Un nouveau documentaire présentant la situation de Wuhan durant le confinement vient d'être mis en ligne. Réalisé par l'activiste et artiste Ai Wei, il peint le poignant tableau de quelques-uns de ses 11 millions d'habitants, aux prises avec l'omniprésence de la mort et un gouvernement qui ne les a pas prévenus assez tôt.


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    C'est sans crier gare que l'activiste Ai Weiwei a posté son nouveau documentaire sur la toile. Combinant témoignage vidéo et reportage, Coronation peint le saisissant visage d'un Wuhan aux rues désertées, nimbées des nuées spectrales crachées par les fumigateurs. Les habitants, ouvriers, personnels médicaux errent, désorientés, presque fantomatiques, dans ce monde kafkaïen qu'est celui du coronavirus. « Les gens de Wuhan ont vécu une expérience si terrible », commente une femme qui a récemment perdu son beau-père. « Pour notre génération, celle qui a connu la pandémie, son ombre noircira nos cœurs pour toujours. »

    Ai Weiwei, artiste engagé

    Originaire de Pékin, Ai Weiwei, fils du poète Ai Qing, connaît les camps de travail et de rééducation dès sa première année. Élevé dans le carcan d'un gouvernement omnipotent et répressif, Weiwei rêve de démocratie et, dès que l'occasion lui en est présentée, s'inscrit à l'université, d'abord à Pékin, puis à New York. Il trouve sa place parmi les artistes mais aussi parmi les activistes, et n'hésite pas à produire un art engagé, laissant parfois peu de place aux erreurs d'interprétation. En Chine, la censure sur le Net est suivie par la répression à coups de poing puis la détention pour des motifs jugés par beaucoup fallacieux. Aujourd'hui, l'artiste est plus farouchement engagé que jamais et continue de dénoncer les injustices.

    La bande-annonce de Coronation, un documentaire d'Ai Weiwei. © Ai Weiwei, Alamo Drafthouse

    Entre deuil et injustice

    Au cours des deux heures de Coronation, Weiwei nous propose de nous aventurer dans Wuhan durant les 76 jours de son confinement. Plutôt que de choisir la facilité en versant dans le pathos, le documentaire, mélange de témoignages filmés au portable, d'images de reportage et de spectaculaires plans en drone, fait le choix de la sobriété et de la pudeur. Les silences sont cinglants, les nuances de blancs et de gris aveuglantes. À mesure que l'on progresse aux côtés des habitants et des personnels soignants, des voix progressivement s'élèvent, d'abord confuses, puis incrédules avant de former un chapelet de paroles indignées. Le cri collectif des Wuhanais culmine et éclate comme un feufeu d'artifice écarlate dans les lamentations d'une femme serrant une urne funéraire contre elle : l'urne contenant les cendres d'un proche que le gouvernement ne la laissera pas ramener chez elle.

    « Le public doit comprendre que [ce documentaire] est à propos de la Chine, explique Ai. Oui, il parle du confinement, mais il tente de refléter ce que les Chinois ordinaires ont traversé. » L'artiste ne se contente pas de montrer leur quotidien, mais les laisse également exprimer leur frustration et leur colère face à un gouvernement qui trahit, ment et manipule. L'un des participants au documentaire décrit son combat pour obtenir des documents qui lui permettront de quitter Wuhan, pris dans un labyrinthe administratif digne de Kafka. D'autres tentent vainement de rejoindre leurs proches pour un peu de réconfort, l'échange de derniers mots, ou dans le deuil. « La machine du gouvernement est tellement puissante. Si vous faites face au gouvernement seul, vous vous sentez petit et impuissant », commente un homme que l'administration empêche de récupérer les cendres de son père.

    Le documentaire est disponible à la location ou à la vente sur Vimeo.