Il est habituel de dire que les machines de Léonard de Vinci anticipaient partiellement bien des réalisations techniques du XIXe et même du XXe siècle. Ce qui est moins connu, c'est que Léonard avait aussi des intuitions géniales avant l'heure dans divers domaines scientifiques, en géologie, en médecine par exemple, mais aussi en physique comme le montre une découverte récente à partir d'un des fameux carnets de Léonard.


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    AristoteAristote était un génie, mais certainement beaucoup moins doué en mathématique et en physique que Platon, Démocrite et ArchimèdeArchimède. Ses lois de la mécanique semblaient confirmées par bien des expériences de la vie courante mais le XVIIe siècle allait amplement prouver qu'il avait tort. Il faudra cependant pour cela les génies combinés de GaliléeGalilée, Descartes, Huygens, Newton et Leibnitz pour le démontrer. Et si les principes de la mécanique sont bien énoncés par Newton qui a fait la synthèse de leurs travaux, sans oublier l'apport fondamental des lois de Kepler, la formulation la plus moderne de la mécanique sera finalement donnée au siècle suivant par Lagrange (voir sur toute cette histoire le remarquable et célèbre ouvrage de René Dugas).


    La France possède plusieurs des carnets de Léonard de Vinci. © Institut de France

    Or tout comme pour bien d'autres sciences, on peut trouver des anticipations remarquables, à défaut de véritables découvertes, dans les fameux carnets de Léonard de VinciLéonard de Vinci. On sait ainsi qu’il avait découvert deux des lois fondamentales du frottement avec presque 200 ans d’avance. Aujourd'hui, selon Morteza Gharib, Professeur Hans W. Liepmann d'aéronautique et d'ingénierie bio-inspirée au célèbre Caltech avec sa pépinière de prix Nobel, il semblerait bien que Léonard était au seuil de la découverte de la loi de la chute des corps formulée presque un siècle après lui par GalileoGalileo Galilei (Galilée) avec un plan incliné.

    Comme Galilée, Léonard faisait plus grand cas de Platon et d'Archimède que d'Aristote tout en étant déjà plus attentif à la découverte des lois de la Nature par l'expérience que par le raisonnement, pouvant donc être considéré comme un des précurseurs de la science classique née avec le XVIIe siècle.


    « L'univers mécanique » est une série de 52 vidéos de 30 minutes, acclamée par la critique, couvrant les sujets de base d'un cours universitaire d'introduction à la physique. Chaque programme de la série s'ouvre et se termine avec le professeur de Caltech David Goodstein, qui fournit un aperçu philosophique, historique et souvent humoristique du sujet traité tout en donnant des conférences à sa classe de physique de première année. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © 1985, California Institute of Technology, The Corporation for Community College Television, and The Annenberg/CPB Project

    Le plan incliné de Galilée et sa loi de la chute des corps 100 ans avant Galilée ?

    Gharib explorait les dessins représentant des écoulements d'eau au début de l'année 2017 pour nourrir son cours de mécanique avec ses étudiants en lisant le fameux carnet de Léonard de Vinci appelé Codex Arundel lorsqu'il a remarqué une série de croquis montrant des triangles générés par des particules ressemblant à du sablesable se déversant d'un bocal. « Ce qui a attiré mon attention, c'est quand il a écrit Equatione di Moti (ce qui ne signifie pas équation de mouvement en toscan italien mais égalité des mouvements, ndlr) sur l'hypoténuse de l'un de ses triangles esquissés - celui qui était un triangle rectangle isocèle. Je suis devenu intéressé de voir ce que Leonardo voulait dire par cette phrase », explique le chercheur dans un communiqué du Caltech.

    Croquis de Léonard de Vinci dans le <em>Codex Arundel</em>. © Caltech
    Croquis de Léonard de Vinci dans le Codex Arundel. © Caltech

    Comme à son habitude, Léonard couvrait ses carnets de notes nécessitant un miroirmiroir pour les déchiffrer et écrites de droite à gauche, ce qui n'a finalement pas posé de problème pour Gharib aidé par ses collègues Chris Roh, à l'époque chercheur postdoctoral au Caltech et maintenant professeur assistant à l'université Cornell, et Flavio Noca de l'université des sciences appliquées et des arts de Suisse occidentale à Genève. En fait, c'est Noca qui a fourni des traductions des notes italiennes de Léonard. Il en a résulté un article dans la revue Leonardo (fondé en 1968 à Paris par le scientifique et artiste, Frank Malina, c'est un magazine publié aujourd'hui cinq fois l'an par MIT Press et spécialisé dans l'applicationapplication des technologies dans le monde des arts).

    L'expérience décrite dans le carnet de Léonard qui a donc attiré l'attention de Morteza Gharib est celle d'un pichet d'eau déplacé le long d'un chemin droit parallèle au sol, déversant de l'eau ou un matériaumatériau granulairegranulaire comme du sable. Les notes de Léonard indiquent que dans cette expérience il remarque que si le pichet est déplacé de façon accélérée, la chute des particules se fait selon une pente donnée et lorsque l'accélération du pichet est égale à celle des particules en chute libre, il se forme un triangle équilatéral. Pour plus de clarté à ce sujet, les chercheurs ont même reconstitué virtuellement l'expérience comme on peut le voir avec l'animation ci-dessous.

    Animation de l'expérience du pichet de Léonard de Vinci reproduite par les chercheurs. © Caltech
    Animation de l'expérience du pichet de Léonard de Vinci reproduite par les chercheurs. © Caltech

    Au final, on voit que Léonard était conscient que la chute des corps se faisait selon une loi d'accélération uniquement sur la verticale. Presque un siècle plus tard, c'est précisément ce que montra aussi Galilée avec ses billes roulant sur un plan incliné. Galilée mesurait en même temps, le temps mis par une bille pour descendre d'une hauteur h et c'est ainsi qu'il trouva la fameuse loi donnant cette hauteur en fonction du temps et de l'accélération de la pesanteur g, à savoir h  =1/2 gt2.

    Toutefois, même si cette expérience et les raisonnements de Léonard semblent bel et bien anticiper les résultats de Galilée et donc le début de la mécanique galiléenne que Newton reprendra, complétée par la formulation du principe de l'inertieinertie par Descartes, Léonard n'était pas encore arrivé à la loi de Galilée.

    En effet, s'il cherche bien lui aussi à formaliser mathématiquement le résultat de l'expérience en supposant une accélération, il déduit une loi de chute avec un facteur 2t au lieu de t2. Il se trompe, mais de peu car on voit bien dans ses notes selon les chercheurs que l'une de ses expériences considère un objet tombant jusqu'à quatre intervalles de temps - une période pendant laquelle les courbes des deux types d'équations sont proches l'une de l'autre.

    Dans le communiqué du Caltech à propos de cette découverte, Gharib conclut : « Nous ne savons pas si de Vinci a fait d'autres expériences ou a approfondi cette question. Mais le fait qu'il s'attaquait à ce problème de cette manière - au début des années 1500 - montre à quel point sa pensée était en avance. »

    Précisons que l'expérience de Léonard n'anticipe en rien ni la théorie de la gravitationgravitation de Newton ni celle d'EinsteinEinstein, il n'est absolument pas question du principe d'équivalence entre massemasse pesante et masse inerte ici.