En écoutant les infrasons émis par un volcan sous-marin, les chercheurs ont pu calculer que ce dernier émettait d’immenses bulles de gaz au-dessus de la mer atteignant 440 mètres de diamètre et pouvant perdurer jusqu’à 10 minutes. Un phénomène aussi rare qu’impressionnant.


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    Nous sommes le 7 juillet 1908. L'Albatros, un petit voilier, navigue dans les eaux de l'Arc des Aléoutiennes, à l'ouest de l'Alaska. Soudain, la mer s'élève devant l'équipage médusé et forme un énorme dôme « de la taille de l'édifice du Capitole » [le bâtiment où siège le Congrès aux États-Unis], rapportera plus tard dans un récit le capitaine, William Thornton Prosser. « Il a gonflé et gonflé jusqu'à ce qu'il se rompe, libérant un panache de gazgaz et de vapeur qui a jailli de la mer avec une telle intensité que les spectateurs envoûtés ont cru être plongés dans un terrible cataclysme », décrit-il dans son essai Nature Turned Sorceress (La Nature devient sorcière ).

    Le volcan Bogoslof, situé en Alaska, a produit une série d’explosions entre décembre 2016 et août 2017, enregistrées grâce à des capteurs d’infrasons (en orange sur la carte. © John J. Lyons et al., Bogolsfo, 2019
    Le volcan Bogoslof, situé en Alaska, a produit une série d’explosions entre décembre 2016 et août 2017, enregistrées grâce à des capteurs d’infrasons (en orange sur la carte. © John J. Lyons et al., Bogolsfo, 2019

    Les étranges infrasons émis par un volcan

    L'histoire aurait pu rester une simple légende, jusqu'à décembre 2016, date à laquelle s'est réveillé le Bogoslof, un volcan sous-marin de l'Arc des Aléoutiennes. Après un sommeilsommeil de 15 ans, ce dernier éjecte dans l'atmosphère des panaches de cendres à plus de 10 km d'altitude. Mais une équipe de chercheurs de l'Alaska Volcano Observatory détecte un phénomène bien plus étrange : durant les neuf mois d'activité du volcan, ils enregistrent des sons de très basse fréquence (infrasons), à l'aide de capteurscapteurs qui utilisent les ondes sonoresondes sonores pour capter les vibrationsvibrations du sol induites par des éruptions volcaniques ou les tremblements de terretremblements de terre. Le son très particulier de ces infrasons intrigue les chercheurs : « Habituellement, les éruptions explosives produisent des sons de haute fréquence et rapides », explique John J. Lyons, le principal auteur de l'étude parue dans la revue Nature Geoscience le 14 octobre. « Ici, les ondes étaient de très basse fréquence et avec des périodes allant jusqu'à 10 secondes », détaille-t-il au site Inside Science.

    Une bulle qui grossit et grossit à la surface de l’eau

    C'est alors que les chercheurs se rappellent du récit de William Thornton Prosser. Et si ces sons mystérieux avaient un rapport avec les bulles géantes décrites par le capitaine ? Lorsque le cratère sous-marin relâche du gaz chaud, ce dernier remonte à la surface sous forme de bulle qui est progressivement refroidie par le contact avec l'eau de mer. Il se forme alors une forme de croûtecroûte de lavelave semi-refroidie à l'extérieur de la bulle, créant une surpression. Quand elle atteint la surface, la bulle continue à se dilater dans un cycle d'expansions et de contractions, tentant d'atteindre le point d'équilibre entre la pressionpression extérieure et celle à l'intérieure de la bulle (ce que l'on appelle oscillation). Cela crée un immense dôme semblable à celui observé en 1908. Lorsque le gaz, continuellement émis par l'évent, entraîne une pression trop importante, la bulle éclate en libérant brutalement les gaz et les cendres dans l'atmosphère.

    Le gaz chaud remontant du cratère forme une bulle sous-marine à l’intérieur de laquelle la pression grandit. Arrivée à la surface, la bulle se contracte et se rétracte, tentant d’atteindre un point d’équilibre jusqu’à son éclatement. © John J. Lyons et al., Bogolsfo, 2019
    Le gaz chaud remontant du cratère forme une bulle sous-marine à l’intérieur de laquelle la pression grandit. Arrivée à la surface, la bulle se contracte et se rétracte, tentant d’atteindre un point d’équilibre jusqu’à son éclatement. © John J. Lyons et al., Bogolsfo, 2019

    Quand la mer se soulève plus haut que la Tour Eiffel

    Les sons de basse fréquence enregistrés par Lyons et ses collègues correspondent aux bulles qui oscillent et se rompent. Grâce à de précédentes modélisationsmodélisations, les chercheurs ont pu reconstituer les caractéristiques de ces bulles. Ils sont parvenus à des ordres de grandeurordres de grandeur stupéfiants : les bulles formées à la surface atteindraient des diamètres compris entre 100 et 440 mètres, soit plus hautes que la Tour Eiffel ! « Cela peut sembler énorme, mais le volumevolume de gaz que nous avons calculé correspond à celui relâché lors des exposions volcaniques en plein airair, atteste John J. Lyons. Imaginez le dôme de cendres et de fumée émis par un cratère et imaginez cela sous l'eau. Il faut bien que cela émerge d'une façon ou d'une autre ». Ces dômes géants peuvent ainsi persister jusqu'à 10 mn en grossissant au-dessus de la surface. On imagine du coup aisément la violence de l'explosion lors de l'éclatement de la bulle dans un mélange de gaz chaud, de cendres et d'eau.

    Bien que le phénomène ait été rarement observé, deux autres éruptions semblent correspondre aux mêmes caractéristiques : celles du Myöjin-sho (Japon) en 1952-1953 et celle du Karymsky (Russie) en 1996. Ce serait d'ailleurs une explication à la disparition du Kaiyo-Maru-5, mystérieusement englouti en mer au large du volcan en septembre 1952.