Le glacier de l’apocalypse, ou glacier Thwaites, menace de s’effondrer dans une échelle de temps très incertaine. Les conséquences planétaires seront sans précédent, avec entre autres une élévation du niveau des mers d'environ 3 mètres. Pour éviter la catastrophe, des ingénieurs envisagent de tester des rideaux sous-marins en métal, afin de ralentir la fonte du glacier. Est-ce une démonstration technosolutionniste ou une indispensable (et désespérée) action de lutte face à l’urgence climatique ?


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    À mesure que les océans se réchauffent, des courants marins viennent éroder les glaciers, comme le Thwaites en Antarctique, les rapprochant ainsi d'un effondrementeffondrement total, avec des conséquences planétaires dramatiques.

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    Thwaites, le glacier au potentiel apocalyptique

    Le Thwaites, surnommé « glacier de l’apocalypse »  en 2017 par l'écrivain Jeff Goodell, est un gigantesque glacier situé dans la partie ouest de l'Antarctique. Ses dimensions : 600 kilomètres de long pour 120 kilomètres de large et 1 kilomètre d'épaisseur, soit la superficie d'un pays comme l'Irlande. Imaginez donc l'Irlande disparaître et se dissoudre totalement dans l'océan mondial. Car c'est ce qui attend ce glacier : à cause du réchauffement climatique provoqué par les émissionsémissions de gaz à effet de serre d'origine humaine, l'écoulement d'eau de mer chaude et salée dans les profondeurs de l'océan s'accentue, se heurtant aux épaisses parois de glace qui empêchaient jusqu'alors le bord du plateau de s'effondrer, les faisant fondre petit à petit. 

    En outre, le Thwaites présente des faiblesses d'ordre structurelles : en 2019, une énorme cavité a été découverte sous le glacier, fragilisant l'édifice. Une étude a également identifié des crevasses à l'origine de fissures visibles sur le glacier, et 50 à 70 % d'entre elles pourraient se fracturer dans les années à venir par remplissage d'eau.

    La fonte du glacier Thwaites entraînerait une élévation du niveau de la mer de 3 mètres dans les siècles à venir. © Shoky, Adobe Stock
    La fonte du glacier Thwaites entraînerait une élévation du niveau de la mer de 3 mètres dans les siècles à venir. © Shoky, Adobe Stock

    Sa fonte a déjà contribué à 4 % de l'élévation du niveau de la mer à l'échelle mondiale

    Le fait est que la fontefonte de ce gigantesque glacier a commencé il y a bien longtemps déjà, et s'accélère à un rythme alarmant : depuis 2000, Thwaites a perdu plus de 1 000 milliards de tonnes de glace, soit 30 % de plus que la quantité d'eau douce rejetée auparavant. D'après les glaciologues, la fonte de la zone flottante du glacier serait effective d'ici 5 ans et entraînerait sa disparition totale dans les prochains siècles. 

    À lui seul, son effondrement entraînerait une élévation du niveau de la mer de 50 centimètres, et avec elle le déplacement de 97 millions d'humains. Sauf que la fonte de ce géant aura un effet domino sans précédent : à l'heure actuelle, cette gigantesque plate-forme de glace antarctique empêche les eaux de mer en voie de réchauffement d'atteindre d'autres glaciers. L'effondrement du glacier Thwaites déclencherait donc une cascade de fonte qui pourrait faire monter le niveau des mers de 3 mètres supplémentaires, d'où son appellation de glacier de l'apocalypse. Pour rappel, 40 % de l'humanité réside à moins de 100 kilomètres des côtes, et d'ici 2050, le monde devrait compter 140 millions de réfugiés climatiques. Mais l’élévation du niveau de la mer est loin d'être l'unique conséquence de cet effondrement.

    Carte de l'Europe montrant une projection des territoires recouverts par une élévation du niveau des mers de 3 m. © Coastal Climate Central
    Carte de l'Europe montrant une projection des territoires recouverts par une élévation du niveau des mers de 3 m. © Coastal Climate Central

    Concrètement, quelles en seront les conséquences ?

    Un apport considérable en eau chaude et douce va modifier les courants océaniques - la circulation thermohalinecirculation thermohaline étant basée sur la température et la salinitésalinité des massesmasses d'eau qui constituent l'océan mondial. À titre indicatif, l'Antarctique a gagné +3 °C en 50 ans, une perturbation qui à terme ne permettra plus de transporter convenablement les nutrimentsnutriments nécessaires aux êtres vivants aquatiques.

    Ceux qui vivent majoritairement sur la banquisebanquise ne seront pas en reste : hormis les ours polairesours polaires, la fonte des glaces pourrait réduire les effectifs des colonies de manchots empereursmanchots empereurs de 93 % d'ici la fin du siècle. Et ces apports d'eau douce ne sont pas non plus une bonne nouvelle pour les réserves dont l'humanité risque de manquer, car la fonte des glaces affecte la qualité d'eau douce en surface et souterraine, ce qui est d'autant plus inquiétant quand on sait que les réserves mondiales sont évaluées à 2,8 %, dont seule 0,7 % est potable.

    Enfin, l'ultime conséquence sera l'accélération du phénomène responsable de toute cette cascade d'effets : le fameux réchauffement climatique. D'une part, les glaces permettent de réguler le climat, de par leur couleurcouleur blanche qui réfléchit 95 % du rayonnement solairerayonnement solaire : une diminution de cette surface blanche n'est donc pas une bonne nouvelle pour l'effet de serre. D'autre part, la fonte des glaces libère le CO2 emprisonné depuis de longues années, et accélère ainsi le réchauffement climatique : le GiecGiec prévoit le relarguage de plusieurs centaines de gigatonnes d'ici 2100. Si avec ce paragraphe vous n'êtes pas convaincus de l'urgence climatique dont il est question...

    Construire un mur de fer pour la justice sociale : vraiment ? 

    John Moore, glaciologue et chercheur en géo-ingénierie à l'université de Laponie, souhaite installer de gigantesques rideaux sous-marinssous-marins de 100 kilomètres de long pour empêcher l'eau de mer chaude d'atteindre et donc de faire fondre les glaciers. En théorie, ces installations bloqueraient le flux de courants chauds vers le Thwaites afin de stopper la fonte et de donner à la plate-forme de glace le temps nécessaire de se reconstituer.

    À l'heure actuelle, les chercheurs de l'université de Cambridge testent un prototype d'un mètre de long à l'intérieur de réservoirs. Une fois que la fonctionnalité du système aura été démontrée, ils passeront aux essais dans la River Cam, et si tout se passe bien, ils pourraient tester un ensemble de prototypes de rideaux de 10 mètres de long dans un fjordfjord norvégien d'ici 2025.

    À terme, un premier rideaurideau bloquerait un point d'étranglement sous-marin étroit - 5 kilomètres - qui représente la principale voie d'entrée d'eau chaude vers le glacier Thwaites occidental, la partie la plus vulnérable du glacier. Les rideaux ultérieurs traverseraient des bandes de fond marin plus larges et plus profondes, et les analyses coûts-bénéfices des rideaux atteignent leur valeur maximale à des profondeurs de blocage cibles comprises entre 500 et 550 mètres... Malgré ces savantes analyses, le projet coûterait tout de même 50 milliards de dollars. 

    Cependant, un argument phare est mis en avant : la justice sociale. Selon John Moore, il s'agit d'une façon beaucoup plus équitable de gérer l'élévation du niveau de la mer que de dire simplement : « nous devrions consacrer cet argentargent à l'adaptation ». Un argument de taille face au budget très inégal des villes pour se prémunir contre la montée des eaux. Et ce serait bien le premier murmur de l'Histoire qui ne divise pas les peuples. 

    Modèle du flux d'échange d'eau chaude océanique en présence du rideau sous-marin. © Arctic Center, University of Lapland
    Modèle du flux d'échange d'eau chaude océanique en présence du rideau sous-marin. © Arctic Center, University of Lapland

    Face à l’urgence, il faut agir… Mais pas n’importe comment

    Vous l'imaginez, ce projet suscite la controverse. Les partisans de la recherche sur la géo-ingénierie des glaciers, comme John Moore, estiment qu'il est temps d'intervenir. D'autres experts ne sont pas d'accord, estimant que la réduction des émissions de carbone est le seul moyen viable de ralentir la fonte des glaciers. 

    D'après vous : est-ce une énième démonstration technosolutionniste face à une fonte des glaces inéluctable ? Ne vaudrait-il pas mieux se concentrer sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, plutôt que de faire appel à la technologie ? L'urgence climatique permet-elle encore d'agir sur la cause du réchauffement, ou uniquement lutter contre ses conséquences ? Et quid de ceux qui vont financer ce mur titanesque ?