Capables de coloniser bien des niches écologiques, les dinosaures étaient curieusement rares à l'équateur à la fin du Trias. Une raison vient d'être proposée : l'atmosphère étant alors six fois plus riche en CO2 qu'aujourd'hui, les basses latitudes étaient soumises à des variations climatiques extrêmes, un environnement que ces animaux n'appréciaient pas.
Les dinosaures existaient déjà il y a au moins 230 millions d'années environ puisque des traces fossilisés témoignent de leur présence au cours du Trias supérieur. Représentant un formidable succès évolutif, ils se sont répandus un peu partout sur Terre, jusqu'aux régions polaires. La comparaison avec la géographie actuelle est toutefois trompeuse puisque que les continents n'occupaient pas la même place qu'aujourd'hui pendant l'ère des dinosaures. Les courant océaniques et atmosphériques étant différents, on ne peut pas transposer sans risques les relations entre le climat et les latitudes observées actuellement.
Toujours est-il qu'il est surprenant de constater que très peu de dinosaures vivaient dans les régions équatoriales durant les trente premiers millions d'années de leur présence sur Terre. Il y avait bien quelques carnivores de petite taille, tel Coelophysis, mais pas de grands dinosaures herbivores comme ceux du Jurassique et du Crétacé. Pour quelles raisons ?
Ghost Ranch, une fenêtre sur les dinosaures du Trias
Pour tenter de résoudre cette énigme, une équipe internationale de spécialistes en géosciences s'est penchée sur l'analyse des couches sédimentaires de la formation de Chinle, répartie dans les États du Nevada et de l'Utah, du nord de l'Arizona, de l'ouest du Nouveau-Mexique et l'ouest du Colorado. Datant du Trias supérieur, elle est constituée de dépôts fluviaux, lacustres, palustres et de dépôts éoliens.
Le site où les chercheurs ont consulté ces archives géologiques et paléontologiques est situé près de Ghost Ranch, au Nouveau-Mexique. Connu pour ses fossiles de dinosaures du Trias depuis 1885, il est daté de 205 à 215 millions d'années et, à cette époque, il se trouvait près de l'équateur de la Pangée, le supercontinent qui existait alors. Comme ils l'expliquent dans l'article publié dans les Pnas, géologues, géochimistes et paléontologues se sont concentrés sur les informations disponibles sur le climat et l'écosystème de la région autour de Ghost Ranch. Ils ont notamment examiné des os fossilisés, des grains de pollen et des spores de fougères, mais aussi les changements dans le rapport des isotopes stables du carbone au sein de la matière organique. C'est ainsi qu'ils ont découvert la clé de l'énigme.
Des écarts extrêmes de températures et de pluviométrie
Il est en effet apparu qu'en plus d'être plutôt aride et très chaud (40 °C et davantage), le climat à l'équateur était marqué par de brusques variations de températures et des précipitations. La végétation, peu abondante, pouvait rapidement décliner et des incendies, dont des traces ont été retrouvées, se produisaient facilement, raréfiant encore les ressources disponibles pour de grands herbivores.
Probablement à sang chaud, les dinosaures avaient en plus besoin de conditions climatiques plus stables, avec des températures moins élevées, comme celles que l'on trouvait à des latitudes plus hautes, pour prospérer et se diversifier. Dans le cas présent, ils constituaient à peine 15 % des vertébrés présents à l'équateur et ils étaient largement dominés par des Pseudosuchiens, un clade de reptiles diapsides de la division des Archosaures dont la lignée a produit les crocodiles et les alligators.
Ces grandes fluctuations dans les conditions climatiques à l'équateur ne sauraient surprendre puisque la géographie des continents était complètement différente. La composition de l'atmosphère l'était aussi, avec une concentration de dioxyde de carbone (CO2) six fois plus élevée que de nos jours. Avec ce paramètre, les modèles climatiques indiquent effectivement de fluctuations météorologiques rapides et extrêmes, telles qu'elles peuvent être déduites des archives de la formation de Chinle. Ces grands reptiles, sans doute, n'appréciaient pas ces aléas climatiques...