Le mathématicien naturalisé français et d’origine russe Mikhaïl Gromov, professeur permanent à l'Institut des hautes études scientifiques depuis 1982, vient de recevoir le prix Abel 2009. Ce chercheur a profondément renouvelé la géométrie différentielle avec des travaux à la frontière de la topologie, de l’analyse et de l’algèbre. Ses travaux ont eu des conséquences inattendues en théorie des cordes et même en biologie et en médecine cardiaque.

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    Mikhaïl Gromov. Crédit : Gérard Uferas

    Mikhaïl Gromov. Crédit : Gérard Uferas

    Le prix Abel a une longue histoire. Il aurait dû être décerné tous les cinq ans pour des travaux remarquables en mathématique pure et ce dès le début du vingtième siècle. Le grand mathématicienmathématicien Sophus Lie s'était beaucoup impliqué dans ce prix afin qu'il palie à la curieuse absence d'un prix Nobel de mathématiques. Il n'a cependant été décerné qu'à partir de 2002, par l'Académie des sciences norvégienne. Ce long retard s'explique par la séparationséparation de la Suède et de la Norvège et surtout le décès de Lie.

    Le nom d'Abel lui-même fait référence aux travaux de Niels Henrik Abel, un mathématicien norvégien mort de tuberculosetuberculose alors qu'il n'avait pas 27 ans. Ce brillant jeune homme avait réalisé des travaux importants en théorie des fonctions elliptiques et sa démonstration de l'impossibilité de résoudre par des racines les équations du cinquième degré inspira les travaux de Galois, le père de la théorie des groupes, mort lui aussi très jeune.

    Cette année, le prix d'une valeur de 730.000 euros environ revient à Mikhaïl Gromov, né en décembre 1943 en Russie, à Boksitogorsk. Contrairement à la médaille Fields qui ne peut revenir à un mathématicien de plus de 40 ans, ce prix peut récompenser un mathématicien pour l'ensemble de sa carrière. Il diffère encore de la médaille Fields par le fait qu'il est attribué chaque année.

    Bernhard Riemann. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir.) Crédit : <em>Department of Physics, Indiana University</em>

    Bernhard Riemann. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir.) Crédit : Department of Physics, Indiana University

    Les travaux de Mikhaïl Gromov concernent initialement le domaine de la géométrie différentielle, c'est-à-dire en gros la fameuse théorie des espaces courbes à N dimensions de Bernhard Riemann dont EinsteinEinstein a fait usage dans le cadre la relativité générale. Gromow a construit une théorie qui permet de comparer entre eux des objets géométriques différents appartenant à la géométrie riemannienne.

    Il se trouve que lorsque l'on considère un espace décrivant par exemple les coordonnées et les vitesses des planètes dans le système solaire, ou encore d'une toupie, on est confronté à des espaces là aussi à N dimensions, qui peuvent être dotés d'une géométrie de Riemann, mais qui possèdent une autre structure géométrique. Cet espace des positions et des vitesses, plus précisément des impulsions d'un système mécanique quelconque, intervient dans ce qu'on appelle la formulation de Hamilton de la mécanique. On parle encore de mécanique hamiltonienne, un concept central pour formuler les équations de la mécanique quantique. Cet espace possède une géométrie particulière que l'on appelle la géométrie symplectique et c'est tout naturellement que Mikhaïl Gromov s'est tourné vers elle.

    William Rowan Hamilton. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir.) Crédit : <em>University of Connecticut</em>

    William Rowan Hamilton. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir.) Crédit : University of Connecticut

    Pendant longtemps, la communauté mathématique n'a pas eu connaissance des résultats extraordinaires que Gromov avait obtenus. Comme son compatriote d'origine, Perelman, Gromov est au départ un membre de l'école russe de mathématique, c'est-à-dire l'une des plus brillantes du monde. Sa vocation a commencé jeune alors que sa mère lui avait donné à 9 ans le fameux livre de Rademacher et Toeplitz, Nombres et figures.

    Malheureusement pour lui, Gromov se sent assez vite à l'étroit dans le système soviétique d'avant la chute du MurMur de Berlin. Même s'il passe un doctorat en mathématiques à l'université de Leningrad en 1969, il n'a qu'une seule idée, quitter l'URSS le plus vite possible. Pour cela, il doit dissimuler son extraordinaire talent et il finit même par quitter le milieu académique. Difficile d'obtenir l'autorisation d'émigrer quand on est un esprit d'exception en Russie à cette époque...

    Il finit toutefois par à obtenir la permission de rejoindre l'état d'Israël en 1974 mais en fait, il en profite pour rejoindre l'université Stony Brook aux Etats-Unis. Là, ses collègues, dont Jim Simons, célèbre mathématicien devenu aujourd'hui financier, sont stupéfaits par les capacités de Gromov et les résultats auquel il était parvenu en secret. Au début des années 1980, préférant le milieu des mathématiciens français à celui de leurs collègues américains, il rejoint finalement l'université Paris VI puis, en 1982, devient professeur permanent à l'IHES (Institut des hautes études scientifiques) à Bures-sur-Yvette, près de Paris.

    Les contributions révolutionnaires de Mikhail Gromov ne se limitent pas au domaine des géométries riemannienne et symplectique. Il a en effet introduit la notion de groupe hyperbolique et ses travaux ont influencé jusqu'à la théorie des cordesthéorie des cordes, en particulier avec la découverte des fameux invariantsinvariants de Gromov-Witten.

    On ne peut malheureusement pas entrer dans les détails des travaux de Gromov mais le lecteur un peu cultivé en mathématique pourra en avoir un bon aperçu en consultant sur le site du prix Abel l'exposé de Vagn Lundsgaard Hansen.

    Aujourd'hui, c'est du côté de la biologie que Mikhaïl Gromov s'est tourné. En particulier, il pense que ses travaux en géométrie ont des applicationsapplications pour comprendre le fonctionnement du cœur humain et même dans le domaine de la chirurgie cardiaque.