Vous vous apprêtez à réserver un vol, et la compagnie vous propose, pour quelques euros, de « compenser » votre voyage en investissant dans des projets verts. Arnaque sous forme de pansement pour votre conscience, ou démarche réellement utile pour la planète ?


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    La compensation carbone est une forme de transaction qui consiste, pour les compagnies aériennes, à investir dans des projets écologiques visant à réduire ou à compenser les émissionsémissions de CO2CO2 équivalentes à celles générées par un vol. Par exemple, afin de « compenser » un vol entre Paris et Rio, une compagnie investira dans la plantation d'un certain nombre d'arbres qui permettront, à terme, d'absorber autant de CO2 que ce vol en a émis. Cela peut se traduire notamment par la possibilité, pour le consommateur, de payer son billet un peu plus cher afin que le surplus soit investi dans un projet. En France, loi Climat oblige, ce procédé sera obligatoire pour tous les vols intranationaux d'ici à 2024.

    Replanter des forêts va-t-il vraiment aider à réduire les émissions de gaz à effet de serre ? La réponse dans cette interview fascinante avec Adrien Pagès, créateur de MORFO, une solution qui vise à replanter des arbres... par drone. © Futura

    Geste écolo ou tour de passe-passe ?

    Mais l'efficacité et l'impact réel de cette démarche sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre suscitent des débats. Tout d'abord à cause du décalage temporel qui peut exister entre l'émission immédiate de gaz à effet de serre en très grande quantité, et les effets bénéfiques à venir des projets investis. Lorsqu'un voyageur compense ses émissions en investissant dans des projets de reforestation, le temps nécessaire pour que les arbres absorbent effectivement le CO2 émis peut varier de plusieurs années à plusieurs décennies. Pendant ce laps de temps, les émissions restent dans l'atmosphère, contribuant au réchauffement climatique.

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    Actuellement, la compensation carbone peine à convaincre écologistes et scientifiques en raison du flou qui entoure les pratiques des entreprises. © Munir, Adobe Stock (IA)

    Par ailleurs, certains projets de compensation carbonecompensation carbone soutenus par les entreprises peuvent être controversés. Restons sur l'exemple de la plantation d'arbres. Celle-ci privilégie parfois la monoculture d'espèces à croissance rapide, ce qui peut avoir des conséquences sur la biodiversitébiodiversité et la durabilitédurabilité des forêts. De plus, la garantie que ces projets resteront intacts pendant de nombreuses années est incertaine, notamment en raison des risques croissants justement dûs au réchauffement climatique - en l'occurrence, les incendies de forêt.

    Certains experts remettent également en question la qualité des projets soutenus. Certains sont accusés de participer à des « projets d'évitement » plutôt que de fournir des efforts réels de réduction des émissions. Imaginons une région où la déforestationdéforestation est imminente en raison de pressionspressions économiques ou de projets de développement. Dans le cadre d'un projet de compensation carbone, des fonds pourraient être investis pour acheter cette zone forestière et la désigner comme une zone de conservation, prétendant ainsi « éviter » la déforestation. Cependant, il est parfois difficile de déterminer si la déforestation aurait vraiment eu lieu sans l'intervention du projet de compensation. Certaines initiatives de compensation carbone choisissent des projets où le projet déforestation aurait probablement avorté de toute façon car trop coûteux, ce qui soulève des questions sur la crédibilité et l'effet réel de ces projets.

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    Afin de booster la confiance des consommateurs, les compagnies aériennes comptent sur les labels internationaux. © ckybe, Adobe Stock

    Faire confiance aux compagnies... ou pas

    A tout cela s'ajoute encore une étape délicate : comment déterminer précisément les quantités de carbone émises par un vol et « compensées » par un projet ? À ce jour, les calculateurs de compensation carbone utilisés par différentes compagnies et organisations diffèrent en fonction des critères pris en compte (type d'avion, conditions météorologiques, etc). Toutes ne vont pas fournir une même donnée pour notre Paris-Rio. Cela crée une incertitude quant à la précision des estimations d'émissions et des compensations.

    Enfin, il n'existe pas de normes réglementaires strictes pour la compensation carbone, laissant la porteporte ouverte à un manque de transparencetransparence ou de cohérence dans les pratiques. Pour tenter de gagner la confiance des voyageurs sur le très controversé marché de la compensation carbone, de plus en plus d'entreprises s'en remettent aux labels. Le plus connu d'entre eux est le « Gold Standard », qui certifie que les compagnies respectent certaines normes dans leur démarche.

    Reste la question des termes employés, le mot « compensation » laissant supposer que l'on peut « annuler » des émissions massives de CO2. AirAir France est la première compagnie a avoir manifesté l'intention de changer la terminaison de cette initiative.

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    Les recommandations actuelles remettent en perspective notre vision du voyage-loisir et proposent des alternatives respectueuses de la nature, axées sur des expériences plutôt que sur de la consommation. © MendyZa, Adobe Stock

    Et si on voyageait autrement ?

    Alors, finalement, bien ou pas bien, la compensation carbone ? De toute évidence, c'est mieux que de ne rien faire. Et de façon tout aussi évidente, c'est encore beaucoup trop insuffisant. Il s'agit de réduire drastiquement les émissions de CO2, et donc les trajets en avion. D'après une étude commandée par l'ONG Greenpeace et publiée en novembre 2023, cela signifierait se limiter à un vol long courrier (d'une duréedurée supérieure à 4H30) tous les 10 ans. Pour Jean-Marc Jancovici, ingénieur et créateur du « bilan carbonebilan carbone », il s'agirait de limiter la population mondiale à 4 vols dans une vie. Une mesure écologique, mais également égalitaire : en 2018, 89 % de la population mondiale n'avait jamais pris l'avion.

    Des propositions qui bouleversent le rapport au loisir et au voyage des occidentaux, et plus particulièrement des ultra-riches, sans pour autant faire une croix sur le voyage. Il s'agirait tout simplement de privilégier les lieux d'intérêts locaux ou accessibles en train, de favoriser le covoiturage, et d'être précautionneux dans ses choix de destinations accessibles en avion en prévoyant notamment un voyage de plusieurs semaines dans des pays afin de rentabiliser le vol. Une perspective plutôt excitante qui nous encourage à savourer davantage les expériences plutôt qu'à les consommer sans réfléchir.