L’une des plus hautes distinctions en mathématiques, le prix Abel, vient d’être décernée au multirécidiviste Pierre Deligne, pour ses travaux à la frontière entre la géométrie et l’algèbre. Venu de l’université libre de Bruxelles, il est passé par la France et l’Institut des hautes études scientifiques, avant de s’installer à Princeton, tout en récoltant les cinq plus grands prix de mathématiques.

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    Pierre Deligne en 2008, pour la remise du prix Wolf. Il est également lauréat de la médaille Fields. © DR

    Pierre Deligne en 2008, pour la remise du prix Wolf. Il est également lauréat de la médaille Fields. © DR

    Il manquait à Pierre Deligne le prix Abel. Créée en 2003 par le gouvernement norvégien pour récompenser les grands mathématiciensmathématiciens, cette distinction doit son nom au Norvégien Niels Heinrik Abel, dont la carrière au XIXe siècle fut brève, mais brillante. Le premier lauréat du prix fut le Français Jean-Pierre Serre. Cette année, il vient d'être décerné à Pierre Deligne « pour ses contributions fondamentales à la géométrie algébrique et pour leur impact continu sur la théorie des nombres, la théorie des représentations et les domaines connexesconnexes ».

    Ce mathématicien belge, qui a obtenu son doctorat à l'université libre de Bruxelles en 1968, a acquis depuis longtemps une notoriété internationale. Ses travaux, notamment sur la géométrie algébrique, sont particulièrement reconnus. Le prix Abel  est souvent présenté comme le « prix Nobel des mathématiques », puisque la célèbre récompense suédoise omet cette discipline. Mais il n'est pas le seul prix à mériter la comparaison, accordée aussi à la médaille Fields... que Pierre Deligne a décrochée en 1978.

    À 12 ans, Pierre Deligne lisait des ouvrages de mathématiques (d’après sa biographie). À l'occasion de la remise du prix Wolf en 2008, il confiait pour un portrait qu’à 14 ans, il avait reçu en cadeau un livre de Bourbaki sur la théorie des ensembles, offert par un ami de la famille et professeur de mathématiques. S’il lui a fallu un an pour le lire, il ajoute : <em>« Là, j'ai appris quel était l'idéal de rigueur en mathématiques. Et une fois qu'on a pu comprendre cet idéal, on se sent beaucoup plus libre pour s'en éloigner, dans la mesure où l’on sait qu'on peut y revenir. »</em> Ce portrait a été publié sur le site de la Commission européenne. © Cliff Moore

    À 12 ans, Pierre Deligne lisait des ouvrages de mathématiques (d’après sa biographie). À l'occasion de la remise du prix Wolf en 2008, il confiait pour un portrait qu’à 14 ans, il avait reçu en cadeau un livre de Bourbaki sur la théorie des ensembles, offert par un ami de la famille et professeur de mathématiques. S’il lui a fallu un an pour le lire, il ajoute : « Là, j'ai appris quel était l'idéal de rigueur en mathématiques. Et une fois qu'on a pu comprendre cet idéal, on se sent beaucoup plus libre pour s'en éloigner, dans la mesure où l’on sait qu'on peut y revenir. » Ce portrait a été publié sur le site de la Commission européenne. © Cliff Moore

    Un fabricant de ponts entre les disciplines

    Cette première distinction, qu'il doit à sa démonstration d'une des conjectures de Weil, n'est que la première d'une longue série. Dix ans plus tard, en 1988, il sera le lauréat du prix Crafoord avec Alexander Grothendieck, qui fut son directeur de thèse. Or, ce dernier refusera le prix. Trublion, anticonformiste, engagé contre la guerre du Vietnam et contre les institutions, Alexander Grothendieck décide de s'éloigner de la science, puis du reste de la société (il vivrait actuellement en ermite dans les Pyrénées).

    Pour Pierre Deligne, suivront le prix Balzan en 2004 et le prix Wolf en 2008. Après ses études à l'École normale supérieure de Paris, il a commencé sa carrière professionnelle à l'Institut des hautes études scientifiques (IHES), à Bures-sur-Yvette, au sud de la capitale. Depuis 1984, il est professeur à l'IAS (Institute for Advanced Study) de l'université de Princeton dans le New Jersey, aux États-Unis.

    Multidisciplinaire, Pierre Deligne a su établir des ponts entre algèbre, géométrie et topologie. Comme souvent, ces travaux transfrontaliers se révèlent fructueux et même éclairants dans d'autres domaines, à commencer par la physique. Ses explorations des espaces à plusieurs dimensions ont notamment été utiles aux « cordistes », qui entendent décrire le monde des particules et des forces avec la théorie des cordes.