Vingt-et-un grammes d'âme ? Alors là, je n’avais jamais entendu parler de ça ! D’office, j’aurais tendance à vous répondre que non, c’est n’importe quoi cette histoire. Mais bon, ne soyons pas complètement fermés, et voyons ce que disent les scientifiques.


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    Découvrez le podcast à l’origine de cette retranscription dans Science ou Fiction. © Futura

     

    Tout d'abord, d'où nous vient cette idée... surprenante ? Eh bien, figurez-vous que c'est un médecin qui en est à l'origine.

    Un certain Dr Duncan MacDougall

    C'est à ce praticien britannique vivant aux États-Unis au début du XXe siècle, que l'on doit cette croyance. Parce que, parmi toutes les études qu'il aurait pu mener, il a décidé de s'intéresser au poids que perd le corps humain au moment de la mort, en faisant un lien avec le poids de l'âme. Alors c'est un peu particulier parce que ça suppose que l'âme, donc l'élément vital et spirituel qui anime le corps d'un être vivant, perdrait du poids ou bien s'en irait faire un tour ailleurs. Oui dans les deux cas, c'est un peu étrange, d'autant et surtout qu'on présuppose que l'âme existe. Et en fait, c'est exactement ce que le docteur voulait démontrer. Il lui fallait donc une preuve tangible pour montrer au monde entier que oui, l'âme est hébergée dans notre corps pendant notre vie, puis qu'elle s'en va lorsque vient le moment de la mort. Mais bon, pas bien simple à démontrer, surtout que ça veut dire qu'il faudrait être en présence d'une personne au moment même de son trépas. Ça demande de s'organiser un peu en avance et d'avoir installé la personne sur une balance pour pouvoir faire une mesure directement  avant et après le décès.

    Ça fait beaucoup de conditions pas évidentes à remplir, je suis d'accord. Mais c'était sans compter sur notre médecin préféré, qui avait tout prévu. Il a installé dans son propre bureau un lit d'hôpital reconverti en balance, d'une précision aux deux dixièmes d'oncesonces. Pour information, une once c'est un tout petit peu plus de 28 grammes, donc deux dixièmes, ben, c'est à peu près 5,6 grammes. Et à quoi va lui servir ce lit-balance à votre avis ? Je ne vous conseille pas d'aller y faire une sieste. Parce que vous vous doutez qu'il ne va pas juste accueillir ses patients et les faire repartir avec une ordonnance pour une boîte de Doliprane et du sirop pour la toux. 

    Quel est le poids de l'âme ? © killykoon, Adobe Stock
    Quel est le poids de l'âme ? © killykoon, Adobe Stock

    Des expériences un peu douteuses

    Bon, c'est un peu glauqueglauque, même si on s'en doutait un peu, mais il fait venir plusieurs personnes mourantes pour les peser très précisément et analyser les variations de leur poids juste avant leur mort. Parmi ces personnes on en a quatre qui souffrent de tuberculose, une de diabète et pour la dernière, la cause de son état moribond était inconnue. Au cours de ses mesures de poids, il constate que ses patients s'allègent lentement quelques grammes par heure, mais que cela s'expliquerait par le fait qu'un mourant perd petit à petit l'humidité de son corps via la respiration et l'évaporation de sueur. Jusqu'ici, honnêtement, rien de farfelu... Enfin, si on oublie qu'on a un gars qui observe un autre gars qui... rend l'âme littéralement. Bon, quoi qu'il en soit, après presque quatre heures passées les yeuxyeux rivés sur les variations de poids, le malade laisse échapper un long soupir, et meurt. Le médecin, de son côté, observe une soudaine perte de poids associée à ce fameux soupir. Ici, impossible que ce changement ne soit lié à la transpiration ou la respiration. Le défunt a perdu exactement trois quarts d'once, donc un peu plus de 21 grammes, d'une substance qu'on ne peut pas identifier. Alors pour Duncan Macdougall, il n'y a pas de doute : c'est l'âme qui est partie du corps. Histoire de confirmer l'hypothèse, il retente l'expérience avec une quinzaine de chienschiens. Pourquoi des chiens ? Parce qu'ils sont censés ne pas avoir d'âme, donc s'ils ne perdent pas de poids lors de leur mort, ça confirme le fait que nous, par contre, nous la perdons en mourant. Et du coup, après avoir certainement drogué et empoisonné ces pauvres animaux, il a pu observer que non, les chiens ne perdent pas de poids, contrairement à ce qu'il a pu observer avec les humains. Donc voilà, pour lui, cette preuve suffit à l'affirmer : l'humain perd son âme au moment de son trépas, et celle-ci fait 21 grammes.

    Oui mais attends, parce que maintenant on va voir pourquoi il n'y a rien qui va dans toute cette histoire. Déjà, pour rappel, il a choisi seulement six personnes pour son expérience. Si vous êtes des habitués de Science ou de Fiction, vous savez que pour qu'une hypothèse soit vérifiée et valable, il faut que l'expérience ait été réalisée et répétée beaucoup plus de fois que ça ! Six, c'est un échantillon bien trop faible pour tirer des conclusions. En plus, comme vous l'avez peut-être remarqué, je ne vous ai parlé que d'un seul des six patients. Alors ce n'est évidemment pas parce que j'ai eu la flemme. On dirait plutôt que c'est Macdougall qui n'a pas jugé utile de nous dire qu'il n'y a eu qu'un seul résultat en faveur de son hypothèse. Eh oui, pour deux d'entre eux, il y aurait eu des difficultés techniques qui ont empêché le bon déroulement de l'expérience, deux autres ont perdu du poids au moment de la mort comme attendu mais ont continué à en perdre après, et pour le dernier, il a certes perdu ses 21 grammes, mais il les a repris quelques instants plus tard. Peut-être que son âme avait décidé de revenir, qui sait ? Bon, du coup, vous l'avez compris, dans ses conclusions le docteur n'a utilisé qu'un seul patient sur les six. Bonjour la précision !

    Vingt-et-un grammes d'âme. Ce sont des expériences un peu hasardeuses qui auraient conduit à ce résultat surprenant. © sudok1, Adobe Stock
    Vingt-et-un grammes d'âme. Ce sont des expériences un peu hasardeuses qui auraient conduit à ce résultat surprenant. © sudok1, Adobe Stock

    Mis à part ça, on a aussi quelques soucis tout de même avec la précision lors des mesures, parce qu'à l'époque on n'avait pas les mêmes moyens qu'aujourd'hui. En plus de ça, c'est assez difficile de donner l'instant exact d'un décès. Ben oui, on parle de l'arrêt du cœur ? De l'arrêt de la respiration ? De celui du cerveau ?

    Une expérience qui en a inspiré plus d'un

    Bref, jamais vu une expérience aussi imprécise. Mais il a quand même pu publier ses résultats. Et évidemment, tout de suite la communauté scientifique s'est emportée, et surtout un dénommé Augustus Clarke, médecin également, qui a expliqué qu'au moment de la mort, la température corporelle augmente fortement car les poumonspoumons ne permettent plus de refroidir le sang. Donc, contrairement à ce que MacDougall affirmait, il y a bien une augmentation de la transpiration qui pourrait expliquer cette perte des 21 grammes. Concernant l'expérience avec les chiens, là aussi Clarke a une explication : contrairement à nous, les chiens n'ont pas de glandes sudoriparesglandes sudoripares, donc ils n'ont pas de perte d'eau via la transpiration comme nous. Finalement, l'expérience de MacDougall est rejetée, et pour faire bonne mesure, il est accusé de méthode défectueuse et de fraude dans l'obtention de ses résultats. Mais le mal était déjà fait. Le New York Times a relayé l'histoire juteuse dans ses pages et c'est probablement comme ça que la croyance est passée du milieu scientifique dans l'esprit populaire. La sortie du film 21 Grammes, en 2003, renforce encore cette idée, et aujourd'hui, on la retrouve encore dans plein de médias, de One Piece à Ted Lasso. Ça a aussi inspiré un paquetpaquet d'autres petits rigolos. En 2001, le physicienphysicien Lewis E. Hollander Jr., par exemple, a pesé un bélier, sept brebis, trois agneaux et une chèvre au moment de la mort. Sept des moutons adultes présentaient une variation de poids, mais au lieu d'en perdre, ils en gagnaient ! Puis ils perdaient ce gain pour revenir au poids initial. Trop imprécise, cette expérience n'a pas non plus été validée. De son côté, en 2005, le médecin Gérard Nahum a mis au point une expérience dans laquelle, grâce à des détecteurs électromagnétiques, il a tenté de capter les flux d'énergieénergie qui s'échappaient du corps au moment du décès. Manifestement, ça n'a pas été du goût des départements d'ingénierie, de physiquephysique et de philosophie de l'Université de Yale, de Stanford et de Duke, et ça n'a pas plus non plus à l'Église catholique. L'expérience a donc été rejetée comme les autres.

    Voilà, donc toute cette histoire a suffisamment fait parler d'elle pour qu'une croyance s'installe, mais elle reste à ce jour absolument pas prouvée. Alors si jamais quelqu'un vient vous dire qu'à la mort on perd 21 grammes d'âme, vous pouvez lui répondre juste « non ». Je pense qu'on ne sera pas bien loin de la réalité.