Des chercheurs ont réussi à effectuer un « recodage » à grande échelle, sans devoir saucissonner l’ADN de la cellule. Objectif : redessiner des génomes complets et créer des « cellules universelles » immunisées naturellement de toute maladie.


au sommaire


    Depuis plusieurs années, la technique CRISPR-Cas9CRISPR-Cas9 a rendu l'édition génétique accessible à la plupart des laboratoires. On peut ainsi corriger des mutations génétiques délétères, lutter contre le VIH en conférant à la cellule une résistance au virus, ou forcer l'expression d'une enzymeenzyme déficiente. Des expérimentations ont également été menées pour éradiquer les moustiques ou améliorer le profil nutritionnel ou la physiologie des plantes.

    La plupart du temps, la technique est utilisée pour modifier un gène à la fois, en l'inactivant, en insérant de nouveaux fragments d'ADN, ou en modifiant son expression. Des chercheurs de l'université de Harvard sont eux parvenus à effectuer 13.200 modifications simultanées, ouvrant la voie à une « recomposition radicale » d'espècesespèces, comme l'affirme George Church, qui a dirigé l'équipe. Le précédent record avait été établi en 2017, lorsque Church et ses collègues avaient éliminé 62 copies d'un rétrovirus dans le génomegénome d'un porc.

    Des transposons « poubelle » qui envahissent le génome

    Les modifications ont ciblé une séquence particulière de l'ADN nommée LINE-1 et composée de transposons, des « gènes sauteurs » qui peuvent « bondir » d'une position à une autre dans le génome. Ces transposons sont omniprésents dans le génome humain, dont ils constituent pratiquement la moitié, sans que l'on sache quelle est leur véritable fonction. Ceux de LINE-1 ont accumulé de nombreuses mutations au fil du temps et sont soupçonnés d'être à l'origine de perturbations génétiques, notamment de provoquer des maladies neurologiquesmaladies neurologiques et d'accélérer le vieillissement. D'où l'intérêt de pouvoir éliminer d'un coup toutes ces mutations en éliminant la séquence.

    Découper l’hélice d’ADN en de multiples endroits aboutit habituellement à la mort de la cellule. © catalin, Fotolia
    Découper l’hélice d’ADN en de multiples endroits aboutit habituellement à la mort de la cellule. © catalin, Fotolia

    Une nouvelle technique CRISPR qui évite le « saucissonnage » de l’ADN

    Le problème, c'est que si découper un ou deux morceaux d'ADN ne cause pas de soucisouci particulier, opérer des centaines de ruptures en des endroits multiples aboutit à la mort certaine de la cellule. Geoff Faulkner, chercheur à l'université du Queensland (Australie), explique ainsi dans la revue Technology Review avoir tenté en 2016 d'éliminer la séquence LINE-1 chez des embryonsembryons de souris, mais aucun n'avait survécu. Pour établir leur record, l'équipe de Church a donc eu recours à une variante de CRISPR-Cas9 nommée « éditeur de base » qui consiste à « échanger » des bases (par exemple remplacer un G par un A) sans endommager la structure globale de la double hélice ADN. Ils ont ainsi éliminé environ la moitié des éléments actifs de LINE-1 (qui en compte 26.000) et affirment qu'ils arriveront bientôt à la supprimer entièrement.

    Écrire de nouveaux génomes « zéro défaut »

    L'objectif de ces travaux est de permettre l'édition à grande échelle du génome. George Church envisage dans un premier temps le « recodage » complet de celui du porc afin que celui-ci devienne parfaitement compatible avec l'humain pour la transplantation d’organes. Mais les possibilités vont bien au-delà : « cette technique va complètement révolutionner la médecine », assurent les auteurs de l'expérience, publiée sur le site BioRxiv. On va ainsi pouvoir guérir les maladies dans lesquelles de multiples gènes sont impliqués ou décupler l'efficacité des thérapies anticancéreuses. George Church envisage carrément de créer des « cellules universelles » avec un génome immunisé contre toute forme de virusvirus, ce qui nécessite 9.811 modifications génétiques d'après le chercheur. Son équipe a d'ailleurs commencé à éditer ses propres cellules souchescellules souches dans le laboratoire.

    Reste à vérifier que ces modifications de massemasse ne causent pas de dommages collatéraux invisibles au premier abord. Des mutations involontaires peuvent en effet apparaître après coup, sans compter le risque de mosaïcisme (quand les cellules d'un même embryon ne possèdent plus toutes le même patrimoine génétique).