A Marseille, lors d'une conférence internationale, des physiciens viennent de présenter une magnifique boule de silicium, dont ils espèrent qu'elle va détrôner l'antique étalon préservé à Sèvres, près de Paris. Ce bel objet a un concurrent : un dispositif électronique et mécanique, la balance du watt, à l'étude à Saint-Quentin-en-Yvelines.

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    La sphère de silicium (93,75 millimètres de diamètre) présente des défauts de rugosité de l'ordre de 0,3 nm et des variations du rayon inférieures à 70 nm. © CSIRO

    La sphère de silicium (93,75 millimètres de diamètre) présente des défauts de rugosité de l'ordre de 0,3 nm et des variations du rayon inférieures à 70 nm. © CSIRO

    En 2011, le Bureau international des poids et mesures (BIPM) décidera comment définir le kilogramme, c'est-à-dire l'unité de masse. L'affaire est sérieuse. Chacune de nos unités a besoin d'une référence, la plus précise possible. De toutes, celle de la masse est la moins bien lotie. Le kilogramme reste la seule dont la définition repose sur un étalon physique, en l'occurrence une barre métallique faite d'un alliage de platine et d'iridiumiridium, pieusement conservée au pavillon de Breteuil, à Sèvres, dans la proche banlieue parisienne, depuis 1889.

    Tous les cinquante ans, cet objet extraordinairement précieux, qui sert de référence principale pour le monde entier, est sorti des trois cloches de verre sous lesquelles il repose. Il est alors pesé et la mesure est comparée à celle de 1889 et à celle des autres étalons existant dans le monde. Deux vérifications ont été réalisées depuis, en 1946 et en 1989. Elles ont montré une variation de poids d'environ 30 microgrammes en un siècle et une dispersion des différentes mesures de quelque 100 microgrammes. L'unité de masse est ainsi la moins précisément définie.

    Depuis 2002, une équipe internationale de scientifiques s'est lancée dans le projet AvogadroAvogadro, consistant à créer une sphère de siliciumsilicium pur dont le nombre d'atomesatomes serait précisément connu et dont la masse serait d'un kilogramme. L'aventure a commencé en Russie, où des centrifugeuses initialement dédiées à l'extraction d'uraniumuranium ont purifié du silicium-28. Le bloc, de forme oblongue, a ensuite pris le chemin de l'Allemagne, où le Leibniz-Institut für Kristallzüchtung (IKZ) en a vérifié la pureté. Deux morceaux de cinq kilogrammes ont alors été taillés et se sont envolés pour l'Australie, où ils ont été remis, à Sydney, au Centre australien d'optique de précision, qui dépend du CSIRO (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation).

    De là est sortie une magnifique sphère de 93,75 millimètres dont les défauts de rugosité sont de l'ordre de 0,3 nanomètrenanomètre. L'objet s'est trouvé au centre des discussions d'une réunion internationale d'astronomie organisée à Marseille par la SPIE, une organisation scientifique interdisciplinaire. Le thème de cette conférence annuelleannuelle (Astronomical Telescopes and Instrumentation conference) était cette année « Les synergiessynergies entre le sol et l'espace » (Synergies Between Ground and Space).


    La fabrication de la sphère exige de nombreuses étapes, dont la séparation d'un seul isotope du silicium, la vérification de la pureté du matériau obtenu puis la taille et le polissage, effectués selon les mêmes techniques que pour la réalisation d'un miroir de télescope. Vidéo proposée par le magazine New Scientist

    Un étalon rond vaut-il mieux qu'un étalon long ?

    Le projet Avogadro a été présenté comme un successeur potentiel de la barre du pavillon de Breteuil. Mais beaucoup de travail reste à faire. Il faut produire plusieurs sphères et en déterminer le nombre d'atomes. Si les calculs donnent le même chiffre, le kilogramme pourrait alors être défini comme un certain nombre d'atomes de silicium 28.

    Mais cette solution, qui ne consiste qu'à remplacer un étalon matériel par un autre, n'est pas la seule étudiée par le BIPM. A Saint-Quentin-en-Yvelines (en Ile-de-France), le LNE (Laboratoire national de métrologie et d'essais), responsable de la métrologie française, travaille depuis plusieurs années, avec d'autres équipes dans le monde, à la mise au point d'une méthode complètement différente, la balance du watt. Il s'agit d'un dispositif électromécanique prenant la forme d'une balance, où une force électromagnétique, induite dans une bobine conductrice, équilibre le poids d'une masse (un kilogramme) suspendue de l'autre côté.

    La mesure se fait en deux temps. Dans la phase statique, un champ magnétiquechamp magnétique génère une force (la force de Laplace), qui s'oppose au poids de la masse. Dans la phase dynamique, la bobine est bougée avec une vitessevitesse constante, ce qui induit une tension électrique, qui peut être mesurée. On relie alors la masse de l'échantillon aux forces électromagnétiques et, finalement, à la constante de Planckconstante de Planck, qui deviendrait ainsi une référence, comme l'est la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière pour la définition du mètre.

    La réalisation pratique n'est pas une mince affaire (le projet prévoyait la mise au point de la balance du wattwatt en 2007). Le bâtiment du LNE est monté sur des amortisseurs absorbant les vibrationsvibrations et précisément climatisé. La mesure passe par la connaissance de g, c'est-à-dire le rapport entre la masse et le poids. On sait aujourd'hui mesurer ce paramètre avec précision mais il faut prendre quelques précautions, notamment tenir compte des effets de maréemarée qui soulèvent régulièrement le sol de plusieurs dizaines de centimètres...

    En 2011, le BIPM devra trancher entre ces méthodes. A moins qu'aucune ne soit considérée comme suffisamment fiable, le vénérable étalon du pavillon de Breteuil pourra alors prendre une retraite méritée après 122 ans de bons et loyaux services.