Des chercheurs ont observé pour la première fois une phase de développement embryonnaire au cours duquel un tissu vivant devient liquide. Un phénomène bien connu en physique avec la transition de phase et qui pourrait tracer un nouveau lien entre deux disciplines.


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    C'est certain, les poissons-zèbres aiment l'eau. Ils l'aiment tellement qu'ils se transforment eux-mêmes en eau lors de leur développement. Des chercheurs de l'université de l'Institut des sciences et techniques (ISTIST) d'Autriche viennent de décrire pour la première fois ce phénomène, baptisé « transition de fluidité », dans la revue Nature Cell Biology. « Nous savions que cela existait en théorie et par les modèles, mais nous prouvons, ici , qu'elle se produit dans un organisme réel et vivant », annonce Nicoletta Petridou, le principal auteur.

    Le poisson-zèbre se prête particulièrement bien aux études sur l'embryonembryon car ce dernier est transparenttransparent et se développe à l'extérieur de la mère. Pour observer ses propriétés mécaniques, les chercheurs ont exercé une pressionpression sur les tissus à l'aide d'une pipettepipette en mesurant sa vitessevitesse de déformation : plus elle est lente, plus il est visqueux, plus le tissu est liquide, plus la déformation est rapide. En répétant cette expérience à plusieurs étapes du développement, ils ont ainsi découvert que les tissus se fluidifiaient soudainement à un moment très spécifique, lorsque le blastoderme (membrane recouvrant le vitellus) change de forme pour donner un amas en forme de dôme.

    Durant la transition de fluidité, les cellules perdent contact les unes avec les autres, créant un tissu liquide. © Nicoletta Petridou
    Durant la transition de fluidité, les cellules perdent contact les unes avec les autres, créant un tissu liquide. © Nicoletta Petridou

    Des cellules « trop rondes » qui perdent leur cohésion

    Mais comment et pourquoi les tissus du poisson-zèbre deviennent-ils liquides ? Dans un tissu visqueux, les cellules sont en contact étroit les unes avec les autres. Mais durant la division, elles changent de forme pour devenir plus rondes et se détachent de leurs voisines. Et plus elles se divisent, plus elles perdent de connexions, jusqu'à ce que le blastoderme devienne soudainement liquide. « C'est un changement purement mécanique et non biologique », insiste Nicoletta Petridou. Fort heureusement pour notre poisson-zèbre, cet état liquideétat liquide ne concerne que la région centrale du blastoderme : les cellules activent dans le même temps un signal limitant la propagation de la fluidification à toute la membrane afin de maintenir la cohésion générale de l'embryon. À l'inverse, « empêcher ce passage à l'état liquide conduit à un arrêt du développement de l'embryon », explique Nicoletta Petridou.

    Une passerelle inédite entre la biologie et la physique ?

    Au-delà du cas du poisson-zèbre, cette étude pourrait bien avoir des répercussions théoriques beaucoup plus larges : « Le passage très soudain de l'état visqueux à l'état fluide dans le blastoderme ressemble à un phénomène bien connu de la physiquephysique : la transition de phasetransition de phase », explique Nicoletta Petridou. C'est ce qui se produit lors de la fusionfusion de la glace ou quand un jaune d’oeuf liquide, par exemple. Ces ruptures brutales ont de nombreuses applicationsapplications industrielles (gazgaz, matériaux, stockage de chaleurchaleur...). Elles sont aussi observées dans la nature (océan, atmosphère, croûte terrestre...). Mais rien de tel jusqu'ici dans un tissu vivant. Si la « transition de fluidité » était bien confirmée comme transition de phase, ce serait donc bien un rapprochement inédit de la physique et de la biologie.