Sais-tu quel animal discret, presque nu, retourne la terre d’Afrique, la nuit venue ? Aujourd’hui, on va parler de l’oryctérope dans Bêtes de Science.


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    Certains animaux ne ressemblent à aucun autre et semblent tout droit venus d'une autre planète. C'est le cas de notre héros du jour, qui est tout à fait unique en son genre. Pour le rencontrer, il faut sillonner la savane africaine, attendre le crépusculecrépuscule, et se faire discret, tout comme lui. Croise aussi fort les doigts, car il faut une petite dose de chance pour l'apercevoir. 

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    À la recherche d'un mineur discret

    Nous voilà en plein cœur du parc national de Kafue en Zambie, un pays situé au beau milieu du Sud du continent africain, avec, au nord-est, la Tanzanie et, au sud-ouest, le Botswana et le Zimbabwe. Cette réserve constitue le plus grand parc national du pays, et l'un des plus grands du continent ! Traversé par la rivière Kafue, qui lui a donné son nom, l'environnement du parc est principalement constitué d'une grande plaine d'herbes sèches, mais on y trouve aussi des marécages où les oiseaux d'eau se plaisent beaucoup et quelques zones de forêts. De nombreux animaux de toutes sortes vivent ici, antilopes, buffles, hippopotames, martins-pêcheurs, lionslions... et avec la nuit qui commence à tomber, certains prédateurs partent chasser. Tiens tu entends ? Les lycaons sont de sortie ! Tu sais, ce sont ces canidés, aussi baptisés "loups-peints", dont Marie te parlait il y a très longtemps dans un autre épisode de Bêtes de Science. Ces animaux ont pris l'habitude de voter en éternuant ! Amusant non ? Mais ce soir, ce n'est pas auprès des meutes de lycaons, des troupeaux de buffles ou d'antilopes cob, que je t'emmène. Viens, mets ta lampe frontale et partons à la recherche de notre extraterrestre ! 

    Ne fais pas trop de bruit surtout, et ouvre l'œilœil. Ce que l'on cherche ce soir, ce sont... des terriers et des termitières ! Heureusement les gardes du parc m'ont donné quelques indications pour rejoindre un coin qui a l'airair plutôt à point. Allons tout droit ! Prends à gauche, derrière la grande souche là bas. Ouh là, attention à ne pas trébucher, le sol est assez irrégulier par ici. Tu vois ce que je vois ? Là, légèrement caché par les rochers ? L'entrée d'un tunnel ! Cachons-nous pas trop loin, avec la longue-vue. Et mettons-nous face au vent surtout, pour que l'habitant de cet abri ne nous sente pas. S'il ne voit pas très bien, son odoratodorat, lui, est bien meilleur que le nôtre ! Et maintenant, j'espère que tu n'as pas peur d'attendre.... 30 minutes passent. Puis une heure. Puis deux.

    L'oryctérope, étrange chimère

    Et tout à coup, un museau couvert de terre émerge du sol. C'est lui ! Ouvre grand les yeux ! En quelques secondes, un grand animal sort de terre. Il est haut, comme un labrador et possède un long museau qui se termine par un groin, comme celui d'un cochon. Ses grandes oreilles rappellent celles des ânes. Au bout de ses doigts, il exhibe de longues griffes, qui font penser aux pattes des ours ou des tamanoirstamanoirs. Et aussi étrange que celà puisse paraître, son corps rose/gris, paraît presque nu à cause du léger duvet qui le recouvre. Seules ses pattes sont couvertes de longs poils bruns. Cette drôle de bestiole, mélange improbable entre un cochon, un âne et un tatoutatou, est un oryctérope du Caporyctérope du Cap. Et des comme lui, il n'y en a pas deux ! Après être resté complètement immobile pendant plusieurs longues minutes, le temps d'analyser son environnement, notre oryctérope bondit et court sur quelques mètres. Puis, il s'immobilise à nouveau, et hume l'air autour de lui et au sol. Hop ! C'est parti.

    Le voilà qui se dirige d'un pas décidé, guidé par son neznez, vers une termitière qui se trouvait à proximité. Sa longue queue arquée, qui ressemble un peu à celle des kangourouskangourous, traîne derrière lui. On peut le voir gratter de ses pattes puissantes la constructionconstruction des termites. L'abri trembletremble, se fissure, et crac !, une brèche se forme dans la termitière. Après avoir reniflé l'ouverture pendant un bref instant, notre étrange ami passe à table en sortant une longue langue gluante de 30 cm de long ! Même si les termites, affolés, grimpent sur son museau et ses pattes, figure-toi que l'oryctérope peut fermer ses narinesnarines, pour éviter qu'un insecteinsecte ne lui rentre dans le nez ! Pratique ! Sa langue n'est par ailleurs pas le seul outil dont il dispose pour consommer son repas. Bien qu'on l'ait longtemps classé dans la famille, maintenant disparue, des édentés, l'oryctérope est en réalité bien muni de quelques quenottes très particulières ! 

    Un cousin des éléphants et des lamantins

    C'est cette spécialité qui est à l'origine du nom de sa famille, dont il est le seul représentant : les Tubulidentés, dont le nom signifie littéralement « à dents en forme de tubes ». Son nom latin lui va comme un gant ! Orycteropus évoque « un mineur qui creuse avec les pieds », et afer précise que l'animal est africain. Son nom anglais, Aardvark est dérivé d'un nom afrikaans, une langue introduite par les colons néerlandais en Afrique du Sud et au Botswana. Il signifie « cochon de terre ». Et comme c'est le tout premier mot dans le dictionnaire anglais, nos voisins anglo-saxons connaissent bien mieux l'oryctérope que nous ! Les scientifiques européens qui l'ont décrit au XIXème siècle, pensaient qu'il faisait partie de la famille des tatous et des fourmiliersfourmiliers d'Amérique du Sud puisque, comme eux, il dévore les termites et les fourmisfourmis grâce à sa longue langue gluante. Mais, en réalité, l'oryctérope est plutôt cousin avec les éléphants, les lamantinslamantins et les dugongs, des mammifèresmammifères marins que l'on surnomme parfois « vaches de mervaches de mer », et les damans, de petits animaux africains qui ressemblent à des rongeursrongeurs, sans pour autant faire partie de leur famille.

    Si les oryctéropes sont équipés de la même façon que les fourmiliers, c'est que leur environnement et leur alimentation se ressemblent, mais ils ne sont pas proches sur leur arbrearbre généalogique pour autant ! Pour expliquer que des animaux qui ont la même allure ne sont pas de la même famille, on parle de convergence évolutive ! Les mêmes contraintes font apparaître le même type d'adaptations sur les corps des animaux qui vivent dans des milieux similaires ! C'est par exemple le cas des nageoires des manchots, qui ressemblent à celles des tortues marinestortues marines et à celles des mammifères marins, et qui leur permettent, à tous, de se déplacer rapidement dans l'eau, même si tous ces animaux sont très différents. Comme il est discret et qu'il est exclusivement actif la nuit, on sait très peu de choses de la vie de l'oryctérope. On a compris ce qu'il mangeait en analysant ses crottes, avant de le voir se nourrir, et les scientifiques ont fait des hypothèses sur son abri et ses déplacements en observant les traces laissées autour de sa tanière. Autant dire qu'il garde encore tout son mystère ! 

    Attention au braconnage !

    Concernant son statut, on pense que l'oryctérope n'est pas menacé. Plutôt répandu, il ne craint que certains gros prédateurs tels que les lions, les léopardsléopards et les hyènes tachetéeshyènes tachetées. On le trouve sur tout le continent africain, au sud du désertdésert du Sahara, du Sénégal à l'Éthiopie, en passant par la Zambie et l'Afrique du Sud. Même s'il choisit avec soin le sol dans lequel il va creuser son terrier, il est très adaptable et on le retrouve dans des environnements très différents, plutôt sableux, ou même dans des forêts. Cependant, même s'il ne représente ni menace ni compétition, les humains peuvent lui faire des misères. Il est braconné dans certains pays, comme au Bénin, pour de multiples utilisations. S'il est principalement chassé pour sa viande, très prisée sur les marchés, certaines parties de son corps sont vendues à prix d'or pour être utilisées dans la médecine traditionnellemédecine traditionnelle africaine. Ces menaces tendent à le faire disparaître du pays...il est donc peut être temps de commencer à le protéger

    Ce sombre constat ne semble pas trop préoccuper notre sujet, qui a décidé de poursuivre sa tournée de termites du soir. Après avoir englouti autant d'insectes qu'il le pouvait en quelques minutes, il reprend la route pour recommencer ailleurs. On pense que chaque nuit, l'oryctérope parcourt entre 2 et 10 kilomètres pour se nourrir. Pas de temps à perdre ! Je te propose de le laisser poursuivre son excursion, et d'en profiter pour aller inspecter son terrier d'un peu plus près.

    Des terriers très appréciés

    Viens voir, il y a plein de choses intéressantes à voir près de l'entrée. On ne voit pas grand-chose, bien sûr, mais figure-toi que les différentes tanières de l'oryctérope jouent un rôle crucial pour l'écosystèmeécosystème. Car c'est un terrassier expert, qui creuse plusieurs types de trous. Par exemple, il s'aménage parfois des sortes de couchages temporaires, pour passer la nuit après avoir chassé. Ils jouent un peu le rôle de tente de camping et ne servent qu'une fois. On trouve aussi le niveau d'aménagement supérieur, avec un tunnel de 2 à 3 mètres de long, qui débouche sur une chambre circulaire unique. Mais leur maison principale est plus sophistiquée et faite pour durer. Elle prend typiquement la forme de ce qu'on peut voir ici. Un trou suivi d'un tunnel qui donne sur une chambre circulaire. Elle peut être équipée de plusieurs entrées, plus de 8 différentes s'il lui en prend l'envie ! Et plusieurs chambres peuvent y être aménagées. 
    Le petit oryctérope est notamment connu pour rester longtemps avec sa maman ; il lui faut donc sa propre chambre ! Il creusera sa propre maison, à côté de celle de sa mère, en grandissant. Les petits deviendraient indépendants au bout de 6 mois, mais les petites femelles semblent rester plus longtemps, même quand leur mère a un nouveau bébé.

    En tout, ces super constructions peuvent s'étendre sur 10 mètres de long, et s'enfoncer jusqu'à 6 mètres sous la surface ! Tu te rends compte ? C'est la hauteur d'une maison, mais sous le sol ! Et côté sécurité, l'oryctérope s'y connaît aussi. En cas de danger, il peut boucher l'entrée de son tunnel avec de la terre. Vous ne passerez pas ! Comme notre oryctérope aime changer, il creuse de nouveaux abris, plus ou moins perfectionnés, très régulièrement. Ses anciennes maisons abandonnées servent de refuge à des animaux très différents. Les phacochères adorent ces résidences secondaires et les hyènes aussi ! Il arrive même parfois que les deux animaux, pourtant prédateur et proie, se partagent la colocation, l'un y habitant le jour, et l'autre la nuit. Mais ce ne sont pas les seuls à aimer ces constructions. Lièvres, hérissons, écureuilsécureuils terrestres, mangoustes, genettesgenettes, mais aussi pythonspythons, lézards, et petites chouettes s'y installent très volontiers ! Tout ce beau monde, vivant aussi bien le jour que la nuit, prend possession des lieux ! On pense même que ces nombreux tunnels seraient utiles à nombre d'entre eux en cas d'incendie ! Alors, on dit merci qui ? Mais le rôle d'agronome de l'oryctérope ne s'arrête pas là. 

    L'oryctérope, super jardinier !

    Tu vois cette plante étrange ? Celle avec la longue tige, un peu comme une liane ? C'est la partie immergée d'un végétal bien particulier de la famille des concombresconcombres, le Cucumis humifructus, de son nom latin. 
    Il est vraiment hors du commun, car ses fruits sortent 15 à 30 cm sous terre, ce qui est très rare ! D'habitude, ce sont les racines ou les tuberculestubercules, comme les carottescarottes ou les pommes de terrepommes de terre, que l'on trouve dans le sol, mais pas les fruits, comme les pommes ou les oranges. D'ailleurs les fruits de ce concombre sont entourés d'une peau épaisse et très résistante qui ressemble à du cuir et qui les empêche de pourrir, même placés dans un sol humide. Pour disséminer ses graines, il lui faut donc un allié : notre oryctérope ! En mangeant le fruit, il libère les graines, qui sont ensuite expulsées avec ses excréments, et enterrées non loin de son terrier. Parfait comme engrais ! Mais... il n'est pas censé manger que des termites et des fourmis pourtant ? Eh bien, oui, mais il fait une entorseentorse à son régime uniquement pour déguster le fruit du concombre ! On pense que c'est une vraie symbiose qui s'est créée entre l'animal et le végétal. Sans l'oryctérope, les graines du concombre ne peuvent pas être disséminées, car aucun autre animal ne semble le consommer. Et notre cochon de terre y gagne une ration d'eau, fortement appréciée en milieu sec. Pourquoi un insectivoreinsectivore exclusif s'est-il mis à manger du concombre ? Et comment fait-il pour trouver ces fruits si profondément dans le sol ? Ça, on l'ignore encore. Qui sait, si tu deviens zoologistezoologiste, peut-être seras-tu celui ou celle qui percera ses secrets !