La chronique Patient bizarre est consacrée aux cas cliniques les plus déroutants que les médecins rencontrent. Aujourd'hui, un cas rare de pseudo-hermaphrodisme masculin chez un homme de 67 ans !


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    Un homme de 67 ans s'est présenté à l'hôpital de Pristina en Albanie pour soigner sa hernie inguinale - au niveau de l'aine - qui le fait souffrir depuis dix ans. Les médecins identifient un gonflement de dix centimètres sur quinze, à gauche de son scrotum - l'hernie en question. Ils remarquent aussi que le testicule droit de l'homme est « mal descendu ». En d'autres termes, il n'est pas dans le scrotum, là où est sa place physiologique. Malgré tout, la chirurgie s'annonce sans difficulté particulière. Les hernies inguinales sont très fréquentes, surtout chez les hommes âgés.

    Juste après l'incision du canal inguinal, les médecins observent quelque chose d'inhabituel dans le sac scrotal du patient. Une structure en forme de poirepoire de plusieurs centimètres de long qui fait penser à un utérus. Il contient également ce qui ressemble à des trompes de Fallope terminées par un semblant d'ovaireovaire. Un peu plus haut, dans la paroi abdominale, les médecins identifient aussi un testiculetesticule atrophié qui est solidement attaché à l'utérus et à l'épididyme du patient. 

    A. Le testicule, l'utérus, les trompes de Fallope et l'ovaire ; B. une autre vue des structures génitales féminines identifiées chez le patient ; C. le testicule attaché à l'ovaire. © Halit Maloku et <em>al. Urology Case Reports</em>
    A. Le testicule, l'utérus, les trompes de Fallope et l'ovaire ; B. une autre vue des structures génitales féminines identifiées chez le patient ; C. le testicule attaché à l'ovaire. © Halit Maloku et al. Urology Case Reports

    Quand l'utérus persiste chez un homme

    Ce patient est un cas rarissime de pseudo-hermaphrodismehermaphrodisme dû à un syndromesyndrome des canaux de Müller persistants. Depuis la première description de cette anomalieanomalie congénitale récessive en 1939, seulement 150 cas ont été recensés dans la littérature scientifique. L'homme présente toutes les caractéristiques phénotypiques et génétiquesgénétiques - il a un chromosomechromosome X et Y - d'un homme, mais à cause d'un trouble de l'hormonehormone antimüllérienne (AMH), l'utérus, les trompes de Fallope et les ovaires ont perduré et se sont développés conjointement avec ses organes génitaux masculins.

    Avant que le  fœtusfœtus humain devienne fille ou garçon, il présente en même temps des structures anatomiques qui lui permettent de devenir l'un ou l'autre. Elles sont connues sous le nom de canaux de Müller et de Wolff. Chez l'homme, les canaux de Müller disparaissent totalement tandis que ceux de Wolff se transforment pour former les canaux éjaculateurs, l'épididyme et les vésicules séminales à partir de la 7e semaine de développement. Chez la femme, ce sont les canaux de Wolff qui disparaissent alors que ceux de Müller forment l'ébauche des trompes de Fallope et du reste de l'appareil reproducteur féminin à partir de la 8e semaine de développement.

    L'ensemble des mutations sur le gène AMH et AMHR-II (le récepteur) pouvant conduire à un trouble de sécrétion de l'hormone ou de résistance. © Extrait de C. Belville, N. Josso, and J. Y. Picard. <em>Persistence of Müllerian derivatives in males. American Journal of Medical Genetics</em>
    L'ensemble des mutations sur le gène AMH et AMHR-II (le récepteur) pouvant conduire à un trouble de sécrétion de l'hormone ou de résistance. © Extrait de C. Belville, N. Josso, and J. Y. Picard. Persistence of Müllerian derivatives in males. American Journal of Medical Genetics

    Une dérégulation hormonale d'origine génétique

    Ces modifications sont contrôlées par l'hormone antimüllérienne, codée par un gènegène situé sur le chromosome 19 des hommes uniquement. Pour faire simple, l'AMH est responsable de la disparition des canaux de Müller chez les hommes. La testostérone, elle, induit la transformation des canaux de Wolff. Chez les femmes, qui ne sécrètent ni AMH et que très peu de testostéronetestostérone, les canaux de Müller perdurent et ceux de Wolff dégénèrent.

    Dans le cas du patient décrit, qui présente un syndrome des canaux de Müller persistants de type 2 car l'utérus, les trompes de Fallope et les ovaires sont situés dans le sac scrotal, deux hypothèses sont possibles : soit il présente un trouble de production d'AMH à cause d'une mutation génétique, soit une résistancerésistance à l'hormone ; elle est synthétisée, mais ne peut pas remplir ses fonctions à cause d'une mutation de son récepteur. Les mutations dans le gène AMH représentent 50 % des cas, la résistance à l'AMH 40 % et dans les 10 % restant, aucune mutation génétique n'est détectée.

    Le syndrome des canaux de Müller persistants est souvent associé à une infertilitéinfertilité masculine, ce qui n'est pas le cas de ce patient qui est père de trois enfants. En dehors de cela, la persistance de structures génitales féminines dans un corps masculin ne pose pas de problème de santé majeur. C'est pour cela que les cas de syndrome des canaux de Müller persistants sont détectés à l'occasion d'une opération chirurgicale pour une hernie ou un testicule mal descendu.