Le prix Nobel de chimie est attribué au Français Jean-Pierre Sauvage, au Britannique J. Fraser Stoddart et au Néerlandais Bernard L. Feringa pour leurs travaux de conception et de synthèse de machines moléculaires. Des machines plus petites qu'un cheveu humain et qui laissent entrevoir une foule d'applications dans des domaines variés.

au sommaire


    Ils ne figuraient pas parmi les favoris et pourtant, ce sont bien trois chercheurs pionniers de la machine moléculaire qui se sont vus décerner, ce mercredi 5 octobre 2016, le prix Nobel de chimie : le Français Jean-Pierre Sauvage, le Britannique J. Fraser Stoddart et le Néerlandais Bernard L. Feringa. Au fil des décennies, et avec l'appui de leurs équipes respectives, ils ont développé des structures moléculaires (quelque 1.000 fois plus petites que l'épaisseur d'un cheveu humain) qu'ils sont d'abord parvenus à mettre en mouvement puis à contrôler.

    Comme beaucoup d'histoires, celle de la machine moléculaire commence avec un rêve, celui de concevoir des machines de dimensions nanométriques. Comme c'est également souvent le cas, c'est un coup de pouce du destin qui, en 1983, permit à Jean-Pierre Sauvage de poser ce qui deviendra la toute première pierre de la machine moléculaire.

    Le Français Jean-Pierre Sauvage parmi les lauréats

    À l'époque, le chercheur français s'intéresse à la photochimie. Il a dans l'idée de développer des structures moléculaires capables de capturer l'énergie du soleil pour initier des réactions chimiques. C'est alors que lui apparaît le modèle de la chaîne moléculaire : une première molécule en forme d'anneau, deux autres molécules en forme de croissant et un ionion de cuivrecuivre pour les rapprocher.

    La chaîne ainsi formée (encore appelée « caténane ») tient son originalité du fait que les molécules qui la constituent ne sont pas liées par des liaisons covalentesliaisons covalentes, mais par des liaisons mécaniques. Les premières, en effet, sont réputées trop fortes par nature (puisqu'elles consistent en le partage d'électronsélectrons) pour répondre aux critères de conception d'une machine moléculaire. Les secondes, en revanche, sont bien plus souples et permettent aux différentes parties de se déplacer les unes par rapport aux autres.


    Jean-Pierre Sauvage présente ici la philosophie de ses travaux sur les machines moléculaires. © Machines moléculaires avec Jean-Pierre Sauvage, par le CNRS, via Dailymotion

    Du rotaxane au moteur moléculaire

    L'histoire se poursuit en 1991, lorsque Fraser Stoddart, cette fois, développe un rotaxanerotaxane. Cette molécule en forme d'haltère (riche en électrons) est additionnée d'une bague (pauvre en électrons) susceptible de glisser le long de l'axe de l'haltère. Trois ans plus tard, alors que Jean-Pierre Sauvage parvient à contrôler les mouvements des anneaux de sa chaîne moléculaire, Fraser Stoddart réussit, de son côté, à contrôler ceux de son rotaxane. Une avancée qui lui permet de mettre en œuvre le premier ascenseurascenseur moléculaire, qui s'élève à quelque 0,7 nanomètrenanomètre de hauteur. Dans la foulée, il présente un embryonembryon de muscle moléculaire capable de se contracter à la demande.

    Enfin, en 1999, c'est Bernard Feringa qui est le premier à mettre au point un véritable moteur moléculaire. Son point de départpoint de départ : une molécule semblable à deux pales d'un rotor reliées entre elles par une double liaison carbonecarbone. Rattachés aux pales, des groupes méthyl sont destinés à forcer la rotation de la molécule dans un seul et même sens. Exposée à un rayonnement ultravioletultraviolet, la molécule entame une rotation de 180° autour de la liaison carbone centrale. Un deuxième pulse lumineux permet de poursuivre ce mouvement de rotation. En 2011, Bernard Feringa a ainsi pu faire rouler la toute première nanovoiture électrique. Et, en 2014, son moteur moléculaire atteignait les 12 millions de tours par seconde !

    La nanovoiture est composée d'un châssis moléculaire (<em>molecular chassis</em>, en anglais sur le schéma) et de quatre moteurs moléculaires qui peuvent être mis en rotation (<em>rotating molecular motor</em>). © Johan Jarnestad, <em>The Royal Swedish Academy of Sciences</em>

    La nanovoiture est composée d'un châssis moléculaire (molecular chassis, en anglais sur le schéma) et de quatre moteurs moléculaires qui peuvent être mis en rotation (rotating molecular motor). © Johan Jarnestad, The Royal Swedish Academy of Sciences

    Des applications à venir

    Grâce aux travaux de Sauvage, Stoddart et Feringa, la chimiechimie est entrée dans une ère nouvelle, celle qui éloigne les systèmes moléculaires de leur position d'équilibre et les rapproche du fonctionnement des molécules vivantes. Car les processus biologiques essentiels font sans cesse intervenir des moteurs moléculaires naturels.

    En termes de développement, le moteur moléculaire n'en est toujours qu'à ses balbutiements. Bien malin celui qui pourra en prédire toutes les applicationsapplications, comme l'aurait été, dans les années 1830, celui qui aurait imaginé à quel point le moteur électrique allait devenir indispensable à nos vies. Mais nul doute que les machines moléculaires serviront bientôt au développement de nouveaux matériaux. Elles pourraient aussi servir à imaginer des capteurscapteurs nouvelle génération. Nous pourrions également en trouver au cœur d'ordinateursordinateurs moléculaires. Des nanorobots pourraient quant à eux aider à cibler les cellules cancéreuses pour mieux les éliminer.