Les bouchons ? Les fourmis ne connaissent pas. Contrairement aux humains, elles parviennent à éviter les embouteillages même lorsque le trafic est très dense ou que la route se rétrécit. Des chercheurs du CNRS ont tenté de percer leur stratégie.


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    Les Parisiens perdent en moyenne 150 heures par an dans les bouchons. Les fourmis, qui vivent pourtant en communautés très denses, ne semblent pas rencontrer ce problème. Au contraire, quand la densité de fourmis augmente sur une route, le flux croît puis devient constant, contrairement aux êtres humains qui, au-delà d'un certain seuil de densité, ralentissent jusqu'à atteindre un flux nul et provoquer un embouteillage. C'est la conclusion étonnante d'une étude des chercheurs du Centre de recherche sur la cognitioncognition animale (CNRS/université Toulouse) et de l'université d'Arizona (États-Unis), parue le 22 octobre dans la revue eLife.

    Une incroyable capacité à éviter les bouchons même par très forte densité

    Afin de percer leur secret, les chercheurs ont filmé 170 expériences pour observer le flux des fourmis entre leur nid et une source de nourriture séparés par un pont. Ils ont joué sur la largeur de la route (5, 10 et 20 mm) et le nombre d'individus (de 400 à 25.600) pour faire varier la densité, soit le nombre d'insectes par unité de surface. Dans un embouteillage de voitures ou de piétons, le flux ralentit dès que le taux d'occupation par unité de surface atteint 40 %. Chez les fourmis, en revanche, le flux ne montre aucun ralentissement même avec un taux d'occupation supérieur à 80 %.

    Comparaison du trafic en fonction de la densité chez les fourmis et les humains. Alors que le flux des humains (nombre d’individus parcourant une certaine distance par unité de temps) observe une forme en cloche et décroit avec la densité, celui des fourmis reste quasi stable. Les fourmis sont également plus effaces pour éviter les collisions même à forte densité. © Audrey Dussutour
    Comparaison du trafic en fonction de la densité chez les fourmis et les humains. Alors que le flux des humains (nombre d’individus parcourant une certaine distance par unité de temps) observe une forme en cloche et décroit avec la densité, celui des fourmis reste quasi stable. Les fourmis sont également plus effaces pour éviter les collisions même à forte densité. © Audrey Dussutour

    Compromis entre vitesse maximale et nombre de collisions

    De précédentes études sur les fourmis avaient suggéré une séparationséparation du flux lorsque le nombre d'individus s'avère trop important. Le trafic devient alors unidirectionnel, avec une alternance de fourmis entrantes et de fourmis sortantes. Les chercheurs du CNRS n'ont pas pu vérifier cette hypothèse, et ont même observé que la circulation n'était pas spécialement affectée, que le trafic soit unidirectionnel ou asymétriqueasymétrique. Les fourmis semblent plutôt avoir une stratégie plus basique : foncer dans le tas. Ainsi, alors que les conducteurs humains appuient sur la pédale de frein quand la densité de véhicules augmente, les fourmis accélèrent jusqu'à atteindre la capacité maximale de la route. Toutefois, lorsque la densité devient trop importante et que les collisions sont trop nombreuses, elles changent de stratégie. Elles préfèrent éviter les collisions coûteuses en temps et ajustent leur vitessevitesse de déplacement.

    D'autre part, lorsque la densité de fourmis est déjà trop forte sur la route, elles renoncent tout simplement à s'engager et attendent que la densité diminue. De cette façon, la densité sur le pont ne dépasse jamais 18 fourmis par centimètre carré, même lorsqu'on augmente le nombre de fourmis au point de départ ou que l'on réduit la taille du pont. Tout l'inverse des humains, qui n'hésitent pas à emprunter coûte que coûte une route embouteillée au risque d'aggraver la situation.

    Contrairement aux humains, les fourmis adoptent une stratégie collective pour accroître l’efficacité de la circulation. © Emmanuel Perrin/CRCA/CNRS Photothèque
    Contrairement aux humains, les fourmis adoptent une stratégie collective pour accroître l’efficacité de la circulation. © Emmanuel Perrin/CRCA/CNRS Photothèque

    Pourquoi les conducteurs ne se comportent-ils pas en fourmi ?

    La « méthode fourmi » anti-embouteillages semble toutefois difficilement applicable pour nous. « Si le trafic chez les fourmis présente de nombreuses analogies avec les déplacements de piétons et de véhicules, il repose aussi sur des différences fondamentales », avertissent les chercheurs. Protégées par un exosquelette, les fourmis ne craignent pas les chocs, ce qui leur permet de tolérer une nombre de collisions plus élevé. ll ne viendra à l'esprit de personne d'accélérer lorsque le trafic augmente sur l'autoroute comme le font les fourmis. Les fourmis partagent d'autre part un but commun, la recherche de nourriture, ce qui les pousse à s’organiser. Les automobilistes, eux, ont focalisé sur leur propre intérêt à aller plus vite, aboutissant à une organisation moins efficace au final. Enfin, les voituresvoitures sont soumises à une réglementation (feufeu rouge, limites de vitesse...) que ne connaissent pas nos heureuses fourmis.