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Au Moyen-Orient, de nombreux ouvrages ont été réalisés sur les deux grands fleuves que sont le TigreTigre et l'Euphrate, que ce soit en Turquie, en Syrie ou en Irak. Une guerre de l'eau a lieu entre les États pour le contrôle de cette ressource.
Le barrage Atatürk, sur l'Euphrate, en Turquie. © Bernard Gagnon, CC by-nc 3.0
Le Tigre et l'Euphrate
Le Tigre et l'Euphrate prennent tous deux naissance en Turquie orientale (au Kurdistan). L'Euphrate, long de 2.700 km, traverse en outre la Syrie et l'Irak. Le Tigre (1.899 km) est frontalier avec la Syrie et coule ensuite en Irak. En Basse Mésopotamie, les eaux mêlées des deux fleuves constituent, sur 170 km environ, le ChottChott-el-Arab qui débouche dans le golfe Persique.
Carte du Tigre et de l'Euphrate au Moyen-Orient. © DR
Le régime des deux fleuves est très comparable, de type pluvio-naval, marqué par les pluies méditerranéennes d'hiverhiver de l'Anatolie orientale et la fonte des neiges au printemps. Les écoulements du Tigre et de l'Euphrate présentent trois grandes caractéristiques :
- Une très forte irrégularité à la fois interannuelle (rapport 1 à 4) et aussi saisonnière (plus de la moitié des écoulements s'effectue en 3 mois (mars, avril, mai). L'ampleur et la brutalité des crues sont spectaculaires notamment dans la plaine alluviale de Mésopotamie.
- Une diminution notable des débitsdébits d'amont vers l'aval. Ainsi, le débit moyen « naturel » de l'Euphrate à la frontière turco-syrienne est de 830 m3/s, 775 à la frontière irakienne et 458 à Nassiriya. Le débit moyen du Tigre, de 1.410 m3/s en aval de Bagdad, tombe à 218 m3/s à Amara et 78 à Qalat Saleh, en Basse Mésopotamie.
- Les deux pays arabes d'aval, la Syrie et l'Irak, se trouvent placés dans une inconfortable position de dépendance à l'égard de la Turquie. L'Euphrate, le Tigre et ses affluents coulent bien en Irak mais ils sont alimentés par des précipitationsprécipitations extérieures : 70 % de l'alimentation est turque, 7 % iranienne et 23 % seulement irakienne.
Les barrages en Irak
Les aménagements irakiens sont de très loin les plus anciens. Ils se sont échelonnés dès 1927 tout au long du XXe siècle avec trois types d'ouvrages :
- Des barrages de dérivation de crues en premier lieu (Kut, Muqdadiya) entre les deux guerres.
- Puis, à partir de 1950, des barrages protègent contre les inondationsinondations et orientent les eaux de crue vers des dépressions naturelles où elles sont stockées (barrage de Ramadi et dépressions d'Habaniya et Abu Didis, barrage de Samara et dépression du Tharthar).
- Plus récemment, il y eut la constructionconstruction de barrages de retenue sur les affluents du Tigre ou en Jéziré irakienne.
Enfin, deux réalisations complètent la maîtrise des eaux : le canal Tharthar-Euphrate (1976) permet le déversement des eaux excédentaires du Tigre vers l'Euphrate ; et, en 1992, le pays a achevé un immense canal de drainagedrainage, le « troisième fleuve », long de 512 km, qui passe en siphonsiphon sur l'Euphrate et rejette dans le golfe les eaux salées. Ce canal doit permettre de gagner de nouvelles terres par la désalinisation et l'assèchement des marais.
Voir aussi notre dossier sur le projet Eden Again, en Irak.
Les aménagements syriens
La construction du barrage Tabqa, sur l'Euphrate, s'est terminée en 1976. La retenue de 12 km3 devrait permettre la mise sous irrigationirrigation de 640.000 nouveaux hectares mais on est encore loin du compte (sans doute pas plus de 100 à 150.000 hectares).
Les barrages en Turquie et ses pays voisins. © DR
La Turquie et le projet d'Anatolie du Sud-Est, ou GAP
Le programme régional de Développement de l'Anatolie du Sud-Est (ou GAP pour Güneydoğu Anadolu Projesi, en turc), lancé en 1972, vise à un développement intégré d'une vaste zone de 75.000 km2 incluant six départements d'Anatolie orientale peuplés de 6 millions d'habitants. La phase de réalisation est déjà largement entamée.
Cette gigantesque opération hydraulique se décompose en treize sous-projets : 7 sur l'Euphrate et 6 pour le Tigre. Une dizaine de centrales hydroélectriques produiront 27 milliards de kW/h. C'est dire à quel point ce projet de barrage est un atout crucial pour la Turquie, qui lui permettrait de contrôler la distribution de l'eau dans cette région.
Ensemble du projet turc GAP. © DR
Le barrage Atatürk
Le barrage Atatürk est la pièce essentielle du GAP, (48 milliards de m3, soit deux fois le débit moyen annuel du fleuve). Il est entré en service en 1992. Sur une superficie cultivée de 3.000.000 hectares, 1.700.000 seront irrigués et consommeront 22 milliards de m3 d'eau/an. Actuellement, 120.000 hectares sont effectivement irrigués et 200.000 prêts à l'être.
Quand tous les projets viendront à terme, entre 17 et 34 % du débit sera absorbé. Si tout se passe comme prévu, le débit de l'Euphrate en Syrie devrait être réduit de 11 milliards de m3 et celui du Tigre de 6. En outre, les risques de pollution sont prévisibles. Les eaux uséeseaux usées du GAP vont se déverser dans la zone où se forme la source du Khabour, l'affluent syrien de l'Euphrate.
Image Lansat montrant la région avant l'entrée en service du barrage Atatürk, en 1983 (en haut), et après, en 2002 (en bas). © DR
Le partage des eaux
L'arrangement de 1987 pour le partage des eaux est consenti par la Turquie avec la Syrie. Un autre accord bilatéral syro-irakien d'avril 1990 prévoit ensuite une répartition proportionnelle des eaux de l'Euphrate entre les deux pays riverains arabes : 42 % des 500 m3/s revient à la Syrie (soit 6.6 km3) et 58 % à l'Irak (9 km3).
Ce double protocoleprotocole n'est pas un « vrai traité », mais il demeure la base de référence dans toutes les discussions. Il faut enfin remarquer qu'il est très incomplet puisque rien n'a été prévu pour la répartition des eaux du Tigre entre l'Irak et la Turquie.
Le recouvrement de sites archéologiques
Le GAP doit recouvrir d'inestimables vestiges archéologiques... Dans ce projet dont le coût s'élève à plusieurs milliards de dollars, la valeur historique des sites qui devront être submergés, leur importance capitale dans le patrimoine mondial, ainsi que les déplacements de populations et les dégâts humains que cela occasionnera pèsent peu dans la balance. (Voir notre reportage à Hasankeyf, page 11 de ce dossier.)