Une équipe française vient de démontrer qu’un dormeur peut entendre des mots mais aussi les comprendre et même préparer une réaction appropriée. « Ce n’est pas si étonnant, explique à Futura-Sciences Sid Kouider, co-auteur de l’étude, car toutes les régions du cerveau ne dorment pas en même temps… »

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    L’Homme passe en moyenne un tiers de sa vie à dormir. Durant tout ce temps, le cerveau, contrairement à ce que l'on a longtemps cru, est sensible à son environnement. Il écoute, il sent et il réfléchit parfois... © adwriter, Flickr, cc by nc 2.0

    L’Homme passe en moyenne un tiers de sa vie à dormir. Durant tout ce temps, le cerveau, contrairement à ce que l'on a longtemps cru, est sensible à son environnement. Il écoute, il sent et il réfléchit parfois... © adwriter, Flickr, cc by nc 2.0

    L'expérience est spectaculaire : un dormeur, équipé d'un électro-encéphalographe (un casque EEG), entend des mots et, dans son cerveau, une certaine région du cortex moteur s'active. Si le mot est le nom d'un animal, c'est la zone qui commande la main droite. Si le mot désigne un objet, en revanche, l'EEGEEG montre que c'est la partie responsable des mouvementsmouvements de la main gauche qui s'anime. Conclusion : même pendant le sommeil, le cerveau analyse son environnement et ne se contente pas d'entendre. Il interprète et effectue des analyses d'un niveau supérieur, dont on n'imaginait pas qu'elles puissent provenir d'un cerveau inconscient.

    Comment parvenir à une telle conclusion ? Sid Kouider, l'un des co-auteurs de l'étude (laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique, CNRS/EHESS/DEC-ENS, Paris), parue aujourd'hui dans la revue Current Biology, nous l'explique. Les sujets de l'expérience ont d'abord appris un petit jeu : appuyer sur un bouton ou un autre, avec la main gauche ou avec la droite, selon que le mot entendu désigne un objet ou un animal. « Il faut que l'exercice devienne un automatisme » précise Sid Kouider. Ensuite, et plus précisément pendant l'expérience, réalisée dans la pénombrepénombre, les volontaires s'endorment...

    Schéma de l'expérience. Durant la phase d’éveil, les participants, portant un casque EEG, ont classé des mots qu’ils entendaient toutes les 6 à 9 secondes. Une fois les participants totalement endormis, les mesures d’EEG ont permis de montrer que les aires motrices continuent de s’activer pour la catégorie sémantique correspondant au mot entendu. © Sid Kouider, Laboratoire des sciences cognitives et psycholinguistique (CNRS/EHESS/ENS)

    Schéma de l'expérience. Durant la phase d’éveil, les participants, portant un casque EEG, ont classé des mots qu’ils entendaient toutes les 6 à 9 secondes. Une fois les participants totalement endormis, les mesures d’EEG ont permis de montrer que les aires motrices continuent de s’activer pour la catégorie sémantique correspondant au mot entendu. © Sid Kouider, Laboratoire des sciences cognitives et psycholinguistique (CNRS/EHESS/ENS)

    L'activité du cerveau pendant le sommeil de mieux en mieux étudiée

    Un casque EEG mesure leur activité cérébrale, enregistrant les LRP (Lateralized Readiness Potentials, ou potentiels de préparation latéralisés). Ces signaux proviennent de régions du cerveau qui préparent les mouvements musculaires avant qu'ils ne soient vraiment réalisés. Les chercheurs envoient dans les écouteurs une série de mots, choisis dans une nouvelle liste. Les LRP se modifient alors, démontrant que les aires qui s'animent sont celles des zones correspondant à l'exercice. Donc, même endormi, le cerveau entend un mot, l'analyse dans le cadre du petit jeu, déterminant s'il désigne un animal ou un objet, et prépare le mouvement correspondant. Les mains, cependant, ne bougent pas.

    « Cela ne nous étonne qu'à moitié, confie Sid Kouider. Par les expériences sur les signaux subliminaux, on sait que le cerveau peut effectuer des analyses de façon inconsciente. Par ailleurs, on savait aussi que des parties sensorielles sont actives durant le sommeil. Ce qui est nouveau ici, c'est que nous démontrons que l'analyse de ces perceptions, au plus haut niveau, peut se dérouler pendant que le cerveau est inconscient. »

    Ces travaux apportent un nouvel éclairage sur ce moment si mystérieux du sommeil. Visiblement, le cerveau continue de fonctionner. « En fait, le cerveau ne dort jamais complètement. Des expériences sur les animaux l'avaient déjà montré. De même, chez des personnes épileptiques qui vivent avec des électrodesélectrodes, on avait vu des zones cérébrales s'activer durant le sommeil. Alors que des régions du cerveau sont vraiment au repos, d'autres sont aussi actives que pendant l'éveil, voire plus. »

    Pourrait-on apprendre en dormant ? Les chercheurs n'abordent pas cette question mais remarquent que le cerveau endormi perçoit son environnement et, de plus, est capable d'extraire des informations pertinentes de ces signaux. Avec les moyens actuels qui permettent de suivre l'activité cérébrale sans enfoncer des électrodes sous le crâne, il devient possible de l'étudier finement dans de multiples conditions. L'exploration du sommeil nous prépare sûrement d'autres découvertes...