Une récente étude scientifique démontre la surprenante appétence que le corail a développé envers les déchets plastiques qui polluent les eaux. Et la prochaine Journée mondiale du recyclage — qui aura lieu ce 15 novembre 2017 — est une excellente occasion pour remettre en lumière une initiative d'une usine madrilène. Elle recycle en tissu destiné à une marque de vêtements des déchets plastiques récoltés en mer Méditerranée par des bateaux de pêche espagnols.

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    Article paru le 07/12/2015

    Cinq heures du matin, au large de la Costa Blanca et de ses touristes endormis. Trois chalutiers artisanaux sortent du port espagnol de Villajoyosa pour s'en aller pêcher la seiche, la crevette gamba... et la bouteille en plastique. Depuis quelques mois, les pêcheurs de la communauté valencienne (est de l'Espagne) collectent systématiquement les déchets en polyester saturé (PETPET, polytéréphtalate d'éthylèneéthylène) gisant en Méditerranée, bientôt recyclés en une collection de mode exclusive. « En juin, à Florence (Italie), nous voulons présenter la première collection de mode réalisée avec du fil et des tissus issus des déchets du fond de la Méditerranée », annonce l'Espagnol Javier Goyeneche, 45 ans, président d'Ecoalf, dont les doudounes ou sacs à dosdos sont vendus dans des magasins huppés, tels Harrods à Londres et Bloomingdale's à New York.

    Cette entreprise madrilène lancée en 2010 (18 employés, 4,5 millions d'euros de chiffre d'affaires 2015) se flatte déjà d'avoir créé « une nouvelle génération » de vêtements et d'accessoires à partir de bouteilles en plastique collectées sur terre, de vieux filets de pêche ou de pneuspneus usagés. « Il ne faut pas continuer à creuser le sol toujours plus profond pour produire du pétrolepétrole, lance son fondateur. Là où d'autres voient des ordures, nous voyons une matièrematière première et pouvons la transformer en tissus à travers des processus sophistiqués de recherche et développement. » S'il existe donc déjà des vêtements fabriqués à partir de déchets plastiques recyclés, ce serait une première d'en créer à partir de ceux récupérés en mer. Et pour ce faire, 200 bateaux de pêche de la Communauté valencienne (est) ont accepté de jouer les éboueurs.

    Les sacs en plastique sont vus comme d’appétissantes méduses par les tortues de mer, qui auront bien du mal à les avaler, comme le rappelle cette affiche de l’association <a href="http://www.surfrider.eu" title="Surf Rider" target="_blank">Surf Rider</a>. La matière plastique qui les constitue se désagrégera ensuite et pourra être ingérée par des organismes bien plus petits. Les récolter pour en faire des vêtements est d’abord un geste symbolique pour rappeler que des millions de tonnes de cette matière quasiment imputrescible sont rejetées chaque année dans l’océan mondial. © Surf Rider

    Les sacs en plastique sont vus comme d’appétissantes méduses par les tortues de mer, qui auront bien du mal à les avaler, comme le rappelle cette affiche de l’association Surf Rider. La matière plastique qui les constitue se désagrégera ensuite et pourra être ingérée par des organismes bien plus petits. Les récolter pour en faire des vêtements est d’abord un geste symbolique pour rappeler que des millions de tonnes de cette matière quasiment imputrescible sont rejetées chaque année dans l’océan mondial. © Surf Rider

    La mer Méditerranée accumule elle aussi les déchets

    Du haut du pont d'un chalutier, les eaux apparaissent aussi calmes qu'immaculées. « Mais en deux mois, les pêcheurs d'Alicante, de ValenceValence et de Castellon ont déjà sorti de l'eau deux tonnes de plastique et deux autres d'ordures », assure le président de l'Interfédération des pêcheurs de la Communauté valencienne, José Ignacio LLorca Ramis. « Pour les écologistes, nous sommes des prédateurs mais il y a au moins une chose que l'on fait bien : ramasser les poubelles, ironise ce fils, petit-fils et arrière-petit-fils de marins », alors que les chalutiers - surtout industriels - sont accusés de « surpêcher » et de racler les fonds.

    Jetant son chalut à 60 km des côtes, le patron-pêcheur José Vicente Mayor a ainsi pris l'habitude d'emplir son conteneur à ordures étiqueté « Ecoalf ». « J'ai commencé à travailler comme pêcheur il y a 19 ans. Les marins disaient : "ça, ce n'est pas à moi, je le rejette à l'eau". Aujourd'hui, on ne jette même pas un papier ! », assure-t-il. Sur le pont du chalutier, ses trois marins trient soigneusement les crevettes et les crabes remontés dans l'après-midi. Mais, ce jour-là, la récolte de plastique est maigre : quelques centaines de grammes, constate l'AFP. « C'est parce qu'on a déjà beaucoup nettoyé par ici », dit le patron.

    En 2010, entre 5 et 13 millions de tonnes de déchets en plastique ont été déversés dans les océans, selon une étude internationale publiée en février dans la revue Science. Pour 2015, la prévision est de 9 millions de tonnes. En 2014, une étude internationale estimait à au moins 269.000 tonnes de déchets la quantité de matière plastiquematière plastique présente dans l'océan mondial. Après les cinq océans, « la Méditerranée est la sixième grande région d'accumulation de déchets plastique de la planète », ont averti en avril des scientifiques de l'université de Cadix (Andalousie, sud). Dans cette mer quasi fermée, des déchets plastiques ont été retrouvés dans l'estomacestomac des petits poissons, d'oiseaux marins, de cachalots... « Les tortues marinestortues marines, notamment, peuvent mourir d'une occlusion intestinale quand elles ingèrent les sacs en plastique qu'elles confondent avec les médusesméduses », explique à l'AFP le vétérinairevétérinaire Xema Gil, du Centre de préservation de la faunefaune de la Communauté valencienne. « La bouteille en plastique est un problème social car, en Espagne, 4 millions de bouteilles sont jetées chaque jour », assure Gabriel Buldu, directeur commercial de PET Compania (filiale de l'Italien Dentis), une des grandes entreprises de recyclagerecyclage du pays.

    C'est dans son usine de Chiva, près de Valence (est), que seront transformées en décembre les premières tonnes de déchets collectés par les pêcheurs. Visiter cette usine est une leçon d'écologieécologie : le processus de recyclage est si complexe qu'aucun visiteur ne jettera plus un emballage plastique avec la même légèreté qu'auparavant... Secouées, aplaties, échaudées, les bouteilles sont triées - automatiquement par des machines ou par une ouvrière debout face au tapis roulanttapis roulant - puis triturées dans des mixeurs géants pour finir en minuscules flocons.

    En janvier, ces déchets issus de la mer seront transformés en fil par la société espagnole Antex, à Girona (Catalogne, nord-est). Puis Ecoalf pourra créer sa collection -- de maillots de bain, vestes, sacs, chaussons... --, « d'abord avec 35 % de déchets plastiques d'origine marine et 65 % d'origine terrestre », précise Javier Goyeneche. À terme, il voudrait « obtenir un fil recyclé à 100 % à partir de détritus collectés en mer ». Une façon de « faire prendre conscience aux gens de ce qui se passe au fond de la Méditerranée ».