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C'était il y a trente ans. Amandine voyait le jour à l'hôpital Antoine Béclère, à Clamart (92). Un peu moins de quatre ans après la Britannique Louise Brown, premier bébé éprouvetteéprouvette né dans le monde, la France montrait qu'elle était également capable de mener à terme une grossesse consécutive à une fécondation réalisée in vitroin vitro.
À l'origine de cet exploit, deux hommes : le biologiste Jacques Testart et le gynécologuegynécologue René Frydman. Ils ont à l'époque collaboré pour permettre à des couples stériles d'avoir des enfants biologiques. Jacques Testart, ancien directeur de recherche à l'Inserm (aujourd'hui retraité), revient pour Futura-Sciences sur cette affaire vieille de trente-quatre ans.
Futura-Sciences : Expliquez-nous comment cette histoire a commencé.
Jacques Testart : J'étais spécialiste de la procréation chez l'animal, à l'Inra de Jouy-en-Josas jusqu'en 1976. Ensuite l'hôpital Antoine Béclère m'a demandé de venir étudier la procréation humaine. Puis, il y a eu l'annonce des Britanniques dirigés par Robert Edwards en 1978 dans laquelle ils révélaient avoir obtenu une grossesse par FIVETE (fécondation in vitro et transfert d'embryon), même si Louise Brown n'était pas encore née. Nous ne sommes partis de rien, puisque les Anglais avaient gardé leur recette secrète. Il m'a finalement fallu moins de quatre ans pour réitérer la performance d'Edwards qui lui, planchait sur la question depuis 1965...
Quelle était l’ambiance à l’époque entre les différentes équipes françaises qui travaillaient sur ce projet ?
Jacques Testart : Au début, il n'y avait pas de compétition puisque nous étions les seuls à faire ça. Puis vers 1981, un an ou un an et demi avant la naissance d'Amandine, on s'est trouvés en concurrence avec un groupe de l'hôpital Necker. J'avais de bons rapports avec les deux biologistes, Jacqueline Mandelbaum et Michelle Plachot, mais les gynécologues se voulaient en compétition...
Jacques Testart a d'abord travaillé sur la procréation assistée chez l'animal avant de passer chez la femme. Chercheur plus que reconnu dans ce domaine, il est l'auteur de plus de 300 articles scientifiques et de quelques ouvrages de vulgarisation scientifique. © Ramirolle
La tension est devenue bien plus palpable lorsque Jean Cohen, l'un des deux cliniciens qui collaboraient avec mes deux collègues féminines de Necker, a semblé douter de leurs compétences. Nous fécondions mais nous n'avions pas de grossesses, tandis qu'elles ne parvenaient pas à réussir la fécondation. Il s'est donc tourné vers moi pour tenter de réaliser dix FIV. Il effectuait les prélèvements des ovocytes de son côté, me les faisait parvenir dans un thermosthermos, je tentais la fécondation, je lui renvoyais le tout et il se chargeait de transplanter les embryons. Dès le deuxième essai, il avait obtenu une grossesse.
Quel drame pour René Frydman, le gynécologue avec qui je collaborais, puisqu'on avait une femme enceinte à l'hôpital Necker mais pas à Antoine Béclère. Les deux biologistes ont peut-être mal vécu cet épisode. Mais la pauvre femme a perdu le bébé quatre mois plus tard... Quelque temps après, nous avons obtenu Amandine à Clamart. La grossesse a tenu jusqu'au bout cette fois.
Qu’est-ce que la naissance d’Amandine a changé dans votre quotidien ?
Jacques Testart : La file d'attente des femmes désireuses d'avoir un enfant s'est franchement allongée à l'hôpital Béclère. J'ai reçu également des dizaines de biologistes, de France et de l'étranger, que je formais aux techniques, pendant que René Frydman se chargeait d'enseigner ses méthodes à ses collègues gynécologues. Si nous sommes les « pères scientifiques » (et j'insiste sur l'importance du mot scientifique)) d'Amandine, on est aussi un peu les pères des équipes qui ont donné naissance aux autres bébés.
Au début, je me souviens, nous n'accueillions que des chercheurs du secteur public, parce qu'on avait des aprioris sur ce que pouvaient faire les gens du privé. Puis finalement, après un ou deux ans, on a accepté de les former aussi et ils se sont comportés exactement comme les autres.
Amandine est la première d'une longue lignée de bébés éprouvette. La France a réussi plus de 200.000 fécondations in vitro depuis 1982. La technique, déjà très difficile au début, connaît actuellement un taux de réussite de l'ordre de 20 %. © ide.fr
Quelles ont été les évolutions techniques dans le domaine de la procréation assistée depuis vos débuts ?
Jacques Testart : Il faut bien distinguer deux aspects, qui sont la ponction de l'ovocyte d'une part et la fécondation à proprement parler.
En ce qui concerne la récupération de l'ovuleovule, au début nous devions faire en fonction du cycle spontané. Les femmes n'étaient soumises à aucun traitement et on ponctionnait le folliculefollicule préovulatoire, probablement le meilleur ovule. Étant moins rôdés à l'époque, les gynécologues en récupéraient seulement un sur deux, d'où de nombreux échecs dès le départ.
Le plus dur à cerner, c'était le moment de l'ovulationovulation. Pour qu'une FIVFIV réussisse, il faut prélever l'ovocyte dans un laps de temps assez précis : l'ovule doit être assez mature pour être fécondé mais il ne doit pas avoir été éjecté de l'ovaireovaire et envoyé dans la cavité abdominalecavité abdominale, car il serait perdu. Tout se joue donc sur quelques heures par mois.
Ensuite, on a traité les femmes avec des hormoneshormones. Au début de la FIV, on utilisait hMG pour favoriser la stimulationstimulation ovarienne et hCG pour la maturation des ovocytes et l'ovulation. Les techniques plus modernes, apparues à la fin des années 1980, permettent de gagner en précision. On court-circuite l'hypophysehypophyse, ce qui équivaut à traiter des ovaires in vitro. On fait mûrir l'ovocyte et quand on pense que c'est le bon moment, on donne l'hormone ovulante. Les protocolesprotocoles sont figés et on peut dire à une femme de venir tel jour pour une FIV réalisée à telle date, plusieurs mois à l'avance !
Concernant la fécondation en elle-même, le progrès le plus conséquent est l'ICSI, ou injection intracytoplasmique de spermatozoïdeinjection intracytoplasmique de spermatozoïde, qui a suivi la congélation de l'embryon (1983). Autrefois, nous mettions les spermatozoïdes dans un tube en même temps que l'ovule et on attendait que ça se passe. Mais dans certains cas, quand le spermesperme de l'homme était déficient, cela ne fonctionnait pas. Les femmes nous demandaient quand même d'essayer, mais c'était peine perdue. Aujourd'hui, grâce à l'ICSI, avec un seul spermatozoïde, on obtient le même taux de réussite que quand on en a 200 millions. Il n'y a rien de plus sophistiqué.