Œdipe, au départ, est un héros grec — l'un des plus célèbres, au destin terrible — qui a offert à la tragédie grecque ses lettres de noblesse avant de, finalement, donner son nom à un concept de psychanalyse développé par Freud. Mais du mythe au concept, il y a un pas qui aura finalement dénaturé le message caché derrière le parcours de ce prince thébain.


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    « Quel être a quatre pattes le matin, deux le midi et trois le soir ? » Cette célébrissime énigme, omniprésente dans les emballages de papillotes et les livres pour enfants, a été résolue pour la première fois par Œdipe. Œdipe est ce roi de la mythologie grecque qui a tué son père et épousé sa mère, avant de se crever les yeuxyeux de désespoir. Un individu, a priori, assez peu recommandable... et pourtant : près de 2 500 ans après avoir cartonné en tant que protagoniste dans la pièce qui rendra  célèbre -- excusez du peu -- Sophocle, il est devenu un des héros les plus emblématiques de la tragédie grecque, un des plus représentés dans les œuvres postérieures, et il a donné son nom à un concept central de la psychanalyse... Comment expliquer un tel succès ? La réponse tient en un mot : le destin. Car si Œdipe s'est livré à de tels actes, c'est bien involontairement. 

    Œdipe, ou la volonté d'échapper à son destin

    Tout commence à Thèbes, il y a de cela des millénaires. Le roi de la cité, Laïos, et sa femme, Jocaste, attendent un heureux événement. Ils consultent alors l'oracleoracle du temple d'Apollon, à Delphes, qui exprime les visions travers une prophétesse, la Pythie. Pas de chance, les bonnes nouvelles ne sont pas au rendez-vous. Voyez plutôt : dans quelques années, Laïos sera tué par son propre fils, qui épousera Jocaste. Le roi, furieux, décide de faire un pied de neznez à son destin et abandonne l'enfant au sommet du mont Cithéron. L'enfant -- qui n'est autre qu'Œdipe -- est sauvé par un berger, et adopté par Polybe et Mérope, roi et reine de Corinthe. Ils l'élèvent comme leur fils et gardent pour eux le secret de ses origines. Quelques années plus tard, notre jeune prince a bien grandi, et le statut de ses célèbres parents ne suffit pas à lui épargner quelques railleries. C'est ainsi qu'un Corinthien lui reproche de ne pas être le vrai fils du roi et de la reine.

    L'action principale se déroule à Thèbes, également surnommée la « ville aux sept portes ». © Катерина Євтехова, Adobe Stock
    L'action principale se déroule à Thèbes, également surnommée la « ville aux sept portes ». © Катерина Євтехова, Adobe Stock

    Il n'en faut pas plus pour qu'Œdipe, comme ses parents biologiques avant lui, rende visite à l'oracle de Delphes. Celui-ci campe sur ses positions, et lui annonce son terrible destin. Le jeune homme, ignorant qu'il n'est pas le vrai fils de Polybe et Mérope, décide de partir loin de Corinthe. Sur la route, il croise la route du roi de Thèbes. Une altercation éclate et se solde par la mort de Laïos, tué par Œdipe, qui ne sait pas encore qu'il vient de tuer son propre père. Le destin est en marche.

    La naissance d'une énigme

    Le prince se rend à Delphes, tourmentée par la Sphinge -- la version féminine du Sphinx --, un monstre qui pose une énigme aux passants et tue ceux qui ne peuvent pas la résoudre. Œdipe tente sa chance et identifie l'être qui « a quatre pattes le matin, deux le midi et trois le soir » : « L’Homme, affirme-t-il sans ciller. Quand il est enfant, au matin de sa vie, il marche à quatre pattes ; quand il est adulte, il se tient sur ses deux jambes ; et quand il est vieux, au soir de sa vie, il a besoin d'une canne pour se déplacer ». La réponse est juste. La sphinge se jette du rocher où elle siégeait et meurt, libérant la cité de son emprise. Œdipe est fait roi, et épouse Jocaste, veuve de Laïus.

    Les années s'écoulent, et quatre enfants naissent de cette union maudite. Des années plus tard, une pestepeste frappe Thèbes, et Œdipe, exilé, découvre la vérité sur ses origines. Jocaste se suicide, et son fils se crève les yeux en désespoir. Ambiance... 

    Dans l'Antiquité grecque, les tragédies avaient une fonction stabilisatrice au sein de la société et un rôle cathartique. © Natalya, Adobe Stock
    Dans l'Antiquité grecque, les tragédies avaient une fonction stabilisatrice au sein de la société et un rôle cathartique. © Natalya, Adobe Stock

    Aux origines du mythe

    L'origine de ce mythe est trouble. La première occurrence connue d'Œdipe dans la littérature est attribuée au poète lacédémonien Kinaithon (VIIe siècle av. J.-C.), à qui l'on doit le cycle thébain retraçant l'histoire de la famille royale de la ville aux sept portesportes. Il est ensuite rapidement évoqué dans L'Iliade et l'Odyssée, ainsi que dans diverses œuvres antiques, mais c'est grâce à Œdipe Roi, tragédie de Sophocle, qu'il gagne véritablement sa célébrité.

    Par la suite, il apparaîtra encore dans de nombreux textes au fil des époques. Au cours de l'histoire, les versions changent légèrement : que fait Œdipe à la suite à son exil de Thèbes ? comment meurt-il ? comment expliquer la sombre prédiction de l'oracle ?... Les auteurs ne s'accordent pas sur ces points. En revanche, l'enjeu principal soulevé par le mythe reste inchangé : l'impossibilité d'échapper à son destin. Quant à Freud, il ira plus loin dans son analyse et choisira le terme de « complexe d'Œdipe » pour désigner le sentiment d'amour d'un fils envers sa mère, et de jalousie et de haine envers son père, bien que ces émotions n'aient pas motivé les actions d'Œdipe, ni déterminé son caractère dans les versions anciennes de l'histoire.