La tendance du « do it yourself » (DIY), du « libre », du digital et de l’économie collaborative, en faisait déjà une alternative économique de premier plan. Avec les usines à l’arrêt liées à la crise sanitaire du Covid-19 et la réflexion sur les façons de produire autrement, les makers (créatifs), leurs FabLabs, leur esprit et leurs imprimantes 3D sont plus que jamais dans la lumière. Comment les intégrer et quels peuvent être leur influence ou leur rôle sur l’avenir de l’industrie ?


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    Nom de code : makers for life. Objectif ? Concevoir et fabriquer en massemasse un respirateur robuste destiné aux malades du Covid-19Covid-19. « MakAir » coûtera 1.000 € pièce, soit 10 à 45 fois moins cher que ceux existants, et sera fabriqué via des imprimantes 3D, en s'appuyant sur les plans diffusés gratuitement ! Partie de l'idée d'un jeune ingénieur nantais désireux d'être « utile », la démarche qui a depuis fédéré des centaines de créateurs et experts (professeurs, industriels comme Seb ou Renault, ingénieurs, chercheurs, etc.) a reçu de l'argentargent puis le soutien du CEA. Un exemple parmi tant d'autres, qui illustre la capacité des makers à produire massivement, hors du modèle classique. 

    Avec une agilité à faire pâlir d'envie les plus belles cellules R&D ou même startups, la crise sanitairecrise sanitaire va-t-elle permettre de réinventer l'industrie et ses usines, grâce aux makers ?

    D’où vient le mouvement maker et quelle place occupe-t-il ?

    Apparu d'abord aux États-Unis, au début des années 2000, le mouvementmouvement a depuis fait tache d'huile partout dans le monde. Communautaires et collaboratifs, les makers, ou créatifs, mixent la culture digitale du libre et de l'open source, avec celle de savoir-faire plus traditionnels.

    Un bateau de plaisance a été imprimé grâce à la technologie 3D, par un laboratoire de l'université du Maine, aux États-Unis. © université du Maine
    Un bateau de plaisance a été imprimé grâce à la technologie 3D, par un laboratoire de l'université du Maine, aux États-Unis. © université du Maine

    Imprégnés du Do it Yourself, les Géo Trouvetou actuels se sont réunis avec certains principes et valeurs dont :

    • le partage de la connaissance et l'apprentissage par le « faire » ;
    • la diffusiondiffusion des fichiers, plans numériques ;
    • la mutualisation des moyens de fabrication ;
    • la création d'espaces collectifs de rencontres et de travail (makerspaces, fablabs, etc.).

    Des supports (forums, blogs, revues, etc.), les milliers d'ateliers ouverts et des événements, comme le Maker Faire, contribuent aussi à diffuser la culture maker, que certains qualifient de « fabrique du changement ». Le mouvement maker brouille les frontières entre loisirs et travail, non-marchand et marchand, local et global, artisanat et industrie. Il se mobilise aussi clairement pour l'intérêt général et positionne le mouvement maker comme un phénomène sociétal d'envergure, revendiquant une place face à l'insuffisance du système productif actuel.

    HybridesHybrides et multiformes, à coups de tutoriels et d'improvisations courtes entre développeurs, d'échanges de pratiques ou de savoir-faire, les makers attirent aussi les entreprises, qui n'hésitent pas à envoyer leurs ingénieurs ou techniciens, voire à collaborer sur la création de prototypes ou de petites séries de pièces.

    Les makers attirent les entreprises. © aapsky, Adobe Stock
    Les makers attirent les entreprises. © aapsky, Adobe Stock

    Quand le Covid-19 illustre la puissance des makers à fédérer et s'industrialiser

    La crise du Covid-19 et le manque de matériels médicaux de protection en sont un exemple notoire. Les initiatives de collaboration et codéveloppement de produits à destination du milieu médical et sanitaire ont été multiples, partout dans le monde, dès le mois de mars 2020mars 2020. Les makers s'appuient sur leur culture de collaboration et d'open-innovation, pour décloisonner et mobiliser les ressources les plus pertinentes. Ils « cassent les codes » industriels, pour atteindre leur but. Du masque de plongée détourné en respirateur à des valves imprimées, des distributeurs de gelsgels sans contact ou des visières de protection, l'ambition est de répondre à un besoin. Vite. Et massivement grâce au collectif.

    Multiplications des initiatives et groupes d'échanges en ligne, réponses quasi instantanées des makers et hors des process officiels ont permis de fournir aux soignants matériels de protection et instrumentations médicales. La plateforme des Hôpitaux de Paris Covid 3D a donné un début de reconnaissance à leur mobilisation inédite, en homologuant des modèles sans brevets issus de la recherche ouverte pour les diffuser avec des spécifications de fabrication et de distribution sécurisées.

    La fabrication distribuée n’est plus une niche théorique, une gentille utopie de fablabs

    « La fabrication distribuée n'est plus une niche théorique, une gentille utopie de fablabs [...] Elle fonctionne concrètement et porteporte également l'espoir de re-faire autrement le monde d'après », selon la Tribune collective du mouvement maker. Dans une tribune collective récente « Les makers et les fablabs contre le coronavirus », le mouvement maker français pointe le manque de reconnaissance des autorités, et rappelle « qu'il apparaît que la chaîne recherche-certification-fabrication-logistique est encore à consolider ». Le maker Lorenzo Pastrana, interrogé par la chaîne de télévision Arte, a rappelé les ressorts de la réponse maker sur le Covid-19, d'abord basée sur du pragmatisme : 

    • recenser les ressources/compétences pour trouver une réponse par le nombre ;
    • travailler en réponse à un besoin local précis ;
    • accepter le mode « dégradé », avec une moindre qualité technique.
     

    Les makers mobilisés contre le Covid-19. © Arte

    Se dirige-t-on vers des usines de makers d’intérêt général ?

    Depuis ses débuts, le mouvement maker brouille les frontières entre artisanat et industrie. Reste à en connaître la portée, face à ce que certains observateurs qualifient déjà « d'usine géante », lorsqu'ils évoquent la mobilisation maker actuelle, sur le Covid-19. « En faisant éclater les oppositions entre conception et fabrication, entre producteur et consommateur, entre investissement productif et engagement citoyen, les makers fraient la voie à un modèle de production compatible avec les modèles de développement urbain », note la sociologue Isabelle Berrebi-Hoffmann.

    Le mouvement maker est un phénomène sociétal d'envergure, qui revendique une place

    Pourrait-on alors imaginer des usines de makers comme l'une des réponses sociétales aux urgences mais aussi aux besoins du monde qui vient ? Oui, si l'on en croit par exemple le projet Fab City : d'ici 2054, l'ambition est de disposer de villes autosuffisantes et autonomes, notamment en s'appuyant sur les fablabs existants, et à créer.

    Une nouvelle façon de produire : vers la collaboration entre industriels et makers ? 

    « L'impression 3Dimpression 3D est l'une des technologies liées au numérique susceptibles de transformer profondément les modes de production et les modèles économiques actuels. » Dans un rapport sur les innovations technologiques, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) place le symbole le plus fort du mouvement maker (l'impression 3D, ou fabrication additive) comme un levier de transformations majeures des modes de production. 

    Une maison tout entière peut désormais être « imprimée ». © 3dprintedhouse
    Une maison tout entière peut désormais être « imprimée ». © 3dprintedhouse

    L'esprit du mouvement est son autre grande force, que l'industrie cherche à capter : à la fois artisanal et innovant, high-tech et low cost, le mouvement des makers suscite la convoitise. D'autant qu'ils sont en train « d'industrialiser l'approche DIY ». Jusqu'à rebattre les cartes de la fabrication industrielle ? Ils peuvent en soi constituer une nouvelle « révolution industrielle », comme l'annonçait Chris Anderson dès 2010, dans son livre sur le phénomène maker. Ce qui est sûr c'est que les nouvelles façons de collaborer et concevoir des « créatifs » se diffusent massivement dans le monde de l'entreprise. Mieux : les industriels se sont clairement emparés de l’approche fablabs, en lançant ou en contribuant à des :

    • fablabs internes ;
    • makerspaces ouverts à sa clientèle ou à startups ;
    • techshops ;
    • hackatons, etc.

    Le mouvement maker y imprime clairement son empreinte, jusqu'à entraîner la création de fablabs inter-entreprises, insistant sur l’open-innovation. D'autres industriels souhaitent tirer parti de l'intelligenceintelligence collective grand public, comme le propose Oui Are Makers, plateforme de tutoriels en ligne, à l'occasion de concours d'idées. Pour certains makers, on assiste à un « fabwashing » qui dénature son approche. La fédération des Fablabs, qui a accueilli l'an dernier la rencontre mondiale des fablabs (Fab14, fabriquer la résilience), a réagi à ce sujet.

    Entre quête de reconnaissance officielle, influence sur les nouveaux modes de production et défense d'une identité multiple et d'un esprit d'ouverture sans limite, les makers n'ont pas fini de faire bouillonner l'industrie.