Parmi les technologies quantiques qui suscitent de grandes attentes, citons les capteurs quantiques qui disposent d’une précision de me­sure jamais atteinte auparavant. Ce potentiel inédit de mesure est mis à profit par plusieurs entreprises dont la Québécoise SBQuantum qui développe un magnétomètre quantique à diamant pour mesurer et cartographier le champ électromagnétique terrestre. David Roy-Guay, P.-D.G. et cofondateur de SBQuantum, nous explique le fonctionnement et tout l’intérêt de son capteur quantique qui intéresse une agence de renseignement américaine.


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    Parmi les technologies quantiques promises à un bel avenir, les capteurscapteurs quantiques sont aujourd'hui la technologie la plus aboutie dans ce domaine. Des capteurs quantiques commencent à sortir des laboratoires et même à être commercialisés. Pour comprendre l'intérêt de ces capteurs, il faut savoir, comme leur nom l'indique, que les capteurs quantiques utilisent les propriétés de la physique quantique, ce qui les rend extrêmement sensibles à la moindre perturbation de l'environnement et donc à de minuscules signaux de différentes natures.

    Leur utilisation est promise à un bel avenir avec des gains de performance inédits et des mesures à la précision inégalée. Ils seront utilisés pour de nombreuses activités et applications comme la prévision des séismesséismes, le sondage des sous-sols, les télécommunications, la surveillance de l'activité électrique des neuronesneurones, un par un ou encore des mesures ultra-sensibles de champ électrique et magnétique.

    Le saviez-vous ?

    Pour comprendre l’énorme potentiel de la puissance de calcul « du quantique »,  il faut savoir qu’un processeur quantique de Google aurait accompli en 200 secondes une opération qui prendrait 10 000 ans à un super-ordinateur.

    Parmi les capteurs quantiques les plus prometteurs, on met en avant dans cet article les magnétomètres quantiques à diamant de l'entreprise québécoise SBQuantum. C'est la première entreprise à développer ce type de capteur capable de fournir des mesures de l'amplitude et de l'orientation du champ magnétique terrestre avec une précision inédite.

    Preuve de son avancée technologique, SBQuantum a été choisie, avec son partenaire Spire Global, parmi trois entreprises dans le monde pour tester dans l'espace son capteur à base de diamant dans le cadre du défi MagQuest. Ce défi, initié par la National Geospatial-IntelligenceIntelligence Agency (NGA, une agence de renseignement du département de la Défense des États-Unis), est un concours de plusieurs millions de dollars visant à trouver des moyens plus précis et plus efficaces de cartographier le champ électromagnétiquechamp électromagnétique terrestre, également connu sous le nom de modèle magnétique mondial (MMM).

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    Pour comprendre tout l'intérêt de mesurer et cartographier ce champ électromagnétique avec un capteur quantique, nous avons interviewé David Roy-Guay, P.-D.G. et cofondateur de SBQuantum.

    Futura : Pouvez-vous expliquer ce qu'est un magnétomètre quantique à diamant ?

    David Roy-Guay : Le magnétomètre quantique à base de diamant de SBQuantum exploite des impuretés atomiques d'azoteazote-lacune pour réaliser une mesure très précise du champ magnétiquechamp magnétique vectoriel. Pour y arriver, on utilise le spinspin électronique de l'impureté pour réaliser la résonancerésonance de spin détectée optiquement. Suite à une excitation laserlaser dans le vert et à une excitation micro-ondes près de la fréquencefréquence du WifiWifi, la lumièrelumière rouge émise par le diamant est modulée par le champ magnétique. Ainsi, optiquement, on peut détecter le vecteur (orientation) du champ magnétique dans un très petit volumevolume. Ce qui est exceptionnel avec cette impureté est que les propriétés quantiques du spin sont préservées même à température pièce.

    Futura : Pourquoi le choix de capteurs quantiques pour mesurer le champ magnétique plutôt que d'autres types de capteurs ?

    David Roy-Guay : Comme leur opération est fondée sur le quantique, les capteurs quantiques sont facilement calibrables puisqu'on peut toujours revenir à la description fondamentale du système pour corriger les dérives en température et en champ mesuré. Basés sur des impuretés atomiques, ils sont très compacts et peu énergivores, parfaits pour les plateformes de déploiement compactes tels les drones et nanosatellitesnanosatellites.

    Futura : Peut-on quantifier, en matière de précision, l'apport de vos capteurs dans la cartographie du modèle magnétique mondial ?

    David Roy-Guay : La cartographie du modèle magnétique mondial (MMM) est un processus très complexe, de la collecte de données à partir de satellites à la sélection de données de bonne qualité pour produire le modèle. Typiquement, seulement 1 % des données est conservé pour produire la carte. Notre solution de capteur, combinée à des algorithmes de compensation basés sur le ML, permet de déployer des nanosatellites de la taille d'un litre de lait versus ceux de la taille d'un autobus. À terme, ils permettront également d'augmenter d'un facteur 10 la précision des mesures sur un an, réduisant les erreurs de calibration.

    Futura : En quoi ou comment le MMM influe sur le positionnement et la navigation ?

    David Roy-Guay : Le MMM était généré aux 10 ans et intégré dans tous les systèmes de navigation pour indiquer où se situe le nord magnétique. Il l'est maintenant aux 5 ans puisque le nord magnétique se déplace de 50 kilomètres par an. Cela peut affecter la navigation des drones, la précision de navigation des navires et des avions dans l'ArctiqueArctique. Le GPSGPS fournit la localisation, pas la direction dans laquelle vous pointez. En réalité, nous utilisons le MMM tous les jours puisqu'il est derrière la flèche bleue sur votre application cellulaire de navigation, pour vous dire d'aller vers la gauche ou la droite à votre sortie du métro. Près des pôles, les mises à jour de la carte sont très importantes pour guider les pilotes d'avion pour qui les compas magnétiques deviennent décalibrés. En effet, en Alaska, le nom d'une piste d'atterrissage a même dû être renommé suite à la mise à jour de la carte magnétique !

    Le capteur quantique de SBQuantum conçu pour mesurer et cartographier le champ électromagnétique terrestre. © SBQuantum
    Le capteur quantique de SBQuantum conçu pour mesurer et cartographier le champ électromagnétique terrestre. © SBQuantum

    Futura : Peut-on qualifier cette démonstration de rupture technologique ?

    David Roy-Guay : Absolument. La stabilité accrue de la lecture du vecteur de champ magnétique permet d'augmenter la fiabilité d'algorithmes de compensation et d'interprétation, pour faciliter le déploiement par drone et l'utilisation de la technologie de magnétométrie par des non-initiés. Jusqu'à maintenant réservés aux experts, les champs magnétiques permettront de naviguer efficacement sans GPS sous l'eau, sous la terre et de détecter des objets métalliques même hors de ligne de vue, sous la neige, poussière, fumée. La compactitude et l'efficacité énergétique permettent aussi d'incorporer la technologie à de très petites plateformes.

    Futura : Un point dur particulier ?

    David Roy-Guay : Bien que nous ayons beaucoup progressé, la technologie en est dans ses premières années de développement et de nouveaux paramètres liés à la physique quantique doivent être pris en compte au fur et à mesure que les performances sont améliorées. En particulier, l'effet des différentes impuretés dans le diamant, la décohérence et le contrôle quantique optimal des impuretés sont des défis de R&D très intensifs à résoudre pour atteindre la sensibilité et précision ultime du système. Le magnétismemagnétisme est très bien compris depuis des siècles - cependant, de façon surprenante, la magnétisation et démagnétisation de la plateforme de mesure (en l'occurrence ici le satellite) reste un phénomène très difficile à compenser puisqu'il doit tenir compte de l'historique d'exposition à un champ externe. Nous adaptons nos stratégies algorithmiquesalgorithmiques basées sur l'IAIA pour adresser ceci, mais ça demeure le défi n° 1 du domaine.

    Futura : Vos capteurs ou magnétomètres quantiques peuvent-ils être utilisés à d'autres fins, pour d'autres applications scientifiques ou commerciales ?

    David Roy-Guay : Absolument. Les magnétomètres sont une technologie plateforme, utilisés entre autres pour l'exploration minière ou pour la détection anti-sous-marine. Une fois la carte magnétique bâtie, nous explorons la possibilité d'utiliser nos capteurs et une magnétique pour réaliser une navigation basée uniquement sur les champs magnétiques (sans GPS). D'autres entreprises développent les capteurs à base de diamant pour la détection précoce du cancercancer, l'imagerie par résonance magnétiqueimagerie par résonance magnétique à l'échelle moléculaire pour le développement de médicaments et pour l'interfaçage humain/machine par les champs créés par le cerveaucerveau.

    Futura : Quels bénéfices et quels intérêts pour l'Agence nationale de renseignement géospatial ?

    David Roy-Guay : Le MMM est actuellement généré à partir de données de la mission Swarm de l’ESA. Comme cette mission est en fin de vie, l'Agence nationale de renseignement géospatial explore des façons agiles et peu coûteuses de générer des données magnétiques de haute précision pour la production des éditions futures du MMM. C'est vraiment une capacité critique pour la navigation des véhicules et avions pour la planète entière et elle fournira également des données essentielles pour approfondir notre compréhension des phénomènes du cœur de la Terre, de la lithosphèrelithosphère et pourrait même affiner nos théories sur comment les animaux s'orientent dans leurs migrations !