Des indices d’une présence humaine à Madagascar il y a 10.500 ans réécrivent l’Histoire de la Grande Île. Elle aurait été colonisée 6.000 ans plus tôt que ce que l’on pensait. Cette découverte est d’autant plus frappante que les indices en question sont des traces d’actes de boucherie et que la victime est un drôle d’oiseau géant, aujourd’hui disparu.

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    C'est une nouvelle page qui s'écrit dans la préhistoire de la Grande Île. Des marques de coupure trouvées sur des os fossilesfossiles appartenant à des oiseaux géants, aujourd'hui éteints, indiquent que l'Homme était présent à Madagascar il y a plus de 10.500 ans. Cela signifie que ce grand explorateur qu'était Homo sapiensHomo sapiens a atteint l'île 6.000 ans plus tôt que ce que l'on pensait auparavant.

    La découverte a été publiée ce mois-ci dans le journal Science Advances. L'équipe de chercheurs auteurs de cette étude, dirigée par James Hansford de l'Institute of zoology de Londres, s'est intéressée à des oiseaux pouvant atteindre trois mètres de haut et peser 500 kgkg, dit oiseaux-éléphants. Ils se déclinent entre le genre æpyornis, qui compte notamment une espèceespèce nommée Æpyornis maximus, et le genre mullerornis, une version plus petite de æpyornis. Tous deux étaient endémiquesendémiques à cette île de l'océan Indien et constituaient autrefois la mégafaunemégafaune de Madagascar, aux côtés par exemple des lémuriens géants, eux aussi éteints.

    Squelette d’un oiseau-éléphant de Madagascar, une espèce d’oiseau géant incapable de voler aujourd’hui éteinte. En couleur sont indiqués les os découverts par les chercheurs qui présentent des marques de coupure. © James Hansford <em>et al</em>., <em>Science Advances</em>, 2018

    Squelette d’un oiseau-éléphant de Madagascar, une espèce d’oiseau géant incapable de voler aujourd’hui éteinte. En couleur sont indiqués les os découverts par les chercheurs qui présentent des marques de coupure. © James Hansford et al., Science Advances, 2018

    Les malheureux fossiles d'oiseaux-éléphants étudiés par les chercheurs manifestent des entailles et des fractures caractéristiques d'une chasse et d'un démembrement. Aucun outil susceptible de causer ces marques n'a été retrouvé à proximité des fossiles, mais les chercheurs écartent la possibilité d'une blessure naturelle. Ils ont conclu que les os ont été modifiés par la main de l'Homme en comparant la forme et la position des coupures avec des marques de boucherie contemporaines sur des émeus, ainsi qu'avec des traces de boucherie préalablement identifiées sur d'autres fossiles malgaches datant de la Préhistoire.

    L'âge des fossiles a été estimé à 10.500 ans environ par datation au carbone 14datation au carbone 14. Or, d'après les caractéristiques des entailles sur les os - coupure nette, absence de craquelures, etc. - elles auraient été infligées aux alentours de la mort de l'oiseauoiseau, ce qui fait de ces fossiles les plus anciens indices de présence humaine à Madagascar. « Cette nouvelle découverte renverse complètement notre compréhension de l'arrivée des premiers humains [sur l'île] », déclare dans un communiqué Patricia WrightWright de l'université d'État de New York à Stony Brook, coauteure de l'étude.

    Entailles, indiquées par les flèches, laissées par la main de l’Homme sur les os âgés de 10.500 ans provenant de la jambe d’un oiseau-éléphant de Madagascar. © Ventura Pérez, <em>University of Massachusetts Amherst</em>

    Entailles, indiquées par les flèches, laissées par la main de l’Homme sur les os âgés de 10.500 ans provenant de la jambe d’un oiseau-éléphant de Madagascar. © Ventura Pérez, University of Massachusetts Amherst

    L’Homme ne serait pas responsable de l’extinction des oiseaux-éléphants

    Les oiseaux-éléphants apportent un caractère exceptionnel à cette étude, car ils repoussent d'une part la date d'arrivée de l'Homme sur la Grande Île, mais aussi parce qu'ils ont été beaucoup moins étudiés que les autres spécimens de la mégafaune malgache. Jusqu'alors, on estimait d'après des os de lémuriens - et aussi d'après des artefacts archéologiques - que l'Homme avait colonisé Madagascar bien plus tard, soit entre -2.400 et -4.000 ans.

    Le saviez-vous ?

    L’oiseau-éléphant de Madagascar était autrefois un des oiseaux les plus grands du monde. Le moa géant de Nouvelle-Zélande le dépasse de peu.

    L'apparente violence dans la relation entre les chasseurs préhistoriques et les oiseaux-éléphants constitue paradoxalement une preuve solide pour innocenter l'Homme, accusé d'avoir exterminé ces animaux. Les traces de boucherie retrouvées sur ces fossiles âgés de 10.500 ans suggèrent en effet qu'il aurait cohabité avec la mégafaune de l'île pendant des millénaires, avec semble-t-il peu d'impact sur la biodiversitébiodiversité, puisque celle-ci - oiseaux-éléphants, hippopotames, tortuestortues géantes et lémuriens géants - s'est éteinte progressivement au cours des derniers 1.000 ans.

    Dessin d’un spécimen d’<em>Æpyornis maximus</em>, un oiseau-éléphant vivant autrefois à Madagascar. © <em>Wikimedia Commons</em>, DP

    Dessin d’un spécimen d’Æpyornis maximus, un oiseau-éléphant vivant autrefois à Madagascar. © Wikimedia Commons, DP

    Le dernier millénaire a vu les sites d'occupation se multiplier à Madagascar. Il est donc légitime de supposer un lien de cause à effet entre la présence humaine et la disparition de la mégafaune. Cela s'est déjà produit : le moa de Nouvelle-Zélande, par exemple, serait typiquement une victime de l'Homme, car il s'est éteint dans les 150 ans suivant la colonisation de la région Pacifique.

    « Notre recherche fournit une preuve d'activité humaine à Madagascar 6.000 ans plus tôt que ce que l'on soupçonnait jusque-là, ce qui implique qu'une théorie radicalement différente est nécessaire pour expliquer l'immense perte de biodiversité sur cette île », proclame James Hansford dans un communiqué de l'Institute of zoology. Selon les chercheurs, ce serait une bonne leçon d'histoire. Homo sapiens aurait été capable de coexister avec la mégafaune pendant tout ce temps, ce qui invite à réfléchir sur notre situation actuelle, alors que nous faisons possiblement face à une sixième extinction, ou du moins à un déclin accéléré de la biodiversité.