Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS, fait part à Futura-Sciences de son scepticisme sur l’étude sur le maïs OGM menée par Gilles-Éric Séralini. Selon lui, les auteurs ont manqué de prudence quant à l’interprétation des résultats. Quelques explications s’imposent.

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    Le maïs OGM NK603 est-il nocif ? La question pourrait toujours se poser si effectivement les chercheurs doutent de la méthodologie et des résultats de l'étude de Gilles-Éric Séralini. Faut-il mener de nouvelles études pour confirmer ou infirmer ce travail ? Sûrement. Mais qui pour le faire ? © www.public-domain-image.com

    Le maïs OGM NK603 est-il nocif ? La question pourrait toujours se poser si effectivement les chercheurs doutent de la méthodologie et des résultats de l'étude de Gilles-Éric Séralini. Faut-il mener de nouvelles études pour confirmer ou infirmer ce travail ? Sûrement. Mais qui pour le faire ? © www.public-domain-image.com

    Quel danger représentent les OGM alimentaires pour la santé humaine ? Le débat ne date pas d'hier et Gilles-Éric Séralini, chercheur controversé de l'université de Caen, vient de publier avec ses collaborateurs un travail de recherche qui a fait grand bruit et apporté des éléments nouveaux sur la question. Les rats nourris au maïs OGM NK603 de Monsanto vivaient moins longtemps, avaient davantage de risques de développer des tumeurs et mouraient plus tôt que leurs congénères nourris à base de céréalescéréales traditionnelles. La question est-elle enfin réglée ?

    Clairement non. Une partie de la communauté scientifique a accueilli ces résultats avec un certain scepticisme. En cause : une étude jugée trop partisane dont les résultats n'ont pas forcément été bien interprétés. Le plan de communication est également reproché au biologiste normand, puisque les recherches ont été déballées sur la place publique avant même que les spécialistes aient pu en débattre.

    Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire de Physiologie cellulaire végétale, à l'université Joseph Fourier de Grenoble, partage lui aussi cet avis et en fait part à Futura-Sciences.

    Marcel Kuntz reste très prudent quant à l'analyse de la fameuse étude accusant les OGM d'être nocifs pour la santé. Pour lui, elle présente des défauts qu'il aurait fallu combler. © Marcel Kuntz

    Marcel Kuntz reste très prudent quant à l'analyse de la fameuse étude accusant les OGM d'être nocifs pour la santé. Pour lui, elle présente des défauts qu'il aurait fallu combler. © Marcel Kuntz

    Futura-Sciences : Pensez-vous que cette étude a été bien conçue ?

    Marcel Kuntz : Il y a du bon et du moins bon dans le protocoleprotocole. Les mesures biochimiques effectuées par exemple sont tout à fait pertinentes et on n'en attendait pas moins dans ce genre d'article scientifique. En revanche, quelques précisions sont manquantes et d'autres points auraient pu être améliorés.

    Par exemple, quel est le nom commercial du maïs traditionnel utilisé pour nourrir le groupe témoin ? Les auteurs écrivent qu'il s'agit de la variété la plus proche génétiquement de l'OGMOGM NK603, testé dans cette expérience. Mais laquelle ? Il existe très certainement quelques variations génétiques entre ces deux lignées en plus du gène d'intérêt placé dans le maïs OGM. Or ces petites différences peuvent modifier les résultats terminaux et un travail de ce type se doit de considérer ce paramètre.

    D'autre part, on peut parfaitement supposer qu'une étude comparative entre deux maïs non-OGM aurait également révélé des différences de santé dans une expérience de ce type. Ainsi, pour connaître l'impact réel d'une variété de céréale transgéniquetransgénique par rapport à l'équivalent naturel, il aurait fallu établir une fourchette de variabilité pour échelonner le NK603 avec différentes lignées traditionnelles. Là, on aurait effectivement su si oui ou non le maïs incriminé était plus néfaste que les maïs conventionnels. Or on n'a pas pris ce recul dans cette expérience.

    Ces résultats vous surprennent-ils ?

    Marcel Kuntz : Les résultats sont ce qu'ils sont. Ce qui me pose problème, c'est l'interprétation qui en est faite. Il existe une variabilité naturelle chez les êtres vivants qui doit être prise en compte dans l'expérimentation scientifique. Les tests sur les animaux ne peuvent pas être considérés que comme des mathématiques : des biais peuvent s'introduire dans une expérimentation sur le vivant. Il ne faut donc pas surinterpréter une étude. D'autre part, les effets toxiques supposés ne sont pas proportionnels à la dose de ce maïs intégrée dans l'alimentation. Les auteurs affirment qu'il y a un effet seuil. Quand je lis l'étude, je ne vois aucun élément qui permet de l'affirmer. Une autre explication serait qu'il n'y a tout simplement pas d'effet, et que certaines différences résultent du hasard ou de biais. 

    Pour ma part, je ne comprends pas comment ils ont pu aboutir à une conclusion aussi tranchée à partir de telles données. Il faut toujours faire preuve de prudence dans l'analyse des résultats et ne pas se laisser emporter par des convictions politiques. On parle de science, pas de militantisme : il ne s'agit pas de décrire ce qu'on aimerait voir mais seulement ce que l'on constate.

    Les rats albinos de la lignée Sprague Dawley sont connus pour développer naturellement des tumeurs en vieillissant, même avec une alimentation saine. Quel a été l'impact des OGM sur leur santé ? © Jean-Etienne Minh-Duy Poirrier, Wikipédia, cc by sa 2.0

    Les rats albinos de la lignée Sprague Dawley sont connus pour développer naturellement des tumeurs en vieillissant, même avec une alimentation saine. Quel a été l'impact des OGM sur leur santé ? © Jean-Etienne Minh-Duy Poirrier, Wikipédia, cc by sa 2.0

    L'article a été scruté et validé par des scientifiques avant sa publication dans un journal plutôt renommé. Comment expliquez-vous cela ?

    Marcel Kuntz : À mon avis, les reviewers de Food and Chemical Toxicology ont manqué de vigilance quant à l'interprétation des auteurs. Ce sont des choses qui arrivent, même dans les meilleures revues. Certains de ces articles scientifiques sont parfois contredits, que ce soit partiellement ou totalement, et d'autres chercheurs réalisent des études qui infirment ou confirment. En ce qui me concerne, si j'avais fait partie du comité de lecture, j'aurais demandé à ce que les auteurs soient moins affirmatifs dans leurs conclusions et exposent toutes les explications potentielles à leurs résultats.

    L'une des autres critiques adressées à l'égard de Gilles-Éric Séralini et son équipe n'est pas d'ordre scientifique mais concerne la médiatisation autour de cette étude. Quel est votre avis ?

    Marcel Kuntz : Je pense qu'on a eu affaire à un plan de communication magistralement orchestré. L'information est sortie dans les médias avant d'être parvenue à la communauté scientifique qui n'a pas pu réagir et donner son point de vue avant qu'on ne puisse lire partout que les OGM sont dangereux pour la santé. Et c'est ce qui reste dans l'esprit du grand public. Surtout que l'image de ces rats avec des tumeurs énormes est marquante. L'idée qu'il existe une équationéquation de type OGM = cancer risque de s'insinuer dans les esprits. Seulement il faut savoir que la lignée de rongeursrongeurs utilisée est connue pour développer naturellement des tumeurs, ce qui s'est produit pour les rats témoins.

    Désormais, les chercheurs vont étudier et débattre de ce travail afin de le valider ou l'invalider. Quel sera l'écho dans la presse si les experts concluent que cette étude manque de pertinence ? Probablement nul, ou très faible. Alors les gens considéreront toujours que les OGM sont dangereux pour la santé, même si ce ne sera pas forcément l'avis de la majorité des spécialistes.