est pourtant pas certain que les Chinois arrivent à leurs fins. D'une part, le coût de construction d'une route de la soie Asie-Europe serait astronomique : entre 16 et 28 milliards d'euros en comptant les lignes et les transformateurs, estime le JRC. D'autre part, un tel réseau impliquerait une coopération étroite de tous les pays concernés, ce qui n'est pas prêt de se produire en raison des nombreux conflits dans les régions traversées. Enfin, il est peu probable que les Européens acceptent de bon gré de mettre leur avenir énergétique entre les mains des Chinois. Que se passerait-il si ces derniers décidaient soudainement de plonger la France dans le noir à la suite d'un désaccord commercial ou politique ? La Chine ne sera-t-elle pas tentée de tirer profit de sa domination une fois qu'elle aura mis au tapis les producteurs locaux ? Elle pourrait aussi imposer ses propres standards, accentuant encore son pouvoir technologique.

    Malgré les ambitions chinoises, le rêve d'une Route de la soie énergétique pourrait donc bien être relégué au rayons des « éléphants blancs » à l'instar du projet Desertec, un vaste programme de construction de centrales solairescentrales solaires et de fermes éoliennes dans les désertsdéserts du pourtour méditerranéen, censé alimenter l'Europe en électricité. Faute de financement et victime de dissensions internes entre les partenaires industriels et la fondation responsable du projet, ce dernier semble s'être enlisé dans le sablesable.